dimanche 19 octobre 2025

Jordi Savall et ses deux ensembles catalans ont offert une magistrale cantate profane « La Première Nuit de Walpurgis » de Felix Mendelssohn-Bartholdy

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mercredi 16 octobre 2025 

Jordi Savall, Le Concert des Nations, La Capella Nacional de Caalunya
Photo : (c) Bruno Serrou

Les concerts de Jordi Savall avec ses ensembles Le Concert des Nations et La Capella Nacional de Catalunya, sont toujours de magiques rendez-vous. Cette semaine, à la Philharmonie de Paris, ils ont donné un programme monographique consacré à Felix Mendelssohn-Bartholdy qui a enthousiasmé le public venu nombreux pour écouter et voir un chef en forme dirigeant avec flamme ses deux formations aux couleurs ombrées et onctueuses jouant sur des instruments d’époque et un chœur vif, malléable, d’une précision et d’une homogénéité sans failles, avec quatre solistes toujours choisis avec bonheur par Savall, Sara Mingardo plus contralto que mezzo, Ilker Arcayürek (ténor), Matthias Winckhler (baryton), Arttu Kataja (baryton-basse) dans une enthousiasmante Première Nuit de Walpurgis (ébouriffante bourrasque « Kommt mit Zacken » bissée à la fin du concert), le tout après une Symphonie « Écossaise » au cordeau 

Jordi Savall, Le Concert des Nations
Photo : (c) Bruno Serrou

Tandis que vient de paraître chez AliaVox un luxueux coffret consacré à l’oratorio Les Saisons de Joseph Haydn (1), Jordi Savall, retrouvait mercredi la Philharmonie de Paris où il se produit chaque année depuis son ouverture avec un constant succès. Cette année 2025 le voit à La Villette pour la seconde fois. Assister à l’un concert de ses concerts est toujours un enchantement spirituel, intellectuel, musical, une expérience humaine intense. Seul le chef catalan possède ce supplément d’âme qui fait toucher le ciel. Mercredi soir, avec son Le Concert des Nations et sa Capella Nacional de Catalunya, il a donné un programme Felix Mendelssohn-Bartholdy d’une luminosité introspective et d’un chaleureux  dynamisme éclairant de l’intérieur les sombres paysages qui ont inspiré le compositeur saxon, ceux du nord est du Royaume-Uni et les forêts profondes de la Saxe et la fête du muguet, aidé dans cette dernière par un quatuor vocal d’une parfaite homogénéité tant les voix étaient souples, rayonnantes, tandis que la rythmique de Savall est toujours aussi impressionnante de tenue et d’allant.

Jordi Savall, Le Concert des Nations, La Capella Nacional de Caalunya
Photo : (c) Bruno Serrou

Se tournant de plus en plus vers la musique du tournant des XVIIIe et XIXe, Jordi Savall a donné un concert monographique consacré à Mendelssohn réunissant sans entracte deux partitions contemporaines l’une de l’autre et composées en deux étapes, la première pour orchestre seul célèbre la seconde étant un oratorio plus connu pour son titre et son ouverture que par son contenu. C’est avec la Symphonie n° 3 en la mineur « Ecossaise » op. 56 commencée en 1829 et achevée en 1842 que Savall a ouvert son programme, dans laquelle Mendelssohn s’inspire des highlands et des brumes écossaises qu’il a découvertes durant son premier séjour en Grande-Bretagne en 1829, jouant les quatre parties sans interruption, incluant la reprise dans le mouvement initial, auquel Savall et son orchestre ont donné toute son ampleur et sa diversité de couleurs et d’atmosphères, sublimant le lyrisme rêveur et mélancolique du thème de l’Andante con moto introductif que l’on retrouve dans l’Adagio qui débouche ici sur un Allegro un poco agitato héroïque et fougueux qui mènera l’Allegro final, après l’avoir précédemment retrouvé dans le Vivace non troppo exposé dès le début à la clarinette.

Jordi Savall, Le Concert des Nations, La Capella Nacional de Caalunya
Photo : (c) Bruno Serrou

Mais le point cardinal de la soirée était la cantate profane Die erste Walpurgisnacht (La première nuit de Walpurgis) op. 60 pour solistes, chœur et orchestre composée en 1830-1831 et reprise en 1842-1843. Le compositeur saxon illustre ici le poème éponyme de Johann Wolfgang von Goethe contant les tentatives des druides des montagnes de Harz de pratiquer leurs rites païens face aux forces chrétiennes dominantes. Comme toutes les œuvres vocales de Mendelssohn, cette cantate est rarement programmée dans son intégralité par les organisateurs de concerts. Composée en 1831, créée le 10 janvier 1833, révisée en profondeur dix ans plus tard, l’œuvre compte neuf parties précédées d’une ouverture, morceau le plus souvent joué indépendamment du reste de la partition, elle-même à programme puisque décrivant une tempête et l’arrivée du printemps. Illustrant le poème éponyme que Goethe a inclus dans son Faust qui conte l’une des fêtes traditionnelles célébrant le passage de l’hiver au printemps, une nuit d’épouvante et de beuverie qui a lieu chaque année durant la veillée du jour de la sainte Walburge, entre le 30 avril et le 1er mai, durant laquelle sorcières et démons se réunissent au sommet d’une montagne, le vieux Brocken pour se livrer à une orgie lubrique et à une messe satanique, les paysans traçant trois croix sur la porte de leur domicile afin que toute sorcière se rendant au sabbat ne jette pas un mauvais sort sur les animaux de l’étable ou les occupants de la maison. En fait, durant cette nuit-là, à travers rires et chansons du peuple masqué en hommes-loups et en femmes-dragons pour chasser les mauvais esprits, se fait entendre l’éclosion du mois de mai, les craquements dus à la fonte de la neige et de la glace d’hiver recouvrant la forêt, tandis que l’on célébrait aux temps anciens le dieu Wotan. Dans sa ballade pour son Faust, Goethe, qui avait songé que son ami Carl Friedrich Zeller (1758-1832) la mette en musique, évoque les tensions entre rites païens et chrétiens, les druides étant persécutés par les chrétiens conquérants qui entendent imposer leur nouvelle religion, les adeptes des premiers mettant au point un stratagème pour faire peur aux « idiots de curés » en retournant contre eux leur propre croyance. Contacté par Mendelssohn, Goethe l’informe que sa ballade « porte sur un phénomène qui se répète constamment dans l’histoire universelle, lorsqu’une pensée ancienne qui a fait les preuves de ses effets bienfaisants, est mise à l’écart, repoussée, si ce n’est effacée, du moins reléguée dans de minuscules réduits par des nouveautés. L’époque intermédiaire, durant laquelle la haine peut encore s’opposer à l’oppression, est ici représentée de la façon la plus prégnante, et alors un enthousiasme indestructible et joyeux s’embrase dans toute sa splendeur et sa vérité. » Ce qu’a tiré Mendelssohn de ce récit est si significatif qu’il ne manqua pas de susciter l’enthousiasme du plus shakespearien des compositeurs, Hector Berlioz, qui écrivait que son confrère allemand « en a tiré un parti admirable, sa partition étant d’une clarté parfaite, malgré sa complexité, les effets de voix et d’instruments s’y croisent en tous sens, se contrarient, se heurtent, avec un désordre apparent qui est le comble de l’art ». Mendelssohn, dont la musique trahit la sympathie qu’il voue aux païens aux dépens des chrétiens, dépeint, à la suite d’une ouverture tonique, les actions et réactions des deux parties commençant par un druide, qui entonne sur un ton bucolique une ode au joyeux mois de mai et appelle le peuple païen à procéder à l’antique coutume sacrée en dépit de la répression des chrétiens qui les menace, et que l’un d’entre eux invite à tourner en dérision en mettant en scène des démons. Tandis qu’un bûcher est dressé, un cortège infernal mine de se précipiter au-devant de l’assemblée, terrorisant les gardes chrétiens.

Jordi Savall, Le Concert des Nations, La Capella Nacional de Caalunya
Photo : (c) Bruno Serrou

De cette œuvre que l’on peut considérer comme le parangon du romantisme, Jordi Savall donne l’exacte dimension épique et la diversité d’inspiration et de ton, se faisant tour à tour et à la fois, souriant, léger, profond, grave, menaçant, facétieux, voluptueux, profondément imprégné de l’onirisme du temps de Mendelssohn, mettant en valeur une orchestration foisonnante, colorée, soulignant un élan hardi, véritable acteur voire instigateur de la narration, Le Concert des Nations d’avérant impressionnant de justesse et de précision. Le chœur La Capella Nacional de Catalunya, est comme toujours admirable de cohésion, confirmant ses immenses qualités de son, moelleux, charnu, luxuriant, ample, miroitant, coloré, brûlant, plein de vie, d’homogénéité, d’unité, de sûreté technique, d’allant, de virtuosité, les deux éléments réunis (chœur et orchestre) constituant un véritable entité ayant l’habitude de se produire ensemble avec les mêmes motivations, les mêmes objectifs sous la houlette de l’immense Jordi Savall, d’un humanisme à fleur de peau, dirigeant une ébouriffante bourrasque Kommt mit Zacken bissée à la fin du concert), le tout après une Symphonie « Écossaise » au cordeau. Comme toujours, le chef catalan s’est entouré d’un quatuor de grande qualité constitué de chanteurs fidèles, la brillante contralto vénitienne Sara Mingardo, dont le timbre charnel est si profond qu’elle a donné à sa partie de mezzo-soprano une brûlante sensualité, le ténor turc Ilker Arcayürek à l’intonation d’une chaleureuse humanité, le baryton bavarois Matthias Winckhler, fidèle de Savall aux graves magistraux, à l’instar de ceux de son comparse finlandais Arttu Kataja, au timbre plus abyssal encore.

Bruno Serrou

1) Joseph Haydn, Die Jahreszeiten Hob.XXI:3 2CD AliaVox AVSA9964

2) Sainte Walpurge est une abbesse anglo-saxonne morte en 779 en son abbaye de Heidenheim (Allemagne) et canonisée au IXe siècle sous le pontificat d’Adrien II (867-872)

 

 

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