Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mercredi 16 octobre 2025
Les concerts de Jordi Savall avec ses ensembles Le Concert des Nations et La Capella Nacional de Catalunya, sont toujours de magiques rendez-vous. Cette semaine, à la Philharmonie de Paris, ils ont donné un programme monographique consacré à Felix Mendelssohn-Bartholdy qui a enthousiasmé le public venu nombreux pour écouter et voir un chef en forme dirigeant avec flamme ses deux formations aux couleurs ombrées et onctueuses jouant sur des instruments d’époque et un chœur vif, malléable, d’une précision et d’une homogénéité sans failles, avec quatre solistes toujours choisis avec bonheur par Savall, Sara Mingardo plus contralto que mezzo, Ilker Arcayürek (ténor), Matthias Winckhler (baryton), Arttu Kataja (baryton-basse) dans une enthousiasmante Première Nuit de Walpurgis (ébouriffante bourrasque « Kommt mit Zacken » bissée à la fin du concert), le tout après une Symphonie « Écossaise » au cordeau
Tandis que vient de paraître chez
AliaVox un luxueux coffret consacré à l’oratorio Les Saisons de Joseph
Haydn (1), Jordi Savall, retrouvait mercredi la Philharmonie de Paris où il se
produit chaque année depuis son ouverture avec un constant succès. Cette année
2025 le voit à La Villette pour la seconde fois. Assister à l’un concert de ses concerts est toujours un enchantement
spirituel, intellectuel, musical, une expérience humaine intense. Seul le chef catalan
possède ce supplément d’âme qui fait toucher le ciel. Mercredi soir, avec son
Le Concert des Nations et sa Capella Nacional de Catalunya, il a donné un
programme Felix Mendelssohn-Bartholdy d’une luminosité introspective et d’un
chaleureux dynamisme éclairant de
l’intérieur les sombres paysages qui ont inspiré le compositeur saxon, ceux du
nord est du Royaume-Uni et les forêts profondes de la Saxe et la fête du muguet,
aidé dans cette dernière par un quatuor vocal d’une parfaite homogénéité tant
les voix étaient souples, rayonnantes, tandis que la rythmique de Savall est
toujours aussi impressionnante de tenue et d’allant.
Se tournant de plus en plus vers la
musique du tournant des XVIIIe et XIXe, Jordi Savall a
donné un concert monographique consacré à Mendelssohn réunissant sans entracte
deux partitions contemporaines l’une de l’autre et composées en deux étapes, la
première pour orchestre seul célèbre la seconde étant un oratorio plus connu
pour son titre et son ouverture que par son contenu. C’est avec la Symphonie n° 3 en la mineur
« Ecossaise » op. 56 commencée en 1829 et achevée en 1842 que Savall a ouvert son programme, dans laquelle
Mendelssohn s’inspire des highlands et des brumes écossaises qu’il a découvertes
durant son premier séjour en Grande-Bretagne en 1829, jouant les quatre parties
sans interruption, incluant la reprise dans le mouvement initial, auquel Savall
et son orchestre ont donné toute son ampleur et sa diversité de couleurs et
d’atmosphères, sublimant le lyrisme rêveur et mélancolique du thème de l’Andante con moto introductif que l’on
retrouve dans l’Adagio qui débouche
ici sur un Allegro un poco agitato héroïque
et fougueux qui mènera l’Allegro final,
après l’avoir précédemment retrouvé dans le Vivace
non troppo exposé dès le début à la clarinette.
Mais le point cardinal de la soirée
était la cantate profane Die erste
Walpurgisnacht (La première nuit de
Walpurgis) op. 60 pour solistes,
chœur et orchestre composée en 1830-1831 et reprise en 1842-1843. Le
compositeur saxon illustre ici le poème éponyme de Johann Wolfgang von Goethe
contant les tentatives des druides des montagnes de Harz de pratiquer leurs
rites païens face aux forces chrétiennes dominantes. Comme toutes les œuvres
vocales de Mendelssohn, cette cantate est rarement programmée dans son
intégralité par les organisateurs de concerts. Composée en 1831, créée le 10
janvier 1833, révisée en profondeur dix ans plus tard, l’œuvre compte neuf
parties précédées d’une ouverture, morceau le plus souvent joué indépendamment
du reste de la partition, elle-même à programme puisque décrivant une tempête
et l’arrivée du printemps. Illustrant le poème éponyme que Goethe a inclus dans
son Faust qui conte l’une des fêtes
traditionnelles célébrant le passage de l’hiver au printemps, une nuit
d’épouvante et de beuverie qui a lieu chaque année durant la veillée du jour de
la sainte Walburge, entre le 30 avril et le 1er mai, durant laquelle
sorcières et démons se réunissent au sommet d’une montagne, le vieux Brocken
pour se livrer à une orgie lubrique et à une messe satanique, les paysans
traçant trois croix sur la porte de leur domicile afin que toute sorcière se
rendant au sabbat ne jette pas un mauvais sort sur les animaux de l’étable ou
les occupants de la maison. En fait, durant cette nuit-là, à travers rires et
chansons du peuple masqué en hommes-loups et en femmes-dragons pour chasser les
mauvais esprits, se fait entendre l’éclosion du mois de mai, les craquements
dus à la fonte de la neige et de la glace d’hiver recouvrant la forêt, tandis
que l’on célébrait aux temps anciens le dieu Wotan. Dans sa ballade pour son Faust, Goethe, qui avait songé que son
ami Carl Friedrich Zeller (1758-1832) la mette en musique, évoque les tensions
entre rites païens et chrétiens, les druides étant persécutés par les chrétiens
conquérants qui entendent imposer leur nouvelle religion, les adeptes des
premiers mettant au point un stratagème pour faire peur aux « idiots de
curés » en retournant contre eux leur propre croyance. Contacté par
Mendelssohn, Goethe l’informe que sa ballade « porte sur un phénomène qui
se répète constamment dans l’histoire universelle, lorsqu’une pensée ancienne
qui a fait les preuves de ses effets bienfaisants, est mise à l’écart,
repoussée, si ce n’est effacée, du moins reléguée dans de minuscules réduits
par des nouveautés. L’époque intermédiaire, durant laquelle la haine peut
encore s’opposer à l’oppression, est ici représentée de la façon la plus
prégnante, et alors un enthousiasme indestructible et joyeux s’embrase dans
toute sa splendeur et sa vérité. » Ce qu’a tiré Mendelssohn de ce récit
est si significatif qu’il ne manqua pas de susciter l’enthousiasme du plus
shakespearien des compositeurs, Hector Berlioz, qui écrivait que son confrère
allemand « en a tiré un parti admirable, sa partition étant d’une clarté
parfaite, malgré sa complexité, les effets de voix et d’instruments s’y
croisent en tous sens, se contrarient, se heurtent, avec un désordre apparent
qui est le comble de l’art ». Mendelssohn, dont la musique trahit la
sympathie qu’il voue aux païens aux dépens des chrétiens, dépeint, à la suite
d’une ouverture tonique, les actions et réactions des deux parties commençant
par un druide, qui entonne sur un ton bucolique une ode au joyeux mois de mai
et appelle le peuple païen à procéder à l’antique coutume sacrée en dépit de la
répression des chrétiens qui les menace, et que l’un d’entre eux invite à tourner
en dérision en mettant en scène des démons. Tandis qu’un bûcher est dressé, un
cortège infernal mine de se précipiter au-devant de l’assemblée, terrorisant
les gardes chrétiens.
De cette œuvre que l’on peut considérer comme le parangon du romantisme, Jordi Savall donne l’exacte dimension épique et la diversité d’inspiration et de ton, se faisant tour à tour et à la fois, souriant, léger, profond, grave, menaçant, facétieux, voluptueux, profondément imprégné de l’onirisme du temps de Mendelssohn, mettant en valeur une orchestration foisonnante, colorée, soulignant un élan hardi, véritable acteur voire instigateur de la narration, Le Concert des Nations d’avérant impressionnant de justesse et de précision. Le chœur La Capella Nacional de Catalunya, est comme toujours admirable de cohésion, confirmant ses immenses qualités de son, moelleux, charnu, luxuriant, ample, miroitant, coloré, brûlant, plein de vie, d’homogénéité, d’unité, de sûreté technique, d’allant, de virtuosité, les deux éléments réunis (chœur et orchestre) constituant un véritable entité ayant l’habitude de se produire ensemble avec les mêmes motivations, les mêmes objectifs sous la houlette de l’immense Jordi Savall, d’un humanisme à fleur de peau, dirigeant une ébouriffante bourrasque Kommt mit Zacken bissée à la fin du concert), le tout après une Symphonie « Écossaise » au cordeau. Comme toujours, le chef catalan s’est entouré d’un quatuor de grande qualité constitué de chanteurs fidèles, la brillante contralto vénitienne Sara Mingardo, dont le timbre charnel est si profond qu’elle a donné à sa partie de mezzo-soprano une brûlante sensualité, le ténor turc Ilker Arcayürek à l’intonation d’une chaleureuse humanité, le baryton bavarois Matthias Winckhler, fidèle de Savall aux graves magistraux, à l’instar de ceux de son comparse finlandais Arttu Kataja, au timbre plus abyssal encore.
Bruno Serrou
1) Joseph
Haydn, Die Jahreszeiten Hob.XXI:3 2CD
AliaVox AVSA9964
2) Sainte Walpurge est une abbesse anglo-saxonne morte en 779 en son abbaye de
Heidenheim (Allemagne) et canonisée au IXe siècle sous le pontificat
d’Adrien II (867-872)
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