lundi 20 octobre 2025

Retour glorieux et touchant après 36 ans d’absence de Daniel Barenboïm sur l’estrade de l’Orchestre de Paris

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mercredi 17 octobre 2025

Daniel Barenboïm, Orchestre de Paris
Photo : (c) Denis Allard

Concert émotion mercredi dernier à la Philharmonie de Paris avec le retour sur l’estrade du chef de l’Orchestre de Paris de son ex-directeur musical pendant quatorze ans, Daniel Barenboïm, qui n’était pas revenu pour le diriger depuis son départ en 1989. A 83 ans, fatigué mais heureux, il a dirigé deux symphonies de Beethoven, la « Pastorale » aux tempi étirés et aux élans apaisés, avec un mouvement lent dans la ligne de son modèle, Wilhelm Furtwängler, mais aussi dans celle de l’Otto Klemperer vieillissant, sa conception faisant presque un tour d’horloge, et une Septième plus dynamique et chantante mais retenue. Effectif de cordes brucknérien (16, 14, 12, 10, 8), disposé à l’allemande, contrebasses à gauche. Ovation debout dès l’apparition de Barenboïm et à l’issue de chacune des deux parties, comme si le public tenait à marquer de son empreinte ce qui lui apparaissait comme un adieu… 

Daniel Barenboïm, Orchestre de Paris
Photo : (c) Denis Allard

Voilà trente-quatre ans, Daniel Barenboïm quittait l’Orchestre de Paris, après quatorze ans de fructueuse collaboration pour chacun, l’un apportant à l’autre sa part dans la construction de sa réputation et dans l’élaboration de son répertoire, le musicien israélo-argentin, plus pianiste à l’époque qu’expert de la baguette - il s’était imposé comme pianiste dès l’âge de cinq ans -, ayant alors une courte expérience de chef d’orchestre - carrière qu’il a commencée en 1964 avec l’English Chamber Orchestra -, et la phalange parisienne ayant vu se succéder rapidement à sa tête trois de ses aînés à l’expérience incontestable mais n’ayant pas eu le temps de le former au grand répertoire, Charles Munch, son fondateur, Herbert von Karajan, son directeur artistique de 1969 à 1971 alors qu’il était l’époque le patron des Berliner Philharmoniker, du Festival d’été et du Festival de Pâques de Salzbourg, et Georg Solti de 1971 à 1975 parallèlement à l’Orchestre de Chicago qu’il gardera jusqu’en 1991 et à qui succèdera Daniel Barenboïm… En quatorze ans, jusqu’en 1989, l’Orchestre de Paris et Daniel Barenboïm allaient s’imposer peu à peu sur la scène internationale tout en se forgeant un répertoire, de l’ère classique à la création contemporaine, associant un chœur symphonique constitué de chanteurs amateurs confié à Arthur Oldham, et s’exerçant à l’opéra en fondant un Festival Mozart avec une trilogie Mozart/Da Ponte mise en scène au Théâtre des Champs-Elysées par Jean-Pierre Ponnelle avec les plus grands interprètes mozartiens du moment. En 1988, avec son ami Pierre Boulez et son comparse du Festival de Bayreuth Patrice Chéreau, il travaille sur le projet Opéra Bastille, qui avortera pour des raisons politiques, les pouvoirs publics préférant confier le nouveau bâtiment à un gestionnaire amateur d’art lyrique. Chacun des acteurs de cette aventure manquée allait poursuivre chacun de son côté leurs brillantes carrières, Barenboïm étant nommé dès 1989 directeur musical du Chicago Symphony Orchestra, prenant une fois encore la succession de Georg Solti en 1991… Puis ce seront Berlin, avec l’Opéra d’Etat et son Orchestre de la Staatskapelle dont il est chef à vie, et l’orchestre de jeunes israélo-palestinien West-Eastern Divan… Depuis lors, Daniel Barenboïm n’était jamais remonté sur l’estrade du chef pour diriger l’Orchestre de Paris, avec lequel il se sera néanmoins produit de temps à autre comme pianiste, par exemple en 2008 avec son confrère Christoph Eschenbach dans le Concerto n° 1 de Brahms.

Daniel Barenboïm, Orchestre de Paris
Photo : (c) Denis Allard

C’est avec Beethoven qu’il est revenu. Beethoven qu’il a beaucoup joué au piano et dirigé, parfois du piano - on se souvient de soirées au Châtelet dans le cadre d’une résidence de l’opéra Unter den Linden avec la Staatskapelle de Berlin d’une intégrale des concertos à laquelle il avait ajouté la Fantaisie pour piano, chœur d’hommes et orchestre, dirigeant le tout depuis le clavier - a été le figure l’unique compositeur programmé, avec deux de ses symphonies précurseurs du poème symphonique, la Symphonie n° 6 en fa majeur op. 68 « Pastorale » et la Septième en la majeur op. 92, qu’il a données dans leur ordre chronologique. Daniel Barenboïm a brossé de la « Pastorale » à la conception profonde et retenue, comme pour mieux faire chanter la nature qui ne cesse de le ravir et de l’étonner tout en étant porteuse de richesse éternelle suscitant  autant et à la fois les sens et la spiritualité, avec des contours forts sombres plongeant plutôt dans une forêt de quelque légende rhénane laissant percer de sublime raies de lumière, laissant chanter la nature en suscitant un rubato subtile qui étirait et contractait le temps de façon touchante.

Daniel Barenboïm, Orchestre de Paris
Photo : (c) Denis Allard

En termes de vitalité rythmique pure, peu d’œuvres atteignent l’exaltation démonstrative de la Symphonie n° 7 en la majeur op. 92 d’une allégresse proprement propulsive, au point que Richard Wagner la qualifia d’« Apothéose de la danse ». Pulsée par une dynamique mettant en évidence le chant onctueux né de l’inspiration du compositeur mais mise en relief par l’effectif étoffé des cordes, l’interprétation de Barenboïm et de l’Orchestre de Paris est montée peu à peu en puissance, le chef argentino-israélo-hispano-palestinien scindant l’œuvre en deux parties, les deux premiers mouvements s’enchaînant à l’instar des deux derniers, tandis qu’une respiration plus large aura séparé les deux blocs que Barenboïm a dirigés avec vivacité et le geste aussi économe que précis, formant une seule entité avec les musiciens de l’orchestre parisien de toute évidence heureux de jouer ces œuvres sous la direction de leur ex-directeur musical avec qui peu d’entre eux ont travaillé (1), l’interprétation se montrant énergique mais jamais frénétique, l’œuvre respirant au contraire largement. Une conception contenue mais engendrant un feu d’artifice de rythme et d’élan aussi communicatif que touchant, au point que sitôt l’œuvre achevée, le public, aussi ému que conquis, se leva sans attendre pour une ovation debout à laquelle le chef mit un terme en touchant avec le sourire le bras du premier violon solo invité, Sarah Nemtanu, qui prendra officiellement le poste en janvier prochain.

Bruno Serrou

Daniel Barenboïm conversant avec Pascal Moraguès
Photo : (c) Denis Allard

1) Sauf erreur ou omission de ma part, il semblerait que seul la première clarinette solo, Pascal Moraguès, entré dès 1981 à ce même poste à l’âge de dix-huit ans, a travaillé avec Daniel Barenboïm quand il était directeur musical de l’Orchestre de Paris

2) Au nombre de soixante (16, 14, 12, 10, 8), les cordes étaient disposées à l’allemande, ce qui est assez rare pour l’Orchestre de Paris, premiers et seconds violons encadrant violoncelles et altos, les contrebasses étant derrière les premiers violons

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