jeudi 15 février 2024

Pur enchantement de L’Orfeo de Monteverdi dirigé en poète par René Jacobs à la Philharmonie de Paris le jour de la célébration de l’Amour

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 14 février 2014 

René Jacobs, chanteurs solistes, Zürcher Sing-Akademie, Freiburger Barockorchester. Photo : (c) Bruno Serrou

Bonheur total que de retrouver à la Philharmonie de Paris René Jacobs diriger en poète en cette soirée de la Saint Valentin 2024 l’hymne à l’amour platonique qu’est L’Orfeo de Claudio Monteverdi, « favola in musica » en un prologue et cinq actes, avec en outre un finale inédit aux élans festifs dans une version semi-scénique. Le chef belge parisien était à la tête des excellents ensembles Freiburger Barockorchester et Zürcher Sing-Akademie qui entouraient une brillante distribution menée par le rayonnant Yannick Debus dans le rôle du chanteur poète thrace. 

René Jacobs, Freiburger Barockorchester. Photo : (c) Bruno Serrou

Certes, les dimensions respectables de la Salle Pierre Boulez de la Philharmonie sont, de prime abord, excessives pour une œuvre de la dimension de L’Orfeo de Claudio Monteverdi (1567-1643) conçue sur un livret d’Alessandro Striggio au tout début du XVIIe siècle pour une cour ducale, réunissant de ce fait-même un effectif réduit. D’autant plus qu’était ménagé au milieu de la salle un espace vide de tout public en raison des besoins du concert de musique contemporaine du lendemain… Mais le vaste espace ménagé par le grand vaisseau qu’est la Salle Pierre Boulez, aidée il est vrai par son acoustique exceptionnelle, s’est finalement avéré sans réelle incidence, d’autant moins que René Jacobs en a tiré profit pour spatialiser dans des proportions plus larges que spécifié par le compositeur. Ainsi, par exemple, la fanfare qui ouvre le prologue a-t-elle résonné depuis les dégagements du fond du parterre (de façon un peu trop sonore pour les spectateurs assis juste devant les souffleurs…). Une spatialisation qui se retrouvait sur le plateau, avec un dispositif permettant la libre circulation des instrumentistes, des choristes et des solistes autour, au milieu et devant les musiciens, ainsi que depuis les coulisses - Orfeo s’exprimant même depuis le public. Les vingt-six musiciens (deux flûtes, deux cornets, deux altos, deux violons, deux trompettes et cinq trombones, percussion au milieu) étaient eux-mêmes répartis sur la totalité du plateau, bois, cuivres, percussion, cordes aiguës le long du mur du fond, et au milieu du plateau trois groupes, de gauche à droite un premier réunissant orgue positif/clavecin, théorbe, harpe, un second devant le chef, théorbe, harpe, viole de gambe, le troisième viole de gambe, clavecin/orgue à soufflet, violoncelle, tandis que les solistes entraient et sortaient en fonction des didascalies figurant sur la partition, se mêlant aux quinze choristes et s’en détachant tour à tour, et jouant leurs personnages respectifs.

René Jacobs, Zürcher Sing-Akademie, Freiburger Barockorchester. Photo : (c) Bruno Serrou

Tant et si bien que ce que René Jacobs a donné hier s’est avéré être un véritable spectacle, les choristes se montrant même à l’aise dans la danse de fureur des bacchantes et des satires dans l’acte final. Et même avec l’orchestre, le regard du spectateur était pris par les déplacements réguliers d’un certain nombre d’instrumentistes. Pour la première fois, le défricheur invétéré qu’est René Jacobs, comme la plupart de ses confrères spécialisés dans la musique ancienne il est vrai, a proposé une reconstitution du dénouement qu’auraient pu entendre les témoins d’une représentation préliminaire de l’opéra donnée à l’Accademia degl’Invaghiti de Mantoue et ceux de la création théâtre de la cour de Vincent Ier le 24 février 1607, que Jacobs a introduite avant de retourner au finale connu de l’édition de Venise. Un finale qui aujourd’hui prête à sourire quand il est rappelé que si la femme est vouée à l’Enfer, l’homme est quant à lui destiné à rejoindre son père Apollon au Ciel… De quoi consterner les adeptes du mouvement MeToo… alors même qu’il est responsable du sort tragique de sa femme.

René Jacobs, Yannick Debus (Orfeo), Isabel Pfefferkorn (Euridice), Freiburger Barockorchester, Zürcher Sing-Akademie. Photo : (c) Bruno Serrou

Le geste clair, ample et lent, René Jacobs a donné une interprétation poétique et vivante du grand œuvre de Monteverdi, qu’il aime et connaît jusqu’au plus secret, une lecture d’une beauté pure, mêlant intimement comédie et tragédie avec un naturel confondant, mettant en évidence les infinies beautés de la partition et l’inventivité foisonnante de son auteur, qui aura ouvert dès ce premier chef-d’œuvre toutes les portes de l’opéra moderne. Les timbres d’une richesse et d’une variété luxuriante, le velouté des instruments et la précision de leurs titulaires du Freiburger Barockorchester n’ont cessé de fasciner tout au long des cinq actes de l’œuvre au point que l’on eût apprécié pouvoir retenir le temps tant il s’y trouve de merveilles. Chanteur, René Jacobs a toujours su réunir des distributions de très haut niveau. Huit des solistes, dont une membre du chœur à qui a été confié le personnage de la nymphe Euridice, se joignent aux quinze choristes quand leurs rôles ne sont pas actifs. Seul le ténor hambourgeois Yannick Debus est exclusivement voué au personnage d’Orfeo. Sa voix puissante et claire, son timbre solaire lui permettent de camper un musicien poète solide et touchant. Le contre-ténor italien Raffaele Pe est particulièrement à l’aise dans les trois rôles qui lui sont dévolus, La Musica, La Speranza et Il Poeta. Côté barytons, le biélorusse Nikolay Borchev est un Apollon magnanime, son homologue britannique Neal Davies un Plutone impressionnant, à l'instar du chilien Christian Penn en Caronte. Le ténor français Grégoire Mour excelle en Il Corego. Les rôles féminins sont remarquablement tenus par la mezzo-soprano autrichienne Isabel Pfefferkam (Euridice), tandis que la mezzo-soprano hollandaise Olivia Vermeulen brille en nymphe Silvia, à l’instar de la mezzo-soprano française Eva Zaïcik en Proserpina. 

Bruno Serrou

 

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