mardi 20 février 2024

Irrésistible « répétition générale avec piano » de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy Théâtre de l’Athénée

Paris. Athénée Théâtre Louis Jouvet. Grande Salle. Lundi 19 février 2024 

Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. Marthe Davost (Mélisande), Jean-Christophe Lanièce (Pelléas), Martin Surot (piano). Photo : (c) Guillaume Castelot

Le Théâtre de l’Athénée présente à Paris une production conçue sur l’initiative de la Fondation Royaumont de la réduction piano/chant de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy mise en scène de façon fine et sensible par le binôme franco-belge Moshe Leiser et Patrice Caurier dans un décor kitsch années 1950. 

Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. Marthe Davost (Mélisande), Jean-Christophe Lanièce (Pelléas). Photo : (c) Guillaume Castelot

Donné dans le cadre intime d’un salon décoré façon années cinquante du XXe siècle avec canapé et sièges en skaï des tout débuts d’Ikea telle une répétition privée dans la réduction pour piano et chant réalisée à cette fin par le compositeur publiée en 1902 et préservée par la Bibliothèque musicale François Lang de la Fondation Royaumont, le spectacle a la forme d’une répétition générale scénique avec piano. A tel point que, outre les accessoires et meubles répartis sur la scène délimitée par un mur blanc percé d’une porte centrale par laquelle entrent et sortent les protagonistes, le piano à queue de concert qui y est installé côté jardin entre également dans le mobilier, le dessus de son coffre servant d’aire de jeu pour les deux protagonistes centraux pour des scènes d’intimité particulièrement réussies, notamment celle de la Tour, avec la sensuelle évocation de la chevelure de Mélisande, ainsi que la violente scène de ménage Golaud-Mélisande qui se déroule sous le piano et derrière lui.

Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. Marthe Davost (Mélisande), Jean-Christophe Lanièce (Pelléas). Photo : (c) Guillaume Castelot

Moshe Leiser et Patrice Caurier avaient déjà réalisé une production inspirée du chef d’œuvre lyrique de Debussy en 2000 pour le Grand Théâtre de Genève dont ils reprennent cette fois encore la narration d’un drame bourgeois qui avait fait mouche à l’époque et qui reste parfaitement adaptée à ce qu’ils offrent à voir et à comprendre, associant le contexte de la vérité de la vie, avec une Mélisande enceinte dont le spectateur comme les protagonistes voient l’évolution, et celui du rêve voire du cauchemar suggéré mais prégnant, qui peut atteindre une violence hallucinante, particulièrement dans le comportement de Golaud. Au sein de ce décor simple et nu, les tensions du texte de Maeterlinck amplifiées par la musique de Debussy réduite au squelette des sonorités du seul piano qui, malgré les sonorités tour à tour limpides, cristallines, immatérielles, pleines, amples et larges suscitées par le toucher coloré et évocateur du solide Martin Surot, sont loin de suggérer la magie, les mystères, la sensualité miraculeuse de l’orchestre debussyste, sont magistralement mis en évidence par la direction d’acteur singulièrement efficiente de Leiser et Caurier dans laquelle la jeune troupe de chanteurs comédiens se fond avec souplesse et sensibilité. Les tensions humaines, la jalousie, le désir plus ou moins refoulé chez tous les personnages masculins, du grand-père Arkel jusqu’à l’arrière-petit-fils Yniold, sont remarquablement suggérés tout au long de l’œuvre. Mais le personnage le plus présent sans être incarné, est la mort, constamment évoquée et envahissante, mais jamais paralysante, puisqu’elle intervient finalement de façon naturelle, le moment le plus signifiant étant le passage des moutons partant à l’abattoir qui précède la scène d’amour puis la meurtre de Pelléas perpétré par son frère Golaud. Tout comme la musique, plus incarnée au piano qu’elle l’est à l’orchestre, la part de théâtrale de l’opéra est dans cette réduction plus réaliste et tangible, les protagonistes étant plus proches du public, leur jeu plus naturel, la distanciation étant réduite à néant, ou presque, la violence du propos se faisant plus prégnante que dans le contexte d’un grand théâtre d’opéra avec une grande fosse séparant la salle et le plateau. 

Claude Debussy (1862-1918), Pelléas et Mélisande. Marthe Davost (Mélisande), Jean-Christophe Lanièce (Pelléas), Hiladou Nombre (Golaud). Photo : (c) Guillaume Castelot

Au piano, l’endurant et inspiré Martin Surot (1), disciple de Jean-François Heisser, Marie-Josèphe Jude et Jacques Rouvier, dans le « rôle » du chef de chant porte et transporte une jeune distribution plus ou moins aguerrie mais littéralement imprégnée des personnages qui lui sont confiés et qu’elle incarne avec pertinence. En tête d’affiche, l’excellent baryton Jean-Christophe Lanièce, qui, après s’être notamment illustré dans l’Inondation  de Francesco Filidei et dans Les Eclairs de Philippe Hersant à l’Opéra-Comique, campe un ardent Pelléas donnant de sa voix soyeuse la diversité des aspects du personnage, idéaliste, généreux, élégant, perdu, et la soprano Marthe Davost, spécialiste de l’Ars Nova, qui est une Mélisande touchante, farouche, fragile et éthérée. Le baryton-basse Halidou Nombre est un Golaud tout en muscle et d’une force imposante, physiquement mais aussi vocalement, ce qui réfrène son nuancier qui reste constamment dans le registre de l’hyperbole sonore, ce qui laisse percer les limites de sa ligne de chant. Malgré son jeune âge, la basse Cyril Costanzo, formé au sein des Arts florissants de William Christie et de Paul Agnew, est un Arkel intense et profondément humain, trop épris, admiratif et tenté par sa petite-fille par alliance Mélisande. Révélation lyrique aux Victoires de la Musique 2021, la soprano Marie-Laure Garnier n’a pas « volé » son titre, incarnant de sa voix solaire une Geneviève pour qui on eût apprécié que Debussy développe son rôle, tandis que la mezzo-soprano Cécile Madelin est un Yniold spontané et fébrile.

Bruno Serrou

1) Le pianiste Jean-Paul Pruna, chef de chant principal du Grand Théâtre de Genève, assurera les trois dernières représentations, les 21, 23 et 25 février 2024

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