vendredi 30 juin 2023

"Zémire et Azor" d'André Grétry conclut en conte de fée la saison lyrique parisienne 2022-2023 Salle Favart

Paris. Opéra Comique, Salle Favart. Mercredi 28 juin 2023 

André Grétry (1741-1813), Zémire et Azor. Julie Roset (Zémire), Philippe Talbot (Azor). Photo : (c) Stephan Brion

C’est à l’Opéra Comique qu’est revenu le soin de présenter l’ultime nouvelle production lyrique de la saison parisienne : Zémire et Azor d’André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813). L’histoire de la Belle et la Bête façon Comédie-ballet de la fin du XVIIIe siècle  

André Grétry (1741-1813), Zémire et Azor. Philippe Talbot (Azor), Marc Mauillon (Sander). Photo : (c) Stephan Brion

Longtemps négligé en France, André Grétry a connu de son vivant un vif succès partout en Europe, plus particulièrement en France, où il s’installa en 1768. Né le 11 février 1741 à Liège, alors capitale de la Principauté épiscopale du même nom au sein du Saint-Empire romain germanique qui sera intégrée à la France de 1795 à 1814 avant d’être attribuée aux Pays-Bas puis de faire partie du Royaume de Belgique à sa création en 1830. Né de père violoniste, Grétry, qui n’avait aucune prédisposition pour la musique, découvre sa vocation à l’écoute d’opéras bouffes Italiens, si bien qu’il finit par faire des études de chant puis de basse continue et de composition, avant d’obtenir une bourse d’étude à Rome, où il reste cinq ans et compose ses deux premiers opéras, La Vendemmiatrice en 1765, et Isabelle et Gertrude créé en 1766 à Genève, où il devient l’ami de Voltaire alors âgé de 74 ans. « M. Grétry est de Liège, écrira Grimm ; il est jeune, il est pâle, blême, souffrant, tourmenté, tous les symptômes d’un homme de génie. Qu’il tâche de vivre s’il est possible ! » C’est avec le quatuor vocal « Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille » extrait de Lucile créé en 1769 dont la mélodie sera reprise par Henri Vieuxtemps dans l’adagio de son Concerto pour violon n° 5 qu’il s’impose définitivement. Suivront plus de quarante opéras comiques jusqu’en 1803.

André Grétry (1741-1813), Zémire et Azor. Julie Roset (Zémire), Philippe Talbot (Azor), les danseurs Alexandre Lacoste, Antoine Lafon (deux Génies). Photo : (c) Stephan Brion

Créé devant la cour réunie château de Fontainebleau le 9 novembre 1771, repris le 16 décembre suivant à la Comédie-Italienne, qui, devenue Opéra Comique, le maintiendra à l’affiche jusqu’en 1802, Zémire et Azor est le treizième ouvrage scénique de Grétry. Opéra-ballet en quatre actes écrit pour les fiançailles du roi Louis XVI et de Marie-Antoinette dont Grétry deviendra le compositeur favori, son sujet se fonde sur un livret de l’encyclopédiste Jean-François Marmontel (1723-1799), proche de Voltaire et antagoniste de Jean-Jacques Rousseau, lui-même inspiré par le conte de fées pour enfants La Belle et la Bête (1756) de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1711-1776) transposé dans l’Orient des Mille et une Nuits. L’écho de cette œuvre est tel qu’il sera pendant vingt-cinq ans le cinquième opéra-comique le plus joué en France et en Europe, touchant jusqu’à Mozart, qui acquit un exemplaire de la partition…

André Grétry (1741-1813), Zémire et Azor. Philippe Talbot (Azor), Michel Fau (une fée). Photo : (c) Stephan Brion

L’intrigue narre l’histoire d’un père commerçant malheureux en affaires (Sander), de ses trois filles (Zémire, Lisbé, Fatmé) et d’un prince hideux mais richissime qui s’avèrera charmant (Azor) dont le lien avec Cendrillon ne tient certainement pas du simple hasard. S’y ajoutent un esclave (Ali) et une Fée odieuse et anonyme. Mêlant poésie et humour, l’œuvre suit le parcours initiatique de Zémire et célèbre la pureté de ses sentiments, amour filial et un si grand amour qu’il transfigurera un monstre en prince charmant. L’on ne peut qu’être séduit par la beauté de la langue versifiée de Marmontel, que l’on se plaît à goûter à satiété dans les dialogues dont on ne se lasse pas, contrairement à ceux de trop nombreuses œuvres du genre.

André Grétry (1741-1813), Zémire et Azor. Philippe Talbot (Azor), Julie Roset (Zémire), Margot Genet (Lisbé), Marc Mauillon (Sander), Séraphine Cotrez (Fatmé). Photo : (c) Stephan Brion

Au sein d’une scénographie tenant de l’art naïf traversée d’apparitions roulantes et volantes conçue par Hubert Barrère - également auteur des costumes dans le même esprit - et Citronnelle Dufay qui donnent à la production un côté cucul-la-praline façon farce par Michel Fau, qui comme à son habitude, intervient dans son propre spectacle, cette fois en méchante fée ballerine travestie surchargeant assurément le trait aux côtés de deux danseurs accoutrés du même tutu noir que le metteur en scène. Il en résulte néanmoins un spectacle plein de charme, le passage du dialogue parlé au chant s’effectuant sans que l’auditeur y prenne garde, les transitions étant réalisées avec grand naturel. Ce qui n’était possible que par une collaboration étroite entre tous les membres de l’équipe artistique, du chef d’orchestre (Louis Langrée, également directeur de l’Opéra Comique) au metteur en scène (Michel Fau) en passant par le chef de chant et bien évidemment les chanteurs. 

André Grétry (1741-1813), Zémire et Azor. Sahy Ratia (Ali), Julie Roset (Zémire). Photo : (c) Stephan Brion

Ces derniers constituent une équipe très homogène avec la charmante et naïve Zémire de la soprano Julie Roset et l’Azor éperdu du ténor Philippe Talbot en scarabée noir qui se métamorphose à la fin en Luis Mariano dont il a le timbre vocal en plus étoffé. A leurs côtés, quatre personnages veules, le père Sander du baryton Marc Mauillon, qui excelle dans son emploi de vieillard faible et pitoyable, l’excellent ténor Sahy Ratia en esclave Ali pétochard mais prêt à tout pour complaire à sa maîtresse dont il est éperdument amoureux, et les sœurs Lisbé et Fatmé (qui ont tout des atours psychologiques des sœurs de Cenerentola, Tisbe et Clorinda dans l’opéra bouffe de Rossini créé quarante-cinq ans plus tard) tenus avec humour par la soprano Margot Genet et la mezzo-soprano Séraphine Cotrez. L’orchestre Les Ambassadeurs - La Grande Écurie joue avec entrain et ravissement la partie particulièrement inspirée que lui confie Grétry, sous la direction précise, vivifiante et solaire de Louis Langrée, qui met parfaitement en évidence l’élégance de la partition et l’alliage subtile entre déclamation et chant, texte et musique.

Bruno Serrou

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