mercredi 28 juin 2023

Rutilant concert Shakespeare du Met Orchestra et de son directeur musical Yannick Nézet-Séguin à la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mardi 27 juin 2023

Yannick Nézet-Séguin, Met Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Orchestre de fosse se produisant régulièrement en concert, soit sur le plateau du Metropolitan Opera de New York soit à Carnegie Hall ou en tournée, The Met Orchestra et son directeur musical, le Canadien Yannick Nézet-Séguin donnent cette semaine à la Philharmonie de Paris, entourés de quantité de leurs mécènes qui les accompagnent dans leur tournée, deux concerts aux programmes distincts autour de l’œuvre dramatique de William Shakespeare puis d'un programme Hector Berlioz (extraits des Troyens et la Symphonie fantastique).

Yannick Nézet-Séguin, Met Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Son ADN d’orchestre lyrique a conduit le Met Orchestra et son directeur musical Yannick Nézet-Séguin à présenter deux programmes judicieusement centrés sur la figure tutélaire de la langue anglaise, le plus grand poète dramaturge de l’idiome britannique, William Shakespeare (1564-1616), qui a inspiré un nombre considérable de musiciens de tous les pays et de toute envergure, de Thomas Morley et Henry Purcell à Pascal Dusapin et Thomas Ades pour ne citer que quatre parmi les dizaines de compositeurs qui, de la Renaissance à nos jours, auront posé leur musique sur les vers de l’auteur élisabéthain, rendant ainsi un juste hommage à celui qui célébrait la musique à travers quelques deux mille références, les premiers compositeurs à mettre ses vers en musique étant ses contemporains et compatriotes Thomas Morley déjà cité, Robert Johnson, John Dowland et William Byrd.  

Yannick Nézert-Séguin, Met Orchestra, public de la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Alexandre Wallon / Philharmonie de Paris

Devant un tel cursus, il est évidemment inévitable d’effectuer un choix drastique forcément frustrant, mais en deux soirées de deux heures, même aux forceps, il est impossible d'être exhaustif, même en ne sélectionnant qu’une seule mesure de chacun des compositeurs ayant puisé plus de quatre siècles durant leur inspiration chez Shakespeare.

Yannick Nézet-Séguin, Met Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Avant la symphonie dramatique Roméo et Juliette d’Hector Berlioz le mercredi 28 juin, le Met Orchestra a sélectionné pour le premier de ses deux programmes quatre partitions shakespeariennes d’autant de compositeurs des XIXe, XXe et XXIe siècles puisées dans quatre drames du dramaturge né dans le comté du Warwickshire, au centre de l’Angleterre. C’est avec la festive suite de Danses symphoniques de « West Side Story » que le célèbre compositeur chef d’orchestre Leonard Bernstein (1918-1990) tira en 1960 de sa comédie musicale West Side Story, adaptation de Roméo et Juliette dans le Bronx des années 1950 écrite en 1957 pour le chorégraphe Jérôme Robbins que Yannick Nézet-Séguin a débuté la première soirée. Se sont ainsi imposés dès les premiers instants une phalange typiquement états-unienne, malgré une disposition de ses effectifs de cordes à l’allemande, les violons se faisant face, les premiers à jardin les seconds côté cour, séparés par les violoncelles et les altos, contrebasses derrière les violoncelles et à côté des cors. Les sonorités de l’orchestre sont étincelantes, rondes, charnelles, parfois à la limite du clinquant mais toujours sûr, virtuose, extraordinairement musical et expressif, ne révélant pas la moindre faute d’attaque, le plus écart de justesse, le plus léger décalage. Une telle homogénéité est proprement fascinante. Après ces brillantes danses de Bernstein, Story, il a fallu traverser un tunnel dont la dizaine de minutes est apparue interminable, une musique mielleuse écrite au kilomètre dont seuls les Etats-Unis ont le secret, un « création » insipide d’un compositeur sans personnalité, l’ennuyeux Heath - King Lear Sketches (Bruyère - Fragments du Roi Lear) du compositeur Bostonien polymorphe Matthiew Aucoin (né en 1990, il est également chef d’orchestre, pianiste, écrivain, directeur de compagnie lyrique). L’œuvre qui suivait a a contrario soulevé l’enthousiasme, tant l’interprétation s’est avérée extraordinairement tendue, dramatique, déchirante, éperdue, brûlante, en un mot une hallucinante « ouverture-fantaisie » Roméo et Juliette de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893).

Yannick Nézet-Séguin, Met Orchestra, solistes d'Otello (à droite, Russell Thomas et Angel Blue). Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie était entièrement dévolue à l’Otello de Giuseppe Verdi (1813-1901). Au seul Acte IV hélas, car la distribution et l’interprétation enflammée qui étaient offertes par les forces du Metropolitan Opera étaient extraordinairement prenantes (mais il manquait ici les chœurs, qui tiennent une place considérable dans la partition de Verdi, seul l'acte IV en est dépourvu)...  Ce fabuleux quatrième acte d’Otello joué avec une tension inouïe par un orchestre de braise (magnifique cor anglais de Pedro R. Diaz) a été chanté par une distribution afro-américaine portée par une fulgurante Desdémone chantée par une solaire Angel Blue aux aigus rayonnants découverte à l’Opéra de Paris en Marguerite de Faust de Charles Gounod puis dans Tosca à Aix-en-Provence et avec qui Yannick Nézet-Séguin était venu à la Philharmonie en septembre dernier avec le Philadelphia Orchestra (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/09/le-philadelphia-orchestra-et-yannick.html) et, face à elle, un Maure de Venise puissant du ténor Russell Thomas, entendu pour la première fois à Paris cette sanson dans La Forza del Destino de Verdi à l’Opéra de Paris. Il est regrettable que les noms des cinq chanteurs qui complétaient la distribution n’aient pas pu figurer dans le programme de salle, et soient restés anonymes, particulièrement l’excellente Emilia… dont j'apprends le nom de la titulaire du rôle après publication du présent compte-rendu, Deborah Nansteel (mezzo-soprano), ainsi que ceux d'Errin Duane Brooks (ténor), Michael Chioldi (baryton), Richard Bernstein et Adam Lau (basses). 

En bis, Yannick Nézet-Séguin a dirigé une page d’orchestre de la première compositrice afro-américaine à avoir écrit et fait jouer une symphonie par un grand orchestre de son pays, le Chicago Symphony Orchestra, Florence Price (1887-1953), également organiste et pédagogue.

Bruno Serrou

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