mercredi 21 juin 2023

Sombre et brûlant Roméo et Juliette de Charles Gounod à l’Opéra de Paris de Garnier à Bastille magnifié par la déchirante Juliette d’Elsa Dreisig et son ardent Roméo, Benjamin Bernheim

Paris. Opéra national de Paris-Bastille. Mardi 20 juin 2023

Charles Gounod (1818-1893), Roméo et Juliette. Elsa Driesig (Juliette), Benjamin Bernheim (Roméo). Photo : (c) Vincent Poncet / Opéra national de Paris

Retour réussi à l’affiche de l’Opéra de Paris, où il a fait son entrée au répertoire le 28 novembre 1888, de Roméo et Juliette de Charles Gounod après trente-huit ans d’absence dans une noire coproduction avec le Teatro Real de Madrid

Charles Gounod (1818-1893), Roméo et Juliette, production de Thomas Jolly. Photo : (c) Vincent Pontet / Opéra national de Paris

L’on oublie trop systématiquement que Charles Gounod (1818-1893) n’est pas uniquement l’auteur de l’inoxydable opéra Faust et du néo-folklorique Mireille. Messe à sainte Cécile, Rédemption, Mors et vita sont d’oratorios significatifs. Parmi ses douze opéras, Roméo et Juliette, composé en 1866-1867 huit ans après Faust et trois ans après Mireille, constitue le troisième volet de ce triptyque lyrique universellement célèbre.

Charles Gounod (1818-1893), Roméo et Juliette, production de YThomas Jolly. Photo : (c) Vincent Pontet / OnP

Après avoir puisé dans des œuvres romanesques chez Wolfgang von Goethe puis chez Frédéric Mistral, le compositeur français se tourne vers le théâtre de Shakespeare déjà adapté avec succès par Vincenzo Bellini pour la scène lyrique en 1830 et Hector Berlioz en 1839 pour la symphonie qualifiée de « dramatique », pour ne citer que les plus célèbres aujourd’hui qui sont aussi celle qui ont marqué Gounod, le premier opéra référencé datant de 1776 sous le titre Julie and Romeo du Bohémien Georg Anton Benda (1722-1795). Créé avec dialogues parlés au Théâtre-Lyrique à Paris le 27 avril 1867 avec un tel succès qu’il fit aussitôt l’objet d’une parodie de Joseph Eugène Dejazet sous le titre Rhum et eau en juillet, l’opéra de Gounod se fonde sur un livret en cinq actes des célèbres duettistes Jules Barbier et Michel Carré adapté de la tragédie éponyme de William Shakespeare (1564-1616) publiée à Londres en 1597. L’ouvrage fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris le 28 novembre 1888 sous la direction du compositeur dans une version remaniée à laquelle a été ajouté un ballet. La résonnance de l’œuvre repose sur ses quatre duos et trois airs de Roméo « Ange adorable » à l’acte I qui précède le premier duo, « Ah ! Lève-toi soleil » à l’acte II qui prélude au deuxième duo, et « Salut tombeau… Ô ma femme, ô ma bien aimée » qui précède l’ultime duo « Viens ! Fuyons au bout du monde ! » au terme duquel les deux amants de Vérone se meurent, ainsi que ceux dévolus à Juliette, la valse du premier acte « Je veux vivre dans ce rêve », et la scène du philtre, « Amour ranime mon courage » dans le quatrième acte.

Charles Gounod (1818-1893), Roméo et Juliette. Elsa Driesig (Juliette). Photo : (c) Vincent Pontet / OnP

Si l’on voit beaucoup de balcon sur le monumental décor tournant de Bruno de Lavenère, ce n’est pas uniquement dû au lieu de l’action et à la fameuse scène du balcon, mais parce que le metteur en scène Thomas Jolly a été fort marqué par la période du confinement de 2020 qu’il a vécu dans son appartement doté d’un balcon sur lequel il a déployé en mars une nappe en papier sur laquelle il avait écrit « Ce soir. 21h. Théâtre au balcon, Roméo et Juliette », son compagnon danseur vêtu en Juliette. C’est donc dans le grand escalier du Palais Garnier et les balcons qui l’environnent transplantés sur la scène de l’Opéra Bastille qu’il situe la totalité de l’action, synthétisant ainsi son vécu de confiné et le cadre de la tragédie de Shakespeare, Vérone, et sa fameuse scène du balcon, naissance de l’amour dans le contexte de la mortelle pandémie de la peste qui bouleverse alors Vérone, fusion d’Eros et de Thanatos… Les lumières noir et blanc d’Antoine Travert amplifient l’effet d’oxymore voulu par le metteur en scène, rendant fantomatiques non seulement les personnages mais aussi leur environnement, les volumes du décor prenant amplement le tour de la demeure baroque imaginée par Alfred Hitchcock pour son terrifiant Psychose (1959-1960). La direction d’acteur est impressionnante de vérité, jusques et y compris la précision des réglages de la funeste querelle entre les Capulet et les Montaigu de la seconde scène de l’acte III. Intégrées au centre du décor plus ou moins placés sous la protection des violents éclairages de néons, les scènes d’amour sont clairement évoquées, à l’instar de la scène ultime du tombeau. Seul la seule partie du ballet retenue pour cette production, dans le second tableau de l’acte IV, réglée par Josépha Madoki, réunit une douzaine de « mariées » des deux sexes vêtu.e.s telle Juliette dont les pas sont loin d’être aériens tant les gestes sont lourds, ce qui suscite le seul moment qui détonne avec la profondeur et la vérité du propos.

Charles Gounod (1818-1893), Roméo et Juliette. Elsa Driesig (Juliette), Benjamin Benheim (Roméo). Photo : (c) Vincent Pontet / Opéra national de Paris

Les deux protagonistes des rôles titres forment un couple idéal. Non seulement ils sont séduisants et fort crédibles en jeunes gens sortant à peine de l’adolescence, mais leurs voix sont radieuses et parfaitement assorties, et ils s’imposent comme d’excellents comédiens. La soprano franco-danoise Elsa Dreisig est une merveilleuse Juliette, voix solaire, présence rayonnante, éperdument éprise du magistral Roméo du ténor franco-suisse Benjamin Bernheim, voix au velours délicat, ligne de chant sans faille, amoureux éperdu de sa jeune femme, chacun ayant des aigus clairs, solides, héroïques, étincelants. A leurs côtés, une distribution où se distinguent l’exquis Stephano de la mezzo-soprano franco-italienne Lea Desandre, les excellents Tybalt du ténor polonais Maciej Kwasnikowski, Benvolio du ténor français Thomas Ricart et Mercutio du baryton britannique Huw Montague Rendall. La basse française Jean Tietgen, bizarrement accoutré par la costumière Sylvette Dequest d’une soutane avec blaser serré brodé d’or, est un Frère Laurent à la voix large et ferme mais le chant un peu trop sonore, Laurent Naouri campe un Capulet physiquement froid et vocalement fragile, entrant ainsi en écho à l’oxymore voulu par le metteur en scène, la mezzo-soprano française Sylvie Brunet-Grupposo est une Gertrude à la voix solide et chaude mais aux graves trop poitrinés. Les personnages secondaires sont tous bien tenus, à l’instar d’un chœur impressionnant autant dans sa diversité que dans son unité, admirablement préparé par sa chef de chœur Ching-Lien Wu. L’excellent chef italien Carlo Rizzi, qui le dirige avec flamme, fait de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, jusques et y compris l’orgue préludant au second tableau de l’acte IV, un personnage à part entière et souligne la modernité de la partition, tant et si bien que l’on admire dans la fosse le sans faute de la phalange parisienne électrisée par la direction étincelante mais nuancée de Carlo Rizzi, qui se plaît clairement dans les arcanes de la musique richement instrumentée de Charles Gounod.

Bruno Serrou

Jusqu’au 15 juillet 2023. Attention, distribution alternée des trois principaux rôles. www.operadeparis.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire