jeudi 2 février 2023

Somptueux Orchestre de la Tonhalle de Zürich dirigé avec un bonheur communicatif par Paavo Järvi, avec un ludique alto d’Antoine Tamestit

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 1er février 2023

Paavo Järvi et le Tanhalle-Orchester Zürich. Photo : (c) Bruno Serrou

Après le départ de David Zinman, le Tonhalle-Orchester Zürich reste une extraordinaire phalange, sous la direction festive et d’une précision qui confine à l’exploit permanent de Paavo Järvi. La salle de la Philharmonie de Paris n’était malheureusement pas pleine, le public ne se bousculant pas, jugeant peut-être trop « difficile »… un programme il est vrai hors normes, réunissant Harold en Italie op. 16 d’Hector Berlioz et la version pour orchestre du Quatuor pour piano et cordes en sol mineur op. 25 de Johannes Brahms réalisée par Arnold Schönberg. 

Antoine Tamestit, Paavo Järvi, Tonhalle-Orchester Zürich. Photo : (c) Bruno Serrou

Prix de Rome, Berlioz se sentira tel un exilé durant son séjour à la Villa Médicis, et n’eut de cesse que de rentrer au plus tôt à Paris. Malgré des œuvres puisées dans la mythologie italienne, depuis l’antiquité jusqu’au romantisme, c’est principalement la littérature anglaise qui l’inspira. C’est à Shakespeare qu’il emprunte Roméo et Juliette, et c’est chez Byron qu’il puise l’essence de son Harold en Italie. Berlioz y expose néanmoins ses propres expériences italiennes, comme ses voyages dans les Abruzzes en 1833, avec le jeu des flageolets des paysans du sud de la péninsule dans le troisième mouvement. C’est en outre à la demande d’Arturo Paganini qu’il écrit cette œuvre. L’illustre virtuose souhaitait une pièce pour alto solo et orchestre dont Berlioz entreprit la composition dans les premiers mois de 1834. Mais le projet devint une symphonie concertante en quatre mouvements, « une suite de scènes auxquelles l’alto solo se trouve mêlé comme un personnage mélancolique dans le genre de Childe Harold de Byron ». Si bien que, déçu de ne pas voir arriver un concerto mais une symphonie avec alto obligé, Paganini renonça à la partition, et c’est Chrétien Uhran qui en assura la création le 23 novembre 1834 dans la salle du Conservatoire de Paris. 

Antoine Tamestit, Paavo Järvi, Tonhalle-Orchester Zürich. Photo : (c) Bruno Serrou

D’esprit plus ludique que mélancolique - sans pour autant trahir de Berlioz -, Antoine Tamestit s’est régalé ainsi que le public du son fabuleux de son alto de Stradivarius de 1672 dans Harold en Italie, apparaissant au fond du plateau, disparaissant côté cour, réapparaissant côté jardin en compagnie d’un trio à cordes qui venait de participer à l’exécution de l’œuvre depuis les coulisses, après avoir pris la poudre d’escampette lors du violant tutti de l’orchestre au début de l’orgie des brigands finale. 


Paavo Järvi, Tonhalle-Orchester Zürich. Photo : (c) Bruno Serrou

Contrairement à une idée reçue, peut-être en raison de sa proximité avec Gustav Mahler, Arnold Schönberg était plus proche de Johannes Brahms que de Richard Wagner, en dépit des querelles esthétiques qui faisaient rage à l’époque en pays germaniques. Preuve en est sa Nuit transfigurée op. 4 pour sextuor à cordes. En 1937, trois ans après une conférence qu’il avait prononcée « Brahms, le progressiste, et après s’être installé à Los Angeles acculé à l’émigration aux Etats-Unis après avoir été chassé par les nazis de son poste de professeur de composition au Conservatoire de Berlin, il accepta la demande du chef d’orchestre Otto Klemperer, lui aussi chassé par les nazis du poste de directeur artistique et musical de la Krolloper de Berlin, il s’attelait à l’orchestration du Quatuor pour piano et cordes n° 1 en sol mineur op. 25 composé par Brahms en 1861. Cette version orchestrale, plus schönberguienne que brahmsienne si l’on ne tient compte que des effectifs (bois par trois, avec les tessitures de la plus aiguë à la plus graves, cuivres par trois, avec quatre cors et un tuba, quatre percussionnistes et timbalier, cordes - 16, 14, 12, 10, 8), est bel et bien dans l’esprit du maître de Hambourg. Schönberg expliquait les raisons qui l’avaient conduit à choisir cette partition de son aîné : « Mes raisons : 1. J’aime cette pièce. 2. Elle est rarement jouée. 3. Elle est toujours très mal jouée, puisque plus le pianiste est bon, plus il joue fort […] Je voulais, pour une fois, tout entendre et j’y suis parvenu. Mes intentions : 1. Rester strictement dans l’esprit de Brahms […] 2. Observer strictement toutes les règles que Brahms observait. » 

Paavo Järvi, Tonhalle-Orchester Zürich. Photo : (c) Bruno Serrou

Sous l’impulsion ample et généreuse de Paavo Järvi, l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich a offert une dense, vibrante, flamboyante de cette « Ve Symphonie » de Johannes Brahms, jouant à satiété de la magistrale orchestration d’Arnold Schönberg, à la fois fluide, énergique, poétique, sensible. Chef estonien et son orchestre suisse réunissant cent musiciens de vingt nationalités différentes en ont saisi à bras le corps la vitalité et la fantaisie du quatuor originel, jusqu’au revigorant finale alla zingarese dans lequel la phalange zurichoise a brillé de tous ses feux, avec ses cuivres rutilants, sa percussion avec xylophone et glockenspiel enjoués, Schönberg se lâchant ici en conduisant musiciens et auditeurs loin de la palette sonore de Brahms…

Paavo Järvi, Tonhalle-Orchester Zürich. Photo : (c) Bruno Serrou

Clairement heureux de se retrouver sur le plateau de la Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, en plus devant le public parisien qui fut le sien lorsqu’il était le directeur musical de 2010 à 2016 de l’Orchestre alors installé Salle Pleyel, Paavo Järvi a ajouté au programme du concert deux bis de Danses hongroises de Johannes Brahms… A noter la disposition de l’orchestre (premiers violons, violoncelles devant les contrebasses, altos, seconds violons, tuba, trombones, trompettes et cors de cour à jardin) conforme à ce qui se faisait au XIXe siècle et jusque dans les années 1970, a apporté un supplément de relief par rapport au dispositif désormais standard. 

Bruno Serrou

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