vendredi 10 février 2023

Chaleureux hommage à la compositrice Betsy Jolas par la Fondation Louis Vuitton dans le cadre de l’exposition consacrée à son amie peintre Joan Mitchell

Neuilly-sur-Seine. Fondation Louis Vuitton. Auditorium. Jeudi 9 février 2023 

Bertsy Jolas (née en 1926) entourée des pianistes Lorenzo Soulès et Jean-Frédéric Neuburger. Photo : (c) Bruno Serrou

A 96 ans, Betsy Jolas est plus jeune que jamais. Preuve en est la qualité, l’inventivité, la fraîcheur de l’imaginaire de la compositrice franco-états-unienne à l’écoute des œuvres programmées par la Fondation Louis Vuitton dans le cadre de son exposition « Monet-Mitchell »(1) qui couvrent vingt-et-un ans de création (1987-2008), interprétées par de jeunes musiciens de grand talent, confirmant ainsi la jeunesse d’esprit et de créativité de Betsy Jolas.

Betsy Jolas entourée de ses interprètes à l'issue du concert Fondation Louis Vuitton. Photo : (c) Bruno Serrou

Betsy Jolas a toute sa légitimité parmi les événements organisés autour de cette exposition qui met en regard l’œuvre de sa compatriote peintre Joan Mitchell (1925-1992), son aînée d’un an qui choisit la France pour exprimer son art et y passer la dernière partie de sa vie. Passionnée depuis toujours par la peinture et par la sculpture, au point de transmettre cet amour à sa fille Claire, artiste peintre et graveur, Betsy Jolas a côtoyé Joan Mitchell lorsqu’elles habitaient toutes deux à Vétheuil, village du Val d’Oise de plus ou moins huit cents âmes où Claude Monet peignit quelques cent-cinquante tableaux. C’est son amie peintre qui a convaincu le mari médecin de Betsy Jolas de lui accorder un espace de travail, une « chambre à soi » afin qu’elle puisse composer sans être interrompue : « Si bien que mon mari m’a donc construit un studio dans notre maison, rappelle-t-elle, où personne ne me dérangeait. »
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Joan Mitchell (1925-1992), Quatuor II d'après l'oeuvre éponyme de Betsy Jolas (Centre Pompidou), entouré deux tableaux de Claude Monet, Saule pleureur et bassin aux Nymphéas et Nymphéas (musée Marmottant Monet), exposés à la Fondation Louis Vuitton. Photo : (c) Caroline Paux / Hans Lucas via AFP

Les relations étroites d’amitié qui ont lié Betsy Jolas et Joan Mitchell se retrouvent dans le polyptyque Quatuor II for Betsy Jolas peint en 1976, qui se réfère au Quatuor II de 1964 de son amie compositrice. Sur les quatre panneaux du polyptyque se déploie un immense champ coloré. Rythmé de blanc, de vert tendre, de bleu outremer, de violet et de vert, l’espace est totalement investi par l’action du peintre : la musicalité du geste devient gerbes nouées en dilatations épaisses, en ruissèlements… D’une grande vitalité, l’eau, la végétation, la voûte céleste évoqués poétiquement, et la luxuriance du tableau est un remarquable hommage à la compositrice. L’attrait de Joan Mitchell pour le caractère improvisé, intuitif de la peinture fait le lien avec la musique de son amie, marquée par la vocalité et la place laissée au chant sans paroles de son Quatuor II pour soprano colorature, violon, alto et violoncelle. Ce quatuor traduit le « sentiment de la nature » cher à Joan Mitchell, cet état fusionnel qu’elle entretenait avec ce qu’elle désignait comme ses « mauvaises herbes ».

Marie Vermeulin. Photo : (c) Bruno Serrou

Mais point de Quatuor II au sein du programme du concert du 9 février. En revanche, le choix s’est porté sur le trio à cordes Les Heures, projet originellement prévu pour le Domaine Musical à la suite d’une commande à Pierre Boulez, mais auquel la compositrice avait précisément substitué son Quatuor II et qui naîtra vingt-sept ans plus tard… à la suite d'une autre commande venue cette fois du Trio à cordes de Paris. La soirée s’est ouverte sur trois œuvres pour piano seul confiées à Marie Vermeulin, qui a entouré le délicat Signets, hommage à Ravel composé en 1987 par Betsy Jolas, qui y célèbre le compositeur né à Ciboure en « commentant avec amour quelques pages célèbres, marquées de longue date », de deux pages extraites de grands cycles pianistiques de deux des maîtres de la compositrice. Claude Debussy d’abord, avec La terrasse des audiences au clair de lune extrait du second livre des Préludes des plus suggestives sous les doigts de la pianiste, Messiaen ensuite, dont elle est l’une des éminentes interprètes actuelles au point d’être l’une des invitées privilégiées du Festival Messiaen au Pays de La Meije, avec Regard de l’Esprit de joie, volet central des Vingt Regards sur l’Enfant Jésus, magistralement jouée par Marie Vermeulin. 

Elisa Humanes et Jean-Frédéric Neuburger. Photo : (c) Bruno Serrou

Jean-Frédéric Neuburger et Elisa Humanes ont fusionné leur talent dans Music for Joan, œuvre pour piano et vibraphone emplie de sortilèges que Betsy Jolas a composé en 1988 à la demande expresse de Joan Mitchell, créée par Yvar Mikashoff et Jan Williams.


Les trois masques Christel Rayneau, Jean-Frédéric Neuburger et Christophe Beau. Photo : (c) Bruno Serrou 

C’est au grand plaisir du public que sont ensuite apparus trois musiciens portant des demi-masques noirs, conformément aux exigences du compositeur injustement trop méconnu en France, George Crumb (1929-2022) pour jouer de trop courts extraits du rutilant Vox balaenae composé en 1971 pour piano, flûte et violoncelle amplifiés dans lequel le compositeur étatsunien s’inspire en poète du son du chant des baleines à bosse. Deux membres de l’Ensemble Hélios, la flûtiste Christel Rayneau, magistrale, le violoncelliste Christophe Beau, également membre d’Accroche Note, précis et enjoué, et Jean-Frédéric Neuburger au toucher aérien, en ont offert une exécution chaleureuse et vive, non dénuée d’humour. 

Jean-Frédéric Neuburger et Lorenzo Soulès. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour clore cette première partie de concert, Jean-Frédéric Neuburger et Lorenzo Soulès, disciple de Pierre-Laurent Aimard et de Tamara Stefanovich, vainqueur du Concours d’Orléans 2022 que l’on eût apprécié écouter davantage, ont donné en première audition française l’ingénieux Teletalks composé en 2008 pour deux pianos où Betsy Jolas réadapte à sa façon généreuse et inventive, le coup du téléphone imaginé par Jean Cocteau et Francis Poulenc, en s’inspirant des appels téléphonique que ses parents et elle passaient dans les années 1930 depuis les Etats-Unis à sa famille restée en France.

Saskia Lethiec, Laurent Camatte et Christophe Beau. Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie du concert était consacrée à deux œuvres. La première, le Trio « Les Heures » pour violon, alto et violoncelle de Betsy Jolas évoqué au début de compte-rendu. Cette œuvre conçue en 1990 est dédiée au Trio à cordes de Paris, fait sonner au long des cinq mouvements de cette œuvre impressionnante les « riches heures » de la vie de la compositrice passée à l’écoute du monde. Laurent Camatte et son grand alto aux sonorités de velours, et Christophe Beau démasqué au violoncelle coloré, jouaient avec au violon Saskia Lethiec, dont on pouvait inlassablement admirer la dextérité avec laquelle elle maniait les savants collages de sa partition.

Elisa Humanes, Marie Vermeulin, Gisèle Barreau (née en 1948), Jean-Frédéric Neuburger et Vassilena Serafimova. Photo : (c) Bruno Serrou

Autre compositrice proche de Joan Mitchell dont elle a été l’assistante pendant les treize dernières années de la vie de l’artiste peintre, et qui en a été également la complice, dialoguant par œuvres interposées aux titres similaires dont la pièce proposée par ce concert est l’un des avatars, Gisèle Barreau a composé Blue Rain pour deux pianos et percussion en 1998, répondant ainsi diptyque éponyme de Mitchell. Impossible de comparer cette page à but pédagogique d’une vingtaine de minutes au reste du programme, tant la finalité de Blue Rain n’est pas la salle de concert mais celles des conservatoires. Impossible aussi de ne pas penser à son écoute à Béla Bartók, dont on entend de-ci-de-là d’inévitables échos de la Sonate pour deux pianos et percussion. Marie Vermeulin (premier piano), Jean-Frédéric Neuburger (second piano), Elisa Humanes (première percussion) et Vassilena Serafimova (seconde percussion) en ont donné une lecture rigoureuse et non dépourvue de musicalité, sans pour autant faire oublier la nature de cette partition.

Bruno Serrou

1) L’exposition « Monet-Mitchell » de la Fondation Louis Vuitton se termine le 27 février 2023. Courez-y !

 

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