jeudi 23 février 2023

CD : Beatrice Rana, dans un brillantissime dialogue avec le Chamber Orchestra of Europe et Yannick Nézet-Séguin, célèbre en poète le couple Robert et Clara Schumann en les réunissant avec ardeur par leurs concertos pour piano

Le couple Robert et Clara Schumann est l’un des plus mythiques de l’histoire de la musique. Rarement réunis pourtant au disque comme au concert, la pianiste italienne Beatrice Rana, l’orchestre européen et le chef canadien rebondissent sur la vague qui porte actuellement les musiciennes sur le devant de la scène pour offrir ce qui est indubitablement la version de référence du concerto de la muse de Johannes Brahms…

Née Clara Wieck (1819-1896), la femme de Robert Schumann (1810-1856) était une enfant prodige. Pianiste virtuose et compositrice, à l’instar de la sœur de Félix Mendelssohn-Bartholdy, Fanny Hensel-Mendelssohn (1805-1847), elle a été contrainte de s’effacer devant le génie de son mari à une époque où il n’était pas question qu’une femme compose. Tant et si bien que l’essentiel de son œuvre a été conçu avant son mariage, tandis qu’elle se consacrera totalement à la carrière de virtuose par la suite. Ainsi de son Concerto n° 1 pour piano et orchestre en la mineur op. 7, qui a été composé en 1833 par une jeune fille de 14 ans, et créé en 1835, cinq ans avant son union. Robert Schumann composera sa première œuvre pour piano et orchestre en 1841, un an après son mariage, avec une fantaisie, qui deviendra le mouvement initial de son unique Concerto pour piano et orchestre op. 54, écrit lui aussi dans la tonalité de la mineur, en 1845.

Réunir de nouveau le couple Robert et Clara Schumann par le biais de leur création est si évidente qu'elle en est finalement fort rare, la tradition étant bien ancrée d’associer le concerto de l’époux à celui qu’Edvard Grieg (1843-1907) composa en 1868 dans la même tonalité et d’une longueur comparable. Tandis que les concertos de Robert et Clara Schumann n’ont guère à voir l’un avec l’autre, excepté la tonalité, celui de l’épouse étant une œuvre de jeunesse et celui de l’époux une page de la maturité.

Beatrice Rana et Yannick Nézet-Séguin en répétition à Baden-Baden en juillet 2022. Photo : (c) EuroArts

Au sein d’une discographie sans stars pour le concerto de Clara Schumann, le choix de Beatrice Rana, lauréate à 18 ans du Concours de Montréal en 2011 et du Montréalais Yannick Nézet-Séguin associés au plus souple et polyvalent des ensembles instrumentaux internationaux, l’Orchestre de Chambre d’Europe fondé en 1981 avec le soutien de Claudio Abbado et Nikolaus Harnoncourt dont le chef canadien est membre honoraire à l’instar de feu Bernard Haitink et du pianiste hongrois Andras Schiff, est d’une importance considérable, car il peut attirer l’attention de quantité de mélomanes convaincus de l’intérêt de la découverte de la partition de Clara Wieck-Schumann interprétée par des musiciens de tout premier plan et d’une valeur artistique hors normes. D’autant plus qu’ils offrent à entendre est d’une poésie d’une ardeur désarmante tant le chant du piano, dans la partie duquel Beatrice Rana brille par sa virtuosité, et de l’orchestre - il faut à tout prix écouter dans le finale le duo du piano et du violoncelle solo qui annonce plus ou moins celui du Concerto pour piano n° 2 de Johannes Brahms - exaltent la force évocatrice et la spontanéité de ce concerto d’une fraîcheur juvénile saisissante, hors de toute ambition novatrice.

Si le choix de cette version du Concerto de Clara Schumann s’impose indubitablement, il s’avère a priori moins évident pour celui de Robert Schumann pour lequel la discographie est pour le moins encombrée, avec plus de deux cents enregistrements, dont une bonne trentaine de tout premier plan. Or, ce que donne à entendre ici la pianiste italienne est rien moins que somptueux ! Le toucher aérien de la pianiste italienne tire du clavier des sonorités délicates et d’une plénitude prodigieuse, des timbres d’une richesse inouïe, une tendresse onirique fabuleuse et une exaltation troublante tant il s’y trouve de passion, d’élan, de lumière évanescente.  

Pour compléter ce disque remarquable, Beatrice Rana offre une somptueuse lecture de l’arrangement pour piano seul du lied de Robert Schumann Widmung (Dédicace) première fleur du bouquet de la marier constitué de vingt-six lieder du recueil des Myrthen Op. 25 de 1840, année des noces de Clara Wieck et Robert Schumann.  

Bruno Serrou

1 CD Warner Classics 5054197296153. Enregistré au Festspielhaus de Baden-Baden du 8 au 10 juillet 2022. Durée : 57mn 22s. DDD

 


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