vendredi 12 décembre 2025

L’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä magnétisés par un impressionnant soliste de 24 ans, le violoniste suédois Daniel Lozakovich

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mercredi 10 décembre 2025 

Daniel Lozakovich, Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris
Photo : (c) William Beaucardet

Pénultième programme de l’année 2025 de l’Orchestre de Paris et dernier de ce millésime avec son directeur musical Klaus Mäkelä à la Philharmonie de Paris, avec un changement de soliste, le Suédois Daniel Lozakovich, avec qui Klaus Mäkelä, à la tête de l'Oslo Filharmonien avait donné à la Philharmonie de Paris le Double Concerto de Brahms dirigé depuis le pupitre de violoncelliste en juin 2024, remplaçant cette fois Janine Jansen, ce qui aura entraîné un changement de concerto pour violon, le premier de Bruch se substituant à l’unique de Brahms 

Ellen Reid, Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris
Photo : (c) William Beaucardet

Comme la semaine dernière, le concert de ce mercredi a commencé par une première française d’une commande groupée de quatre orchestres que Klaus Mäkelä connaît bien (Amsterdam, Paris, Los Angeles, Helsinki, auxquels s’est ajouté cette fois le Carnegie Hall de New York), Body Cosmic de la compositrice états-unienne Ellen Reid (née en 1983). Cette « méditation sur le corps humain dans la création de la vie et l’accouchement » en deux parties d’un quart d’heure au total dépeint une grossesse, de la conception à la naissance, exprimée par le biais d’un grand orchestre, pièce qui n’a pas ni la puissance expressive ni la créativité de Kaija Saariaho dans Adriana Mater, qui avait consacré une partition au même moment de la vie d’une femme.

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris
Photo : (c) William Beaucardet

En seconde partie l’unique Symphonie, en ré mineur de César Franck, qui en dirigea la création le 17 février 1889 Salle du Conservatoire à la tête de l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire. Cette œuvre de forme cyclique, au point de sembler l’être de façon excessive, engendrant de ce fait une réelle lassitude de la part de l’auditeur si chef et orchestre ne prennent pas garde à varier les contrastes de couleurs et de dynamiques, au risque parfois de la rendre grise, a ce mercredi soir paru au contraire se régénérer au détour de chaque phrase, nerveuse, chantant avec allégresse, l’orchestre répondant avec enthousiasme et une dynamique des contrastes d’une grande diversité, l’œuvre devenant particulièrement séduisante, empreinte de vagues sombres percées de jets de lumière, et moelleuses.

Daniel Lozakovich, Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris
Photo : (c) William Beaucardet

Mais le moment le plus précieux de la soirée a été le Concerto n° 1 pour violon et orchestre en sol mineur op. 26 de Max Bruch interprété avec poésie et émotion par le jeune violoniste suédois né avec le siècle, Daniel Lozakovich, disciple de Josef Rissin à la Hochschule für Musik de Karlsrhuhe, qui ont remplacé le Concerto en ré majeur op. 77 de Johannes Brahms initialement prévu et Janine Jansen, malade. A l’instar de celui de Brahms, composé en 1878, le premier concerto de Bruch, né douze ans plus tôt, a été composé avec le concours du même grand virtuose allemand Joseph Joachim (1831-1907), à qui il est naturellement dédié. Après une première version créée le 24 avril 1866 à Coblence sous la direction du compositeur avec Otto Friedrich von Königslöw (1824-1898) en soliste, Bruch retoucha l’œuvre à deux reprises, la version définitive étant donnée le 7 janvier 1868 par Joseph Joachim dirigé par le compositeur Carl Martin Reinthaler (1822-1896). L’œuvre compte naturellement trois mouvements, le premier étant précédé d’une Vorspiel (Introduction) adoptant la forme rhapsodique, le mouvement, Allegro moderato relativement court, s’ouvrant sur deux coups de timbales pianissimo qui préludent au thème principal exposé par les bois repris par le violon solo qui improvise librement sur lui, tandis que se présente un second thème à l’orchestre qui mène directement au mouvement central, un Adagio singulièrement lyrique en forme de romance élégiaque dans lequel le violon solo expose une cantilène onirique et rêveuse accompagné délicatement par l’orchestre. Introduit par un thème passionné aux élans populaires, le finale, partie la plus développée de l’œuvre, est particulièrement dansant et technique, le soliste devant affronter une rythmique serrée et des jeux de doubles cordes particulièrement exigeants, et variant le thème principal tout en introduisant un thème secondaire aux contours festifs et compacts, avant de conclure sur un tempo presto stretta majestueux et virtuose confié aux deux entités du concerto, l’orchestre et le violon. Daniel Lozakovich, que le public de la Philharmonie de Paris a découvert le 4 juin 2024 dans le « Double » de Brahms avec l'Olslo Filharmonien (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/06/les-flamboiements-de-johannes-brahms.html), a donné la primauté au chant pour une interprétation d’un onirisme absolu, s’exprimant avec une ardeur et une chaleur d’une profonde humanité, particulièrement dans l’Adagio central d’une lenteur quasi extatique pouvant paraître excessive, tant le phrasé était proche de l’asphyxie, mais éminemment délectable, archet aérien extirpant brillamment des cordes du Stradivarius de 1713 des sonorités de braise, tandis que les musiciens de l’Orchestre de Paris, notamment les cordes, onctueuses, enveloppaient et dialoguaient avec bonheur avec le jeune soliste qui, à vingt-quatre ans, atteste d’une maturité éblouissante teintée d’une pimpante spontanéité. Daniel Lozakovich a donné en bis l’Adagio initial de la Sonate n° 3 de Johann Sebastian Bach.

Bruno Serrou

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