mercredi 10 décembre 2025

Découverte de l’île de Robinson Crusoé de Jacques Offenbach dans la vivifiante production de Marc Minkowski et Laurent Pelly au Théâtre des Champs-Elysées

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Vendredi 5 décembre 2025 

Jacques Offenbach (1819-1880), Robinson Crusoé
Photo : (c) Vincent Pontet

Découverte vendredi d'un opéra-comique de Jacques Offenbach, Robinson Crusoé au Théâtre des Champs-Elysées, animé par les deux compères particulièrement inspirés par ce répertoire qu’ils défendent avec force et passion depuis une trentaine d’années, Marc Minkowski et Laurent Pelly. L’action se déroule dans un appartement de l’enfance de Robinson, entouré de ses parents, puis dans des tentes de SDF et de réfugiés au pied de buildings new-yorkais en verre, puis sur l’île habitée de sauvages cannibales hantée par une horde de Trump menaçants, happy end, Crusoé et sa promise Edwige montant sur un navire qui les ramènent chez eux comme émergeant d’un rêve. Un livret ayant du mal à démarrer, mais une musique d’une grande variété, plongeant dans toute la création d’Offenbach, annonçant même les Contes d’Hoffmann, une orchestration magistrale avec des solos de violoncelle, de cor et de hautbois de toute beauté. Les Musiciens de Louvre excellent, bien que parfois trop fort, ressenti peut être dû à la place du balcon où j’étais installé, chœur Accentus d’une homogénéité exemplaire, distribution de haut vol, avec une fantastique Julie Fuchs en Edwige, un touchant Vendredi d’Adèle Charvet, le séduisant ténor Sahy Ratia en Robinson, avec à leurs côtés les excellents Marc Mauillon (Toby), Rodolphe Briand (Jim Cocks), Emma Fekete (Suzanne) et Laurent Naouri dans le trop court rôle du père de Robinson, Sir William Crusoé

Jacques Offenbach (1819-1880), Robinson Crusoé 
Photo : (c) Vincent Pontet

Opéra-comique en trois actes et cinq tableaux, Robinson Crusoé a été créé Salle Favart le 23 novembre 1867, son auteur, Jacques Offenbach, est alors au faîte de sa gloire. Tiré du livre éponyme qui fait aujourd’hui encore la gloire de l’écrivain aventurier britannique Daniel Defoe (1660-1731) publié en 1719 qui avait déjà inspiré en 1805 Alexandre Piccinni (1779-1850), le livret a été conçu par Eugène Cormon (1810-1903) et Hector Crémieux (1828-1893). Restée en retrait dans la riche production d’Offenbach (1), cette œuvre n’en regorge pas moins de trouvailles musicales et de scènes savoureuses, comme celle du pot-au-feu où l’on apprend que le cannibalisme a été inventé par un prêtre missionnaire. L’initiative de ce retour à la scène revient à trois théâtres, dont celui qui correspond à la réputation du compositeur rhénan, celui de « Mozart des Champs-Elysées » qu’il acquit de son vivant avec une excellente distribution menée de façon festive et élégante par un tandem qui a toujours servi Offenbach avec diligence et talent, Marc Minkowski et Laurent Pelly, qui se retrouvent autour d’Offenbach après Orphée aux Enfers, le premier en 1998, suivi de les Contes d’Hoffmann, la Belle Hélène et la Périchole. Tous deux, entourés d’une distribution de premier plan s’exprimant au sein d’une une scénographie de Chantal Thomas, ont permis à cette partition méconnue de s’imposer au sein de la production d’Offenbach comme une œuvre de premier rang, mettant en évidence le côté rêveur du personnage plutôt que son côté introspectif et philosophe que lui avait donné Defoe. Décidant de son propre chef de partir à l’aventure après de tristes adieux à ses parents, le héros quitte la maison familiale de Bristol et, suite à une attaque de pirates, se retrouve sur une île déserte, à l’embouchure de l’Orénoque, mais ici plus proche d’un New York hanté par Donald Trump. Il y vit avec Vendredi, qu’il a arraché des mains de cannibales, les Pieds-Verts. Empêtré dans ses illusions, il trouve en Vendredi un compagnon plein d’humour et d’humanité, tandis que Jim Cocks, émigré lui aussi, ne doit sa survie qu’au fait d’être devenu le maître de cuisinier des anthropophages dans un usine alimentaire à l’enseigne fluo géante de EAT. L’irruption d’Edwige, sa fiancée venu à sa recherche pourchassée par une tribu de cannibales avides de chair fraiche et d’une bande de pirate en quête de trésors, le ramènera à la réalité. A sa création, bien que servie par une équipe artistique prestigieuse, l’œuvre rencontre un succès mitigé, la critique se moquant des prétentions au sérieux de celui qu’elle considère comme un amuseur et le public se trouvant déconcerté par le mélange des genres.

Jacques Offenbach (1819-1880), Robinson Crusoé
Photo : (c) Vincent Pontet

Malgré le soin apporté par Laurent Pelly efficacement soutenu par son complice Marc Minkowski, de ses Musiciens du Louvre et du chœur Accentus, il faut un acte entier au spectateur pour entrer pleinement dans l’action. D’autant plus que pour qu’il n’y ait qu’un entracte, la représentation souffre d’un évident déséquilibre entre les deux parties qui en résultent. Dans un premier temps, l’intérêt  du spectacle tient principalement de la musique d’Offenbach, avivée par la direction alerte de Minkowski et aux Musiciens du Louvre qui servent avec allant la partition qui recèle quantité de pages symphonique de grande qualité, ce qui insuffle un élan théâtral que Pelly a plus ou moins de difficultés à instiller dans un premier temps. L’acte initial se déroule dans l’appartement familial de Robinson, présenté sous différents angles par la grâce d’un plateau tournant, tandis que l’île de Robinson est constituée de tentes de réfugiés à portée de buildings de verres, le metteur en scène scénographe insistant ainsi sur le fait qu’à ses yeux les SDF sont aujourd’hui les naufragés de la société de consommation. Il faut attendre l’arrivée du personnage loufoque de Jim Cocks pour que le théâtre prenne corps, sa chanson du pot-au-feu préparée aux petits oignons faisant mouche, le titulaire du rôle, Rodolphe Briand, prenant plaisir à en souligner le fantasque. A partir de ce moment, les gags se succèdent à bâtons rompus pour culminer dans une valse d’Edwige jubilatoire rondement menée par une Julie Fuchs inénarrable en clone de mannequin californien dotée d’une voix malléable et d’une beauté plastique toujours exceptionnelle au service de coloratures d’une agilité et d’une précision saisissantes. Face à elle, le Vendredi pimpant d’Adèle Charvet, fougueux et pétulant, à la voix ample au timbre de braise, Au sein de cette distribution de haut rang, l’on  retrouve trop brièvement un duo de chanteurs aux tempéraments généreux qui s’illustrent depuis des années dans ce type de répertoire, le baryton Laurent Naoury en Sir William Crusoé, ainsi que la mezzo-soprano Julie Pasturaud en Deborah, tandis que leur progéniture, Robinson, Il est brillamment campé par l’excellent ténor malgache Sahy Ratia, timbre délectable, voix particulièrement flexible, candeur juvénile, tandis que le timbre clair de Marc Mauillon en Toby, ami de Robinsion, et Emma Fekete en Suzanne sa fiancée dotée d’une voix de soprano aérienne, excellent dans la seconde partie du spectacle, en particulier dans un irrésistible duo du sacrifice.

Jacques Offenbach (1819-1880), Robinson Crusoé 
Photo : (c) Vincent Pontet

Après le Théâtre des Champs-Elysées, cette production réalisée en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane, se rendra à Angers, Nantes, Rennes

Bruno Serrou

1) L’œuvre n’avait pas été donnée à Paris depuis 1986 dans une production mise en scène par Robert Dhéry 

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