Paris. Opéra Bastille. Mardi 11 novembre 2025
Après la déception de Das Rheingold, plus convaincante a été la première
journée de l’Anneau du
Nibelung de Richard Wagner à l’Opéra
national de Paris dans la nouvelle production Pablo Heras-Casado / Calixto Bieito
musicalement plus satisfaisante que Das
Rheingold la saison dernière,
direction plus dynamique et contrastée, orchestre plus léger et fruité, mais
manquant encore de poésie et d’humanité, mais s’il y en avait cela formerait
hiatus avec la mise en scène froide et guerrière où la notion d’amour est quasi
inexistante s’il n’y avait Sieglinde et Siegmund. Wotan tue lui-même son fils,
Brünnhilde tente de trucider son père, les Walkyries sont des candélabres, les
images vidéos sont invasives et souvent illisibles… La distribution est d’un
excellent niveau, avec trois chanteurs entendus dans cette œuvre au Théâtre des
Champs-Elysées en mai dernier avec l’Orchestre de Rotterdam dirigé par Yannick
Nézet-Séguin, mais peut-être un peu moins à l’aise dans le vaisseau Bastille que
dans le cocon élyséen, un ardent Siegmund de Stanislas de Barbeyrac, une
rayonnante Sieglinde d’Elza van den Heever et une Brünnhilde passionnée de
Tamara Wilson. Christopher Maltmann a assuré en Wotan, remplaçant au dernier
moment Iain Paterson. Orchestre parfait
C’est le premier Ring complet que dirige en public Heras-Casado, et il précède de deux ans celui qu’il dirigera pour la première fois dans la fosse du théâtre du compositeur, à Bayreuth. La toute première était chez lui, en Espagne, au Teatro Real de Madrid, mais en pleine période de confinement dû à la pandémie de la Covid-19, en 2020, dans une mise en scène de Robert Carsen. « Pour moi c’étaient des conditions idéales pour me mesurer à un tel chef-d’œuvre en plus dans une maison que j’adore et que je considère encore comme ma maison. J’ai ainsi eu la chance de pouvoir faire un volet par saison en quatre ans, chacun pour neuf représentations, mais il n’a pu être donné en entier en une fois, Siegfried et Götterdämmerung pendant la pandémie. On avait disséminé l’orchestre partout dans le théâtre, percussions, harpes, cuivres sur les balcons, l’orchestre divisé au milieu du public. Ce fut un vrai défi, pour les chanteurs, qui ont répété avec es masques, pour le public qui nous a accompagnés avec des masques aussi, qui n’avait pas vu de Ring dans le théâtre madrilène depuis quelques vingt-cinq ans. Dans l’orchestre, une petite dizaine de musiciens avaient déjà eu l’occasion de le jouer en entier. Cette fois c’est le deuxième Ring, et mon troisième sera à Vienne en mai-juin 2026 pour la dernière reprise de la mise en scène d’Ersan Mondtag, puis ce seront deux cycles complets à Paris en novembre 2026, et Bayreuth en 2028.
Heras-Casado est un chef ouvert à tous les répertoires, du baroque au contemporain. « Wagner est un sommet dans ma vie. J’ai commencé à le diriger à un moment que j’avais dirigé presque tout le répertoire avant et après lui, dans le domaine de l’opéra, dans le domaine symphonique, la musique allemande, j’ai dirigé de façon obsessionnelle le répertoire romantique, et la musique radicale, nouvelle, révolutionnaire avant et après Wagner, et c’était très logique d’aborder Wagner, très organique mais en même temps c’était un univers qui pour moi était un défi énorme. Cela fait déjà douze ans que j’ai commencé avec tous les douze mois un nouveau projet Wagner. Pour moi c’est un sommet et ça me donne encore toujours l’opportunité de me poser des questions, de revisiter, de douter et de remettre en question ce que j’ai cherché toute ma vie, pour moi c’est un plus vital et artistique que j’ai eu toute ma vie. , et Wagner me donne ça tout le temps. » Liu qui connaît bien Monteverdi, fait le lien avec Wagner. « Monteverdi dès l’origine a porté l’opéra à son sommet. Il a enrichi le récitatif continu avec des harmonies incroyables et inimaginables à l’époque, comme Wagner, avec des sonorités, des dissonances, des sonorités instrumentales. Dans Orfeo il a déjà ajouté un orchestre est inimaginable à l’époque, avec des recommandations très précises inédites à l’époque, un usage des cuivres et des cordes remarquables, pour soutenir le discours dramatique, pas uniquement pour servir de décoration, et Wagner fait exactement la même chose avec son instrumentation. Sur le Ring, ce n’est pas uniquement une question de grandeur, de faire beaucoup de bruit, il a besoin de tous ces éléments pour la narration et en plus chez Monteverdi chaque décision musicale est justifiée par la narration comme chez Wagner ? Il n’y a jamais un air, jamais un moment gratuit pour faire plaisir à un artiste ou au public. C’est toujours une question de dramaturgie, le rythme, dans l’obsession de Wagner que le rythme rhétorique du texte soit organique avec l’orchestre et es chanteurs. Wagner était obsédé par le sujet, ce ne sont pour lui jamais un air, pas même « Winterstürme wichen » de Siegmund dans Die Walküre, cela reste toujours dans le domaine du récit, ou la scène du deuxième acte entre Brünnhilde et Siegmund et l’annonce « je dois te tuer et tu dois renoncer à Sieglinde, c’est un dialogue, même si c’est tellement beau, d’un lyrisme céleste, mais Wagner insiste sur le fait que ça doit toujours rester un dialogue. Il est obsédé par la question, il a fait beaucoup de remarques sur ce sujet. Et il a raison. On a en tant que chef, musiciens, chanteurs, on a toujours l’impression de plonger dans la beauté ou la grandeur de la musique, mais non c’est toujours narratif. Monteverdi et Wagner ont ce point en commun. »
Si dans Das Rheingold en janvier dernier, muselé par la mise en scène, Pablo Heras-Casado est passé à côté de la partition, bien que de son propre commentaire le prologue tienne plus encore de la narration que les trois volets de l’Anneau du Nibelung, le premier d’entre eux, Die Walküre, est un « authentique opéra » dont le deuxième acte dépasse à lui seul fait les quatre vingt dix minutes dominé d’entrée par un véritable juge de paix, si l’on peut dire, que constitue le grand monologue de Wotan au risque d’un long tunnel, ce qui, musicalement, n’a pas été le cas avec la direction dynamique et imagée du chef andalou. « Ce sont précisément ces moment-là que l’on aime en tant que musicien, s’enthousiasmait Heras-Casado lorsque je le rencontrais quelques jours avant la première. J’ai toujours énormément de plaisir à diriger de tels moments, à soutenir la narration, ce qui est au fond très simple avec les trombones, les tubas Wagner, les altos, les violoncelles, les contrebasses, c’est sombre mais magnifique, toute la tension qui s’accumule est ahurissante. Pour la fin de cette scène, c’est extraordinaire de maintenir le débit du discours, ces deux êtres qui ne se comprennent pas, Wotan et Brünnhilde, est la vie-même. Dans Siegfried, Wagner le fait aussi plusieurs fois, ainsi que dans le prologue de Götterdämmerung avec ses flash-backs. Toute La Walkyrie est d'une grande dynamique. Que ce soit le volet le plus populaire du cycle est donc compréhensible. Une leçon très importante d’humanité est la présence des Wälsungs Sieglinde et Siegmund, les seuls véritables représentants du genre humain suscite par leur présence-même des moments de beauté mélodique, instrumentale exceptionnels, et cette humanité qui émane de cette musique brutale, sombre, cruelle, dure, menaçante, se transforme dès qu’il s’agit des jumeaux. Avec Sieglinde et Siegmund, la beauté, l’amour sont omniprésents, il y a toujours un espace pour les sentiments vrais. Brünnhilde est de la même eau, authentique, attachante, sympathique, et à la fin, elle fait flancher Wotan, qui se préoccupe du sort de sa fille en montrant sa faiblesse et son amour. » Ainsi, dès l’orage du prélude, les éclairs transpercent l’espace Bastille avec une force spectaculaire, et l’on ne cesse de goûter le riche et dense nuancier expressif qu’Heras-Casado sollicite d’un bout à l’autre de l’œuvre, que ce soit dans les moments les plus intimes, les élans de tendresse amoureuse, les tensions les plus exacerbées mues par une direction énergique et tendue, au risque parfois d’attaques manquant de précision et de franchise.
Ce que conte la fosse par le biais de Heras-Casado forme hiatus avec ce que donne à voir Calixto Bieito. Après avoir plombé Das Rheingold (http://brunoserrou.blogspot.com/2025/02/un-frustrant-rheingold-prelude-au.html), entraînant le chef et l’orchestre dans une quasi léthargie, le metteur en scène castillan renouvelle la frustration du public en allant à l’encontre de ce que donne à entendre la fosse et musèle une distribution pourtant excellente. Placé dans un décor métallique post-apocalypse nucléaire de Rebecca Ringst surplombé d’un mur de niches verticales, avec au premier acte les vestiges d’un arbre et la carcasse d’un bélier ou cervidé constituent les seules traces de la nature d’où est pourtant censé émerger Siegmund pourchassé, l’action de l’acte initial se déploie sous le regard de caméras espionnant des êtres mus par la peur, écrasés par un décor de fin du monde. L’acte central se déroule dans un Walhalla transformé en centrale informatique envahie par des réseaux de câbles ramenés par les Nibelung depuis le Nibelheim et délaissés par le géant Fafner à l’issue de L’Or du Rhin, tandis que Wotan semble plus préoccupé au début du deuxième acte par les vas et viens d’un chien-robot (E-doggy) qu’il manipule pour taquiner ses visiteurs que par ce qui se passe autour de lui, tandis qu’au troisième acte, il déconnecte l’une après l’autre les Walkyries humanoïdes avant de s’occuper du sort de la même Brünnhilde qu’il isole dans une niche au sommet d’une vaste structure métallique d’une friche délabrée post-industrielle qui forme le châssis des décors de l’opéra entier.
La direction d’acteur est si bien réglée qu’elle souligne les contre-sens, à commencer par le duo des jumeaux dans le premier acte qui se déroule sur un matelas monoplace comme pour ajouter en érotisme tandis que Hunding, sensé dormir, déambule dans ses appartements situés à l’étage, se dévêt puis se rhabille avant de darder de coups de couteau le cadavre d’un bouc pendu à un crochet, tandis que toute idée de printemps est évacuée, ou les premières scènes de l’acte II sont d’un statisme désespérant - et l’on se surprend à rêver du travail prodigieux réalisé par Patrick Chéreau pour Bayreuth en 1976-1980 autour d’un gigantesque pendule -, et fort heureusement animé par la direction d’Heras-Casado particulièrement signifiante et la maîtrise du temps, ainsi que la séduisante palette sonore de l’orchestre, tandis que Wotan qui tue son fils non sans y prendre un malin plaisir tant il insiste à enfoncer l’arme dans le corps. Et l’on se surprend à sourire au troisième lorsque, après une chevauchée des Walkyries foutraque alors que défile sur le mur un diaporama d’images psychédéliques, Brünnhilde apprend à Sieglinde qu’elle est enceinte des œuvres de Siegmund, alors qu’elle porte déjà une légère protubérance peu après la fin de l’acte précédent. Le comportement de Wotan durant ses adieux qu’il fait à sa fille bien-aimée révèle un comportement de prédateur sexuel heureux de se débarrasser d’une fille encombrante, se lançant dans une danse de joie durant ses adieux, après avoir passé un très long moment à aligner des masques à gaz et des monceaux de fils qu’il aura extrait un à un d’un volumineux sac plastique.
Heureusement, sous l’impulsion du chef et enveloppé par un orchestre somptueux, la distribution sort cette Walkyrie de la confusion. La distribution est en effet d’une grande homogénéité. A commencer par le magnifique couple Sigmund/Sieglinde d’une beauté éclatante de charme et de musicalité. Les timbres de Stanislas de Barbeyrac et d’Elza van den Heever se fondent l’un dans l’autre avec un naturel saisissant. La soprano sud-africaine incarne de son seul chant, long, frais, clair, souple, fluide, juvénile, d’une solidité frappante, la vérité radieuse de Sieglinde. Sa voix au grain singulièrement malléable, son expressivité extrême, l’ampleur maîtrisée de son nuancier sont proprement stupéfiantes, tandis que le ténor est tout simplement époustouflant. Voix pleine et colorée à la palette large et riche, suprêmement chantante, stature noble et juvénile, présence brûlante, le ténor français Stanislas de Barbeyrac campe un Sigmund d’exception. Avec un tel couple, le premier acte saisit musicalement, au point que tout compte fait le temps passe avec une telle rapidité que l’on sort chancelant de cet acte si couru.
Tamara Wilson est une Brünnhilde impressionnante, une fois passée la
première impression de son comportement que lui inflige Calixto Bieito, chevauchant
de façon enfantine un bâton surmonté d’une tête de cheval en tissu. Vocalement
puissante, nuancée, étincelante, la soprano états-unienne campe une
Walkyrie incandescente aux aigus épanouis, ne forçant jamais sa voix, ample et
pleine, au service d’une musicalité solaire. La mezzo-soprano genevoise Eve-Maud
Hubeaux brosse une Fricka rigide au chant raide et sans nuances, comme son
comportement de déesse moralisatrice, là où l’on espérait une déesse plus crâne
et vindicative. Face à elle, le Wotan souverain mais fragile du baryton
britannique Christopher Maltman, qui remplaçait dignement Iain Paterson pour
camper un dieu d’altière stature, réussissant à toucher en dépit des élucubrations
du metteur en scène jusque dans sa vulnérabilité vocale assumée. La basse
autrichienne Günther Groissböck, dans le court rôle de Hunding, n’a eu que le
temps de montrer son potentiel. La cohorte des Walkyries forme une troupe cohérente réduites scéniquement à de simples
silhouettes aux têtes illuminées tels de noirs candélabres électrifiés,
constituée des sopranos Louise Foor (Gerhilde), Laura Wilde (Ortlinde) et Jessica
Faselt (Helmwige), des mezzo-sopranos Marie-Andrée Bouchard-Lesieur
(Waltraute), Ida Aldrian (Siegrune), Marvic Monreal (Grimgerde) et Marie-Luise
Dressen (Rossweisse), ainsi que de la contralto Katharina Magiera (Schwertleite).
Bruno Serrou



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