Paris. Philharmonie. Cité de la Musique. Salle des Concerts. Mercredi 26 novembre 2025
Cette semaine, à la Cité de la Musique - Philharmonie de Paris, l’Orchestre de Paris a donné deux concerts Johann Sebastian Bach / Luciano Berio dirigés par Masato Suzuki, fils du célèbre spécialiste japonais du cantor de Leipzig Masaaki Suzuki, offrant le premier soir les trois premiers Concertos Brandebourgeois de Bach, brillamment interprétés par les musiciens de l’Orchestre de Paris jouant debout, mais dirigés de façon trop sèche par le chef nippon depuis un clavecin inaudible. Le chef s’est étonnamment avéré plus assuré dans le Rendering (Rendu) de Berio composé sur des fragments de la Symphonie n° 10 en ré majeur de Franz Schubert, œuvre en trois mouvements comme un renvoi à la Symphonie n° 8 « Inachevée » mais avec un épisode de plus, subtilement travaillés et montés par le compositeur italien, qui fait ici œuvre originale en ajoutant nombre de passages de son cru qui, subtilement intégrés dans le déploiement de la partition, apparaissent en étant préludés par le célesta, qui lance une musique flottante invitant au rêve et ouvrant l’imaginaire. Portés avec énergie et onirisme par le chef japonais, les musiciens de l’Orchestre de Paris, dans cette partition, ont brillé par de lumineuses sonorités et une séduisante vélocité
Fils et élève de l’éminent spécialiste de Johann Sebastian Bach chef d’orchestre claveciniste organiste japonais Masaaki Suzuki, directeur du Bach Collegium Japan avec lequel il enregistre l’intégrale des cantates du cantor (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/12/lardente-spiritualite-des-trois.html), Masato Suzuki, membre de l’ensemble de son père en tant que claveciniste et organiste, il a été invité cette semaine par l’Orchestre de Paris pour diriger en deux soirs l’intégrale des Concertos Brandebourgeois BWV 1046-1051 de Johann Sebastian Bach, « six concerts avec plusieurs instruments » donnés dans leur ordre de chronologique, chaque moitié étant mise en résonance avec une partition de Luciano Berio. Ce mercredi, il s’agissait donc des trois premiers « Brandebourgeois » composés entre 1718 et 1720, réunis avec les trois autres en 1721, et ainsi dénommés en référence à leur dédicataire, le margrave installé à Berlin Christian-Louis de Brandebourg-Schwedt (1677-1734), de la famille des Hohenzollern. Ecrit pour deux cors de chasse, trois hautbois, basson, violon piccolo avec accompagnement de cordes et basse continue (clavecin, violoncelle et violone grosso), le concerto n° 1 en fa majeur compte quatre mouvements et s’ouvre sur une Sinfonia sans indication de tempo, puise son modèle dans le « goût français », le finale (Menuet-Trio-Polonaise-Trio) adoptant la forme d’une suite française. Plus concertant, le Brandebourgeois n° 2, lui aussi en fa majeur mais en trois mouvements, a pour parties solistes une flûte à bec alto, un clarino (petite trompette baroque vaillamment tenue par Robin Paillet, vainqueur du Concours International de Musique de l’ARD 2025 à Munich), hautbois et violon, ce dernier tenu par Vera Lopatina, deuxième violon solo de l’orchestre, avec accompagnement de cordes (violons I et II, altos, violone en sol) et basse continue (clavecin, violoncelle), tandis que le Concerto n° 3 en sol majeur, aussi en trois mouvements, requiert trois violons, trois altos, trois violoncelles et basse continue (violone en sol, clavecin), le mouvement initial sera reprise et développée en forme de Sinfonia introductive dans la cantate pour le lundi de Pentecôte Ich liebe den Höschsten von ganzem Gemüte (J’aime le Très-Haut de tout mon cœur) BWV 174, tandis que l’Allegro final s’inspire du quatrième mouvement de la Pastorella en fa majeur BWV 590. C’est principalement dans le deuxième concerto que les solistes ont eu toute latitude pour s’illustrer brillamment, les parties solistes se détachant à la façon d’une pièce concertante pour plusieurs instruments, tandis que les deux autres sont plus proches du concerto grosso. Ainsi, jouant sur instruments modernes, les musiciens de l’Orchestre de Paris ont donné de ces œuvres une interprétation la plus chaleureuse et brillante possible, les instruments conomte tenu de la vision trop plane et sèche se du chef, les pupitres se détachant plus clairement qu’avec un ensemble d’instruments anciens, ces dcernier étant plus feutrés et fusionnels dans ce type de répertoire, quant au clavecin, tourné face à l’orchestre au centre, le coffre placé au milieu des musiciens, il était inaudible, rendant la partie de basse continue indistincte.
En fait, le chef japonais réputé pour son approche de la musique de Bach, s’est davantage illustré dans la seconde partie du concert de mercredi, les trente-cinq minutes de Rendering (Rendu) pour grand orchestre réalisées en 1989/1990 par Luciano Berio à partir des esquisses laissée par Franz Schubert de sa Xe Symphonie en ré majeur D. 936 A que le compositeur italien a assemblés à sa façon en trois mouvements (1) autour du timbre du célesta avec une nostalgie propre à Schubert et une gravité typique de Berio car toujours empreinte d’humour. Les deux premiers mouvements, Allegro et Andante achevés en 1989, ont été créées en juin de cette année-là par Nikolaus Harnoncourt à la tête de l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam, l’Allegro final, composé début 1990, a été donné pour la première fois en avril 1990 avec les deux autres parties au même endroit par le même orchestre mais dirigé cette fois par son directeur musical de l’époque, le chef italien Riccardo Chailly, à qui l’œuvre est dédiée. La mission que s’est donnée Berio est de « combler les vides », tissés autour du timbre du célesta, utilisant des motifs schubertiens et citant les parties existantes de l’œuvre initiale dont il accentue les lacunes plutôt que de tenter d’aplanir les ruptures, séparant les fragments tout en les maintenant ensemble, réalisant ainsi un mortier permettant d’atteindre la structure symphonique pour lesquels les fragments éraient destinés.
« Dans
les vides entre une esquisse et l’autre, écrira Berio, j’ai composé un tissu
connectif toujours différent et changeant, toujours pianissimo et ’’lointain’’, entremêlé de réminiscences du dernier
Schubert (la Sonate pour piano en si
bémol, le Trio avec piano en si bémol,
etc.) et traversé par des développements polyphoniques conduits sur des
fragments des mêmes esquisses. Ce délicat ciment musical qui commente la
discontinuité et les lacunes entre une esquisse et l’autre est toujours signalé
par le célesta. […] L’Allegro final
est étonnant et certainement le mouvement orchestral le plus polyphonique qu’ait
jamais écrit Schubert. […] Ces esquisses présentent alternativement le
caractère d’un Scherzo et celui d’un Finale. Cette ambiguïté, que le jeune
Schubert aurait peut-être résolue ou en quelque sorte ’’exaspérées’’, m’attirait
particulièrement, en fait mes ’’ciments’’ visent, parmi d’autres choses, à la
rendre structurellement expressive » (2). L’interprétation qu’en a donné
Masato Suzuki a aplani les contrastes, tout en maintenant une force narrative réelle
et ne manquant pas de dynamiques, les tempi
étant judicieusement étirés et la palette sonore apparaissant richement
colorée, l’Orchestre de Paris sous la direction du chef japonais se situant au
niveau des enregistrements qu’en ont réalisé Riccardo Chailly avec l’Orchestre
du Théâtre de la Scala de Milan et David Robertson avec l’Orchestre Symphonique
de la Radio Bavaroise, mais il faut dire que la phalange parisienne s’était
déjà illustrée dans cette œuvre en 2004, lors d’un concert qui a fait l’objet d’un
enregistrement (3) sous la direction de Christoph Eschenbach, avec l’ultime
partition de Luciano Berio, Stanze
pour baryton, chœur d’hommes et orchestre créé à titre posthume le 22 janvier
2004 Théâtre Mogador.
Bruno Serrou
1) La partition de Rendering requiert
la participation d’un orchestre constitué de bois par deux (flûtes, hautbois,
clarinettes en si bémol, bassons), deux cors en fa, deux trompettes, trois
trombones, timbales, célesta, cordes (8, 6, 6, 5, 4)
2) Luciano Berio, Ecrits sur la
musique. Edition établie par Angela Ida de Benedictis. Philharmonie de
Paris Editions, 2025 (688 pages, 30,00 €)
3) 1 CD Ondine ODE 1059-2 (2005), avec Dietrich Henschel (baryton) et le Chœur
de l’Armée Française préparé par Pascale Jeandroz




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