Paris. Opéra de Paris Bastille. Mercredi 29 janvier 2025
Déception à l’issue de la première représentation du Prologue du nouveau « Ring » de l’Opéra
national de Paris Bastille, Das Rheingold. Bonne direction d’acteur de Calixto
Bieito, mais il ne se passe quasi rien sur le plateau deux heures et demi
durant dans des décors de Rebecca Ringst soit nus avec un simple canapé les
dieux assis dessus en rang d'oignons, soit un foutraque de fils et de corps IA
dans le Nibelheim, le retour à la surface avec l’or rhénan substitué par
Alberich chargé sur un charriot de la SNCF et la montée de Wotan et de Fricka
au Walhalla sur un praticable raide comme la face nord de l’Everest.
Distribution moins homogène que celle de Bruxelles, avec un Wotan (Iain Paterson
remplaçant Ludovic Tézier, malade) au large vibrato et à la voix fatiguée,
surtout à la fin, un Loge (Simon O’Neill) et un Mime (Gerhard Siegel) aux
timbres manquant de caractère, une Erda (Marie-Nicole Lemieux) manquant étrangement
de graves. Excellents Alberich (Brian Mulligan), Fricka (Eve-Maud Hubeaux),
Fasolt (Kwangchul Youn), Fafner (Mika Karen) sortes de Laurel et Hardy, et
frères de Wotan. La direction de Pablo Heras-Casado manque de tensions, l’Orchestre
de l’Opéra n’est pas à son meilleur. Et que dire de l’énorme anneau qui tel un
collier rigide d’ours enserre successivement les cous d’Alberich et de Wotan ?…
C’est la seconde production du Ring que présente l’Opéra de Paris dans
sa salle Bastille, après un cycle complet en 2010 de Philippe
Jordan et Gunther Krämer repris en 2013, tandis que celle qui commence cette saison, confiée dès l'origine à Calixto Bieito, était programmée par Stéphane Lissner, parti
de la direction de l’Opéra en janvier 2021, puis la crise de la Covid est arrivée, coupant les ailes de cette Tétralogie qui devait commencer en novembre 2020 sous la direction
de Philippe Jordan avec déjà Iain Paterson en Wotan. Cinq saisons plus tard, la
direction musicale est passée des mains de Philippe Jordan à celles de Pablo
Heras-Casado avec dans l’intervalle un passage de témoin au Vénézuélien Gustavo
Dudamel, ce dernier ayant démissionné entre temps, et c’est finalement le chef
espagnol, ex-directeur artistique du Festival de Grenade qui s’illustre dans
tous les répertoires, de Claudio Monteverdi à Péter Eötvös, qui s’est
finalement vu confier la mission de mener ce nouveau Ring. Il n’en est pas à son premier Ring puisqu’il l’a déjà dirigé au Teatro Real de Madrid et qu’il
est d’ores et déjà programmé par le Festival de Bayreuth pour le cycle de 2028,
tandis que son nom circule à Paris pour la direction musicale de l’Opéra…
C’est toujours une fête, autant pour les artistes que pour le public, que
la promesse d’un nouvel Anneau du
Nibelung pour un théâtre d’Opéra, autant pour l’ampleur du cycle wagnérien que
pour ses magies sonores et visuelles, l’objectif de son auteur étant d’envoûter
le monde à travers une œuvre d’art totale, c’est-à-dire à même de susciter
l’intérêt autant de l’oreille que des yeux. Le préambule que constitue l’Or du Rhin, qui se déroule en quatre
scènes d’une dynamique, d’une dramaturgie et d’une concision extrêmes, est le
volet le plus à même de susciter le théâtre, tant il est
particulièrement riche en péripéties et en lieux géographiques, signe d’un
scénario de bande dessinée, l’action partant des fonds aquatiques rhénans pour
se conclure au ciel, après un passage dans les abysses de la terre et à sa
surface tandis que se rencontrent ondines, gnomes, géants et dieux… Vigilant à
ne jamais écraser les voix auxquelles il donne la primauté, Casado gomme les
arêtes vives de la partition, les élans de l’orchestre, amenuise les tensions,
tandis que la conception générale affecte le dynamisme, les contrastes, les
saillies et l’onirisme, globalement de vie, au point que l’attention du
spectateur est plus d’une fois prise en
défaut.
Direction propre, geste souple et
large, mais vision lisse, sans élan de Pablo Heras-Casado, comme si le chef était
comme angoissé devant l’ampleur de la tâche, alors même qu’il connaît le cycle
entier. Cette impression se ressent dès les premières mesures où s’élabore le
fameux accord de mi bémol majeur qui se déploie au long des cent trente six
mesures initiales d’où découlera le cycle entier et qui devrait se construire
comme émergeant d’un véritable magma, mais l’orchestre se fait trop présent,
concret, annihilant ainsi le mystère de la naissance de l’univers et de la vie
qui naissent du fleuve qui va être régi par les dieux du Walhalla, l’orchestre
se faisant entendre de façon concrète au lieu d’émerger petit à petit des
abysses du cosmos et de l’élément liquide, tant et si bien que la rupture censée
s’instaurer entre le prélude et la première scène est beaucoup moins tranchée
qu’attendu. L’Orchestre de l’Opéra de Paris est moins somptueux, précis,
virtuose que dans la précédente production du Ring et sa reprise, et l’on se surprend à entendre un certain
nombre de décalages et imprécisions auxquels cette superbe formation orchestrale
ne nous a pas habitués.
Mais peut-être est-ce le manque d’unité du plateau qui réfrène le chef
espagnol et l’incite à veiller à ne pas forcer les saillies de son orchestre, les
rôles centraux n’ayant pas tous les moyens idoines pour passer la rampe,
certains manquant même de caractère. Ainsi en est-il de Loge et de Mime, tandis
que Wotan fatigue assez rapidement. Commençons par le maître des dieux, Iain Paterson,
qui était prévu à l’origine du projet, en 2020, mais qui cette fois remplace Ludovic
Tézier, qui devait faire sa prise de rôle qui était particulièrement attendue,
mais des ennuis de santé l’ont contraint à renoncer. Le baryton-basse écossais paraît
comme usé, tant le vibrato s’est élargi, le haut du spectre s’est tendu, alors
que son art du récit reste indéniable, ce qui en fait heureusement un
remarquable conteur, ce qui lui permet de maintenir l’intérêt grâce à un sens
du discours particulièrement prenant. Face à lui, l’Alberich trop solaire du
baryton états-unien Brian Mulligan, bien investi dans le personnage, s’exprimant
avec sagacité mais le timbre manque d’épaisseur et la voix d’animosité, tandis
que le duo de géants est déséquilibré, avec le puissant Fasolt du Sud-Coréen Kwangchul
Youn au timbre coloré mais physiquement menu et portant smoking, et un Fafner, le
Finlandais Mika Kares, à la voix plus contrainte et physiquement plus grand et
filiforme, portant chapeau de cowboy et veste en daim frangé, si bien que côte
à côte les deux géants à tailles humaines font plus ou moins penser à
Laurel et Hardy. Côté ténors, le Loge du ténor néo-zélandais Simon O’Neill et le
Mime de l’allemand Gerhard Siegel manquent excessivement de caractère, loin des
géniaux Heinz Zednik et Graham Clarke, autant sur le plan vocal que dramatique,
et de naturel dans la narration. En revanche, les dieux Froh et Donner sont
parfaitement campés par le ténor canadien Matthew Cairns et le baryton Florent
Mbia, ce dernier membre de la Troupe lyrique de l’Opéra de Paris. Côté déesses,
la plus convaincante est la noble, impérieuse, ironique et vindicative Fricka de
l’excellente mezzo-soprano genevoise Eve-Maud Hubeaux au timbre charnel et à la
voix sensuelle. Etonnamment, la contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux, tant
attendue dans cette prise de rôle, déçoit en Erda aux graves raréfiés, au
timbre trop clair, tandis que la soprano néo-zélandaise Elisa Boom n’a guère le
temps d’imposer ses qualités intrinsèques en Freia. Enfin, les naïades que sont
les Filles du Rhin, Margarita Polonskaya (Woglinde), Isabel Signoret
(Wellgunde) et Katharina Magiera (Flosshilde), forment un trio vocalement bien
assorti et d’une séduisante cohésion.
La direction d’acteur finement réglée par Calixto Bieito, qui ne laisse pas
entrevoir la moindre piste de ses intentions futures, s’exprime dans un décor
conçu par Rebecca Ringst dominé par un mur du fond gigantesque qui ne s’ouvrira
qu’à la fin du spectacle pour laisser surgir le Walhalla, tandis que des
dessous du plateau apparaîtront le Nibelheim, curieusement doté d'un grand masque d'Agamemnon, avec son laboratoire où s’active Mime
sous la surveillance menaçante d’Alberich doté d’une sorte de data center envahi de fils
de tous calibres et d’androïdes façon AI (Artificial Intelligence), Alberich s’accrochant
au cou, en guise de collier, un énorme anneau forgé par son frère avant de se couvrir
le chef du Tarnhelm puis le visage de masques animaliers, après une première
scène se déroulant devant un rideau souple et verdâtre symbolisant les eaux du
Rhin d’où sortent les Filles du Rhin vêtues de combinaisons de plongée bleues,
avant qu’une imposante palissade apparaisse, figurant le refuge des dieux qui
attendent assis sur un long canapé l’érection de leur palais. Au retour du Nibelheim,
Wotan et Mime ramènent Alberich à la surface suivis d’un charriot type SNCF
chargé d’un mince tas d’or, Wotan arrachant l’anneau du cou du nain pour le
mettre autour de son propre cou, avant de le retirer pour le déposer sur le
charriot, traîné par Fafner qui se retire, lorsque qu’apparaît derrière le mur qui
s’efface un Walhalla monumental d’une froideur toute métallique déjà occupé par
les frères de Wotan d’où descend pour y accéder un immense escalier qu’empruntent
le couple Wotan / Fricka, tandis que, assis et moqueur, Loge raille les Filles
du Rhin qui pleurent leur « or pur »… Mais gardons-nous de juger sur ce
seul prologue des intentions du metteur en scène qui demeure ici dans le flou.
Bruno Serrou
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