Paris. Maison de la Radio, Auditorium et Studio 104 (ex-Messiaen) ; Philharmonie de Pais, Salle Pierre Boulez. Mercredi 5, jeudi 6, vendredi 7, samedi 8 et dimanche 9 février 2025
L'Autrichienne Olga Neuwirth est l’un des
compositeurs les plus créatifs et anticonformistes de notre temps. Regard
ardent, geste nerveux, générosité à fleur de peau, écorchée vive, éternelle
révoltée contre les injustices de la société, femme singulièrement énergique, fine,
hypersensible, artiste engagée cherchant à élargir l’univers de la musique
savante, Olga Neuwirth à qui le Festival Présences de Radio France a consacré son édition 2025, aura malheureusement été absente en raison de
problèmes de santé de sa mère. Figure majeure de la création musicale de ce
début du XXIe siècle, elle est l’enfant terrible de la musique
autrichienne contemporaine. Le verbe nerveux à l’élocution douce et claire
malgré un débit précipité, elle s’ouvre avec clairvoyance à tous les sujets de
son temps. Faite de rupture, de failles, de contrastes, de plans séquences,
d’une énergie souvent emprunte de mélancolie, sa musique lui ressemble.
« Le compositeur dans la société est question de caractère, de
personnalité : le musicien doit-il se mêler de ce qui se passe
aujourd’hui, ce qui est très prenant, ou lui faut-il se retirer du monde ?
L’utopie de l’art consiste dans la création d’un univers entre deux mondes, pas
d’en créer un troisième, il se doit d’être dans le hic et nunc ».
Née le 4 août 1968 à Graz
(Autriche), Olga Neuwirth séduit par sa singularité artistique, son courage
politique (elle a salué le public viennois ruban noir au poignet après
la nomination de Jörg Haider au poste de chancelier), l’énergie et l’enthousiasme qui frappent dès l’abord
ceux qui la rencontrent. A 55 ans, elle est aussi l’un des plus engagés,
s’intéressant à l’actualité du monde et à tous les modes d’expression
artistique, cinéma, littérature, théâtre, danse. Lorsque je la rencontrais pour
la première fois, en 2011, elle s’avouait sans amertume « un peu apatride,
vivant trois semaines ici, un mois là. Je viens de passer un an à New York.
Aujourd’hui, je m’arrête trois mois à Paris. Cette ville offre la possibilité
de s’explorer soi-même, de s’inventer, la liberté de protester et de manifester
son désaccord avec l’establishment. Ce qui n’est pas le cas dans les autres
capitales européennes. Il est pourtant de plus en plus difficile en France de
trouver un contre-monde, et il est triste de voir la France se laisser
submerger par l’intolérance, la xénophobie, la violence de l’économie. Je
pourrais mentionner nombre d’artistes français. » Apprenant par la presse qu’elle venait de se faire attribuer
le Grand Prix national autrichien 2010, le propriétaire de son appartement lui
donna sur le champ son congé prétextant que sa condition de musicienne ne
pouvait lui garantir des revenus suffisamment stables pour assurer le paiement
de ses loyers. « C’est dire combien les artistes sont considérés en
Autriche », remarquait-elle alors.
Disciple de Tristan Murail,
soutenue par Pierre Boulez, Olga Neuwirth a toujours été attirée par la culture
française autant sur le plan musical, avec l’IRCAM, l’Ensemble
Intercontemporain, le Festival d’Automne, que littéraire (Georges Pérec,
Raymond Roussel) et cinématographique. « Je pourrais mentionner nombre
d’artistes français. J’ai toujours été intriguée et inspirée par l’immense
diversité de votre culture, noble ou populaire, rustre ou élégante. » Fascinée
par le son, qu’elle découvre naturellement au contact de son père, Harry
Neuwirth (1939-2023), pianiste de jazz réputé avant d’en creuser plus tard les arcanes avec
Tristan Murail à l’IRCAM, Luigi Nono et Helmut Lachenmann, elle a commencé à
jouer d’un instrument à sept ans avec la trompette, instrument auquel elle est contrainte de renoncer à seize ans à la suite d’un accident qui lui brise la mâchoire. Après sa
rencontre avec le compositeur allemand Hans Werner Henze (1926-2012), et fuyant une
première fois l’Autriche, elle se rend à San Francisco, où elle étudie la
composition, les arts plastiques et le cinéma, soutenant son mémoire de maîtrise
sur la musique du film d’Alain Resnais L’amour
à mort. C’est dire combien elle aime le cinéma et regrette que les
réalisateurs ne s’intéressent pas à la musique qu’ils traitent comme un
complément sans lui porter de réflexion. C’est pourquoi, dit-elle, les
compositeurs se bousculent pour composer pour des films muets. « Il m’a
fallu faire des choix au risque de me disperser, reconnait-elle. Mais, lorsque
je compose, le temps se déroule dans mon esprit comme un film, découpage en
séquences, rythme, répartition des densités, tandis que je déploie mes couleurs
dans l’espace tel le peintre dispose de sa palette, avec ou sans l’appui de
l’électronique. » La reconnaissance vient à Olga Neuwirth en 1991, lorsque
Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature 2004, la choisit pour réaliser avec
elle deux courts opéras pour les Wiener Festwochen, Körperliche Veränderungen et Der
Wald. « Je travaille avec des écrivains qui outrepassent les limites,
comme Pérec, Melville, Jelinek, qui travaillent la langue comme un matériau. La
transformation du monde passe par celle du langage. » De 1997 à 2000, avec
Jelinek, elle élabore à Venise l’Opéra Bählamms
Fest d’après Leonora Carrington, et, à Trieste, Lost Highway d’après le film David Lynch. Gérard
Mortier, qui l'a invitée dès 1998 à
Salzbourg, lui commande pour l’Opéra de Paris-Bastille un opéra revisitant Don Giovanni, Der Fall Hans W. sur le thème de la pédophile inspiré par le procès
d’un pédiatre carinthien... Mais, le projet dont la création était prévue en
2007 avorta. « Mortier ne m’a pas donné d’explication, s’étonnait-elle.
Peut-être a-t-il trouvé le thème trop explosif : le plus grand tabou
sexuel est l’enfant. » Pas d’explication non plus lorsque l’Opéra du Rhin,
pourtant coproducteur, refusa au dernier moment de monter Bählamms Fest en 1999. Entre 2006 et 2011, Olga Neuwirth élabore pour
Berlin l’opéra American Lulu qui
réinterprète la Lulu de Frank Wedekind et d’Alban Berg.
« Un sujet toujours d’une prégnante actualité. Le livret diffère dans le
troisième acte, la comtesse Geschwitz, qui n’est pas assassinée, part sous un
faux nom et son amour pour Lulu demeure indestructible. » En décembre 2019,
le public de l’Opéra d’Etat de Vienne lui réservait un vif succès lors de la
création de son Orlando d’après
Virginia Woolf qui lui valut d’être la première femme à avoir assisté à la création
d’un ouvrage en ce lieu mythique de l’histoire de l’art lyrique.
Régulièrement invitée par le Festival d’Automne à Paris, dont elle est l’un des hôtes privilégiés depuis 1994, le Festival Présences de Radio France lui aura consacré son édition 2025 avec dix œuvres programmées en six jours, dont deux créations mondiales et cinq premières auditions françaises. Absent de Paris mardi, jour de l’ouverture de Présences pour cause de Crépuscule des dieux de Richard Wagner à La Monnaie de Bruxelles (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2025/02/un-gotterdammerung-de-feu-clot-le-ring.html), la première soirée à laquelle j’ai pu assister était le cadre du deuxième concert, qui, d’entrée, restera dans la mémoire des spectateurs présents comme l’un des sommets de cette édition, un grand moment de musique de chambre offert par le Quatuor Diotima, qui, devant un Auditorium archi-comble, remplaçait le Quatuor Arditti, le premier violon Irvine Arditti étant souffrant. Le genre quatuor est réputé exigeant, voire élitiste, autant pour les compositeurs que pour les quatre archets et pour le public. Pourtant, le succès était bel et bien au rendez-vous, autant sur le plan de la créativité que du résultat artistique et de la réception des œuvres par le public. Un programme légèrement modifié, Corps animal pour quatuor à cordes et ondes Martenot de Grégoire Lorieux n’ayant pu être donné, mais de bout en bout exigeant et passionnant tant le propos des compositeurs ménage surprises, couleurs, fertilité technique et harmonique. Pas un instant de relâchement, dans les œuvres des aînés, Pierre Boulez (1925-2016) dans deux formants de son Livre pour quatuor, et l’œuvre ultime en création posthume d’Alain Moëne (1942-1924), qui fut l’un des premiers programmateurs du festival Présences, jusqu’aux compositeurs de la génération d’Olga Neuwirth que sont Misato Moshizuki (née en 1969) et Dieter Ammann (né en 1962). Pour le quatre-vingt-dixième anniversaire de Pierre Boulez, le Quatuor Diotima publiait chez Naïve l’enregistrement de l’intégrale amendée par son auteur du Livre pour quatuor. C’est dire combien chaque interprétation des Diotima de ce qui restera comme l’œuvre la plus développée du compositeur a valeur de témoignage gravé dans le marbre, un moment de grâce pure. Cette fois, en deux fois dix minutes, le Livre, qui rend expressément hommage au poète Stéphane Mallarmé et au compositeur viennois Anton Webern (1883-1945) dont il a cinq fois la durée moyenne de chacune des œuvres, a servi de référence aux deux parties du programme, les formants 1A et 1B en première lieu, et les formants 3A, 3B et 3C. Comme qui chante et parle à la fois, tel est le titre poétique de l’œuvre posthume d’Alain Moëne emplie de mélancolique rêverie qu’il a dédiée à son ami Alain Bancquart (1934-2022). En remplacement de l’œuvre Grégoire Lorieux, les Diotima ont proposé des pages de Misato Mochizuki et de Dieter Ammann. De la compositrice nippone, deux extraits de Brains, dont les Diotima ont créé la première partie dans le cadre du festival Présences 2017, Boids de 2018 et Boids Again de 2019-2020, qui se fondent sur des études scientifiques d’oiseaux et de poissons se déplaçant en bancs, comme les étourneaux dans les airs et les maquereaux dans les mers, tandis que le Quatuor à cordes n° 2 « Distanzenquartett » d’Ammann, qui a été créé à Bâle le 23 avril 2009 par le Quatuor Amar, sonne comme un imposant instrument à archet doté de seize cordes, avec des harmoniques complexes obtenues par tuilages sonores, rythmiques, d’agrégats et de variations d’intensité. D’une durée de dix-huit minutes, le troisième quatuor à cordes d'Olga Neuwirth In the realms of the unreal (Dans les royaumes de l’irréel), titre tiré du long récit de Henry Daiger (1892-1973), s’impose comme un authentique chef-d’œuvre depuis sa création le 15 janvier 2010 Cité de la Musique par le Quatuor Arditti dans le cadre de la Biennale de quatuors à cordes. Les Diotima ont donné de cette « musique de la catastrophe » (Olga Neuwirth) une interprétation d’une intense luminosité, jouant avec une limpidité tenant du classicisme, entre éclats d’inventions liés à des sous-textes littéraires qui cimentent la partition qui fait entendre tous les sons, possibles et impossibles, attendus et inouïs, qu’est capable de produire un quatuor d’archets d’où émergent des éléments anxiogènes évoquant des danses anciennes, un fragment du lied inachevé Die Götter Griechenlands de Franz Schubert ainsi que d’œuvres d’Olga Neuwirth elle-même, qui rend aussi hommage à sa grand-mère dont le initiales correspondent aux notes la (Alfreda) et sol (Gallowitsch). Le tout a été interprété par le Quatuor Diotima avec une maîtrise de la couleur, du rythme, de l’archet, une vélocité technique et une souplesse magistrales, les quatre musiciens ayant fait leurs ces œuvres pleines d’invention au point de donner l’impression de les avoir toujours jouées.
Les concerts se suivent mais n’ont pas toujours le même attrait. Ce qui est
le propre d’un festival, direz-vous… Après l’extraordinaire concert du Quatuor
Diotima, Présences recevait l’excellent Ensemble Modern de Francfort dirigé par
son ex-corniste Franck Ollu, dans un programme hélas guère convaincant, pas
même l’œuvre d’Olga Neuwith, Eleanor,
malgré sa portée humaniste et pacifiste puisqu’il s’agit d’un hommage à Martin
Luther King et à Elsa Cayat, psychanalyste seule femme victime de l’attentat islamiste
contre la rédaction de Charlie Hebdo, la guitare électrique et la
batterie ainsi que la voix de la chanteuse pop’ plutôt que blues étant trop
envahissantes par rapport aux instruments de l’orchestre et leur jeu trop
contraint en regard de la nature de la musique qu’elles sont censées
représenter. Mais le maillon le plus contestable a été Brutal pour grand ensemble du Mexicain Aquiles Lázaro (né en 1989)
donné en création mondiale : impossible de ne pas penser aux Tontons flingueurs et leur alcool fortement frelaté…
Le concert de jeudi était un hommage à Luciano Berio (1925-2003), dont le
monde célèbre le centenaire, et c’est judicieusement qu’il a été décentralisé à
la Philharmonie de Paris dans la Salle Pierre Boulez, un proche de Berio, investie
par l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par le chef allemand
André de Ridder, Generalmusikdirektor du Théâtre de Fribourg-en-Brisgau, avec en
solistes la pianiste Tamara Stefanovich (la seconde pianiste étant curieusement
restée dans l’anonymat), les sopranos Manna Ito et Barbara Vignudelli, le Chœur
de Radio France dirigé par Roland Hayrabedian, directeur-fondateur de
Musicatreize. L’œuvre la plus puissante et originale était la plus ancienne, le
Magnificat de Luciano Berio, exact contemporain
et ami de Pierre Boulez né comme lui en 1925, composé en 1949. Cette partition
en huit parties d’inspiration liturgique créée à Turin en 1971 requiert un ensemble de seize instruments avec une contrebasse pour seule représentante de
la famille des cordes, deux pianos, deux cantatrices solistes et chœur mixte.
Durant l’exécution de cette pièce aux effectifs originaux, un silence religieux
s’est maintenu le petit quart d’heure de sa durée tenant l’auditoire comme en
état de suffocation, saisi par l’ampleur, la beauté, la dimension inattendue de
ce qu’il était en train de découvrir pour la plupart. S’ensuivait Locus… doublure… solus, œuvre pour piano
et ensemble de tendance plus ou moins répétitive d’Olga Neuwirth créée le 8
septembre 2001 sous la direction de Pierre-André Valade, « est constitué de sept mouvements
explorant plusieurs aspects du jeu du piano, les timbres du soliste étant
complétés par un ’’double’’, le clavier échantillonneur, qui élargit l’univers
du piano avec des micro-tons, tandis que l’ensemble explore de la même façon un
vaste espace musical. Le matériau est en constante évolution, de sorte que
l'oreille de l'auditeur est entraînée dans ce qui peut être une expérience
intrigante et déroutante » (Pierre Boulez). Après
l’entracte, la création mondiale d’une imploration pour orchestre (bois et
cuivres par trois, quatre cors, tuba, quatre percussionnistes, harpe, piano,
cordes) en trois parties enchaînées de Michael Levinas (né en 1949) au titre sublime, Cantique des larmes,
avec une formule descendante inconsolable confiée aux cuivres, prélude d’une
dizaine de minutes aux trente-cinq minutes de Rendering (Rendu) pour grand
orchestre réalisée en 1989/1990 par Luciano Berio à partir de fragments de la Xe Symphonie en ré majeur D 936A de Franz Schubert que le compositeur
italien a assemblés à sa façon en trois mouvements autour du timbre du célesta
avec une gravité nonn dénuée d’humour. L’interprétation qu’en a donnée André de
Ridder aura manqué de contrastes, de force narrative et de dynamique, les tempi étant trop étirés et la palette sonore
apparaissant un rien fade à côté des enregistrements qu’en ont réalisé Riccardo
Chailly avec l’Orchestre du Théâtre de la Scala de Milan et David Robertson
avec l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise.
Le compositeur chef d’orchestre
allemand Matthias Pintscher, qui a été une décennie durant, jusqu’en juin 2023,
le directeur musical de l’Ensemble Intercontemporain, a dirigé en deux jours
les deux orchestres de Radio France. Tout d’abord l’Orchestre National de
France dans un programme quasi monographique consacré à Olga Neuwirth, avec
trois de ses œuvres. En premier lieu, la création mondiale de Tombeau I, vibrant hommage à Pierre Boulez pour orchestre et
échantillonneur avec des citations wagnériennes de la Marche funèbre du Crépuscule des dieux et des fragments de Parsifal qui a précédé une partition au
titre improbable Keyframes for a
Hippogriff - Musical calligrams in memoriam Hester Diamond composé en 2018
pour contreténor (le puissant Andrew Watts), chœur d’enfants (excellente Maîtrise
de Radio France) et orchestre et, pour finir, Trurliade-zone zero pour percussion et orchestre créé à Lucerne le
27 août 2016 dirigé par Susanna Mälkki avec en soliste Victor Hanna, œuvre a
priori un peu foutraque mais impressionnante et particulièrement inventive pour
quatre percussionnistes, dont l’impressionnante Adelaïde Ferrière en solo. Seule
exception du programme, une quatrième pièce, donnée en création mondiale, Clameurs pour orgue seul de Michael
Levinas par la brillante Vera Nikitine, organiste et compositrice.
En guise de bouquet final, Présences
se concluait sur deux grands concerts. Le premier était donné Studio 104,
ex-Salle Messiaen, par l’excellent Ensemble Linea basé à Strasbourg de Jean-Philippe Wurtz, élève de Péter Eötvös, dans des œuvres fort séduisantes.
Tout d’abord de l’Argentine Rocío Cano Valiño (née en 1991), élève de Franck
Bedrossian, qui avec son concerto pour contrebasson et ensemble donné en
création mondiale avec en soliste Antoine Pecqueur, membre de Linea, intitulé Fanguyo, titre tiré du langage populaire
argentin désignant un enchevêtrement,
à l’instar du mouvement initial, Embroyo,
tandis que les deux suivants, Tramoya et
Bandaya signifient respectivement triche et malin. Autant de termes qui exposent l'atmosphère de chaque volet
de l’œuvre. C’est dire l’humour et le caractère jovial que doivent communiquer
les interprètes, qui s’en sont donné à cœur joie, prenant un malin plaisir à
tirer de leurs instruments des sonorités réjouissantes. Le Suédois Jacob
Mühlrad (né en 1991) proposait en création mondiale Heliopause pour ensemble qui se réfère au vent solaire qui, dans le pays natal de l'auteur, disparaît à la frontière bloqué par le milieu interstellaire,
ce qui conduit le compositeur à opposer à de longues plages harmoniques
plusieurs fois transposées des formules constituées de notes répétées et de
motifs tourbillonnants évoquant le vent de façon onirique. Avec Twin Conapts, autre création, Aurélien
Dumont (né en 1980) propose une sorte de labyrinthe évoquant une demeure hyper
connectée décrite dans un roman de science-fiction dans lequel le compositeur
mêle des instruments d'époques différentes, flûte traversière Renaissance, cor
anglais, contrebasson baroque, cor en fa/cor naturel, trombone/sacqueboute,
théorbe/guitare électrique, clavecin/synthétiseur, un percussionniste, violon,
alto, violoncelle, contrebasse. Ces trois créations mondiales conduisaient à
l’œuvre référence du concert, le remarquable Un Posto nell’acqua (Une
place dans l’eau) qu’Olga Neuwirth a composé en 2009 d’après le Moby Dick de Herman Melville, écrivain
états-unien qui allait inspirer à la compositrice autrichienne quatre partitions majeures, The Outcast (La Paria) créé à l’Opéra de Mannheim en 2012 et donné à la
Philharmonie de Paris le 26 février 2022 (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/09/la-grande-fresque-le-banni-outcast.html),
Encantadas pour ensembles spatialisés
et électronique (2014-2015) et O
Melville! en 2016. Créée à Amsterdam le 10 décembre 2009 par Klangforum
Wien dirigé par Sylvain Cambreling, Un
Poco nell’acqua est empli de l’univers marin cher à Melville qu'Olga Neuwirth a elle-même vécue en se rendant au cap Nord et en
observant des baleines depuis une île du Massachussetts aux Etats-Unis,
concevant un véritable poème symphonique marin où l’on entend les mouvements
de la mer, les bruissements de la nature, l’ampleur de l’espace illimité, les
cris d’oiseaux, les sons de mats, de poulies, réels et déformés tel un rêve, d’où
émergent des chants de matelots et des réminiscences de la mort d’Isolde du Tristan und Isolde de Richard Wagner.
L’ultime concert du Festival Présences a réuni dimanche en fin d’après-midi l’Orchestre Philharmonique de Radio France et le magicien Matthias Pintscher, qui dirigeait son second concert de créations en deux jours, après celui de l’Orchestre National de France la veille au soir. Ouvert sur une page d’orchestre du regretté Fausto Romitelli (1963-2004) trop tôt disparu, Spazio-Articolazione (Articulation Spatiale) pour grand ensemble amplifié donnée en première exécution française trente-quatre ans après sa création à Sienne tandis qu’il était l’élève de Franco Donatoni (1927-2000), œuvre déjà impressionnante qui va au-delà d’un travail d’élève comme trop de ses compagnons qui n’arrivaient pas à se défaire du style de leur maître au point d’être groupés sous le sobriquet de « donatonini », le jeune Romitelli y associant musique spectrale et spatialisation. Varié et exigeant, le programme se poursuivait avec trois brillants concertos en créations mondiales pour autant d’instruments solistes différents. Le premier pour un instrument chinois, œuvre magistrale de Tristan Murail (né en 1947), l’un des maîtres d’Olga Neuwirth, au titre poétique Le Livre des Merveilles - Concerto pour guzheng, cordes, clavier et électronique qui illustre l’ouvrage éponyme de Marco Polo publié en 1298 décrivant pour la première fois en Occident la vie en Extrême-Orient, où Murail enseigne depuis une décennie au Conservatoire de Shanghaï. C’est à la suite d’une demande de cette institution de concevoir une œuvre consacrée à un instrument traditionnel chinois qu’est né ce concerto pour le guzheng, cithare de table dotée de vingt-et-une cordes reposant sur un chevalet mobile qui se joue des deux mains, la droite pinçant les cordes et la gauche réalisant des glissandi et contrôlant le vibrato. Brillamment joué par la virtuose chinoise Ming Wang, l’œuvre est en perpétuel mouvement, aucun thème gouvernant le discours dont la cohérence est assurée par le seul guzheng, tandis que l’orchestre dépeint maints paysages, qui invitent l’auditeur à un voyage sonore sans cesse renouvelé.
Le deuxième concerto était pour un instrument beaucoup plus courant sous nos latitudes, puisqu’il était voué au piano. En fait, son auteur, Eric Montalbetti (né en 1968), ex-délégué-artistique de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, a écrit son Concertino pour piano et orchestre pour une formation Mozart enrichie de quelques instruments comme la clarinette basse, le bugle, le trombone basse, deux percussionnistes et le célesta, qu’il a conçu comme un ‘Omaggio a Luciano Berio (Hommage à Luciano Berio) pour le centenaire de la naissance du compositeur italien que son cadet français considère comme une figure tutélaire de sa propre création qui associe de façon subtile et continuellement renouvelée harmonies sérielles et modales, tandis que l’instrument soliste chante à satiété, avec trilles, arpèges, et que la structure enchaîne trois mouvements inversés, lent-vif-lent, la merveilleuse Beatrice Rana donnant à chacun son caractère propre, délicatement tragique pour le premier, suivi d'un énergique et joyeux Scherzo, pour conclure sur un Adagietto introspectif et élégiaque.
L’an prochain, en février 2026,
l’indispensable festival Présences de Radio France aura pour figure centrale le
grand compositeur franco-grec Georges Aperghis, maître incontesté du théâtre
musical et des sonorités de la langue et du verbe à travers les entités
abstraites que sont les phonèmes, qui passera le cap de ses quatre-vingts ans le
23 décembre prochain.
Bruno Serrou
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