vendredi 14 février 2025

Brûlante « Semele » de Haendel au Théâtre des Champs-Elysées

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mardi 11 février 2025 

Georg Friedrich Haendel (168-1759), Semele. Pretty Yende, Alice Coote, Niamh O'Sullivan
Photo : (c) Vincent Pontet

Onze ans jour pour jour après la production Marc Minkowski / David McVicar reprise en 2010, le Théâtre des Champs-Elysées propose en coproduction avec le Covent Garden de Londres une nouvelle production de l’opéra anglais Sémélé de Georg Friedrich Haendel mis en scène avec élégance par Oliver Mears, dirigé et joué avec plus d’allant que de coutume par Emmanuelle Haïm à la tête de son excellent Le Concert d’Astrée, et une distribution fort équilibrée, avec à sa tête Pretty Yende, Ben Bliss (Jupiter), Alice Coote (vindicative et puissante Junon) 

Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Semele. Pretty Yende (Semele)
Photo : (c) Vincent Pontet

Composé par Georg Friedrich Haendel en un mois entre les 3 juin et 4 juillet 1743, Sémélé n’est pas un opéra au sens strict du terme. Ecrit sur un texte en anglais, avec un effectif de chanteurs réduit, cet ouvrage se situe en effet à mi-chemin de l’oratorio et du théâtre lyrique dans le catalogue du compositeur saxon. Le sujet de cette œuvre en trois actes créée sous forme concertante est puisé dans les Métamorphoses d’Ovide, et permet à Haendel de donner libre cours à sa verve théâtrale, oscillant entre ironie et sérieux. Mère de Dionysos, dieu de la vigne, du vin, de la fertilité, de la fête et du théâtre, Sémélé est l’une des maîtresses de Zeus/Jupiter. Déjà utilisé en 1707 par John Eccles (1668-1735), le livret de William Congreve (1670-1729) développé par Alexander Pope (1688-1744) s’encre naturellement dans le genre opéra, s’agissant non pas d’un sujet biblique mais de tragédie grecque. Sémélé, fille du roi de Thèbes Cadmus, doit épouser Athamas, fils d’Eole et d’Enarété, mais elle partage un amour coupable avec Jupiter. Cherchant l’immortalité, elle se laisser manipuler par Junon, l’épouse du maître des dieux, en lui faisant croire que pour devenir immortelle, elle devait lui faire promettre d’apparaître devant elle paré de ses attributs, la foudre, si bien qu’elle précipite sa propre perte, réduite en cendres par le dieu. C’est néanmoins sous forme d’oratorio que Haendel donne la création de Sémélé voyant l’opportunité de le présenter dans le cadre des concerts de carême du Covent Garden de Londres en février 1744, et, pour ce faire, l’adapte pour le présenter à la manière d’un oratorio, avec une présence chorale peu habituelle dans les opéras de Haendel. Ce stratagème déplaît aux organisateurs de la série, qui s’attendaient à un sujet biblique, au point de réduire le nombre de représentations à quatre, les amours de Sémélé tenant davantage de la mythologie grecque que de la judéo-chrétienne. De plus, chanté en anglais, Sémélé irrite les partisans de l’opéra italien, au point que l’œuvre fut qualifié d’oratorio manqué. La partition de Haendel atteste d’une inventivité amplement supérieure à ses opéras, avec récitatifs accompagnés, arie aux élans d’une sensualité tangible élargis en duos, trios, ensembles, da capo brusquement interrompus, audaces harmoniques, chœurs qui annoncent Gluck et Mozart…

Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Semele. Pretty Yende (Semele), Ben Bliss (Jupiter)
Photo : (c) Vincent Pontet

Ce que propose Oliver Mears, actuel directeur du Covent Garden de Londres, coproducteur du spectacle, transforme le sujet en lutte de classes, transposant bien évidemment l’action à l’heure plus ou moins contemporaine, dans l’enceinte d’un hôtel huppé mêlant style art déco et années 1950, voire 1960-1970 pour le meuble stéréo, dont le personnel, vêtu des uniformes de leurs fonctions dans l’établissement, représente les humains, tandis que les dieux, plus richement dotés, constituent la clientèle. Jupiter est le propriétaire de l’établissement, et il considère le personnel comme un terrain de chasse malgré la vigilance de sa femme, Junon. Ce scénario permet de resserrer l’action en un lieu unique, l’Olympe étant symbolisé par le hall de l’hôtel où trône une immense cheminée qui se retrouve également à l’étage, tandis que dans les combles, Somnus, vieux sommelier drogué, s’égaye au milieu d’un monceau de bouteilles vides, tandis que Sémélé est enceinte des œuvres de Jupiter, ce qui conduit ce dernier à lui jurer de tenir son vœu alors que sa jalouse épouse incite Sémélé à lui demander de lui apparaître avec ses atours divins, ce qui va causer sa mort par consumation dans la cheminée non sas avoir donné naissance à Dionysos, auprès de qui une jeune fille se substitue à sa mère.

Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Semele
Photo : (c) Vincent Pontet

Mue par une direction d’acteur qui donne une crédibilité naturelle au comportement des protagonistes, la distribution est d’une grande homogénéité. Pretty Yende est une Sémélé idéale, belcantiste à souhait, virtuosité vocale offrant une pyrotechnie flamboyante, présence rayonnante, saisissante comédienne. Junon à la voix opulente et au timbre de braise, Alice Coote est une magistrale harpie, Brindley Sherratt est  un brillant Somnus, mais il manque de graves dans le rôle du Grand Prêtre Cadmus, le contre-ténor italien Carlo Vistoli campe une Athamas de classe doué d’une technique de chant irréprochable, Niamh O’Sullivan est une Ino charmante au timbre ardent, Marianna Hovanisyan une Iris à la voix souple et aux aigus rayonnants. Brillant comédien, Ben Bliss est un Jupiter puissant à la voix harmonieuse. Le chœur du Concert d’Astrée est irréprochable.

Georg Friedrich Haendel (168-1759), Semele
Photo : (c) Vincent Pontet

Dans la fosse, le Concert d’Astrée est particulièrement homogène, avec des pupitres précis et virtuoses, bien que dirigé de façon trop étale par sa directrice fondatrice Emmanuelle Haïm, qui comme souvent, élague les contrastes et les dynamiques, veillant trop attentivement à ne pas couvrir les chanteurs au risque d’un élan dramatique un rien trop fade.  

Bruno Serrou

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