Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mardi 11 février 2025
Onze ans jour pour jour après la production Marc Minkowski / David McVicar reprise
en 2010, le Théâtre des Champs-Elysées propose en coproduction avec le Covent Garden de Londres une nouvelle production de
l’opéra anglais Sémélé de Georg Friedrich Haendel mis en scène avec élégance par Oliver Mears, dirigé et joué avec plus d’allant que de
coutume par Emmanuelle Haïm à la tête de son excellent Le Concert d’Astrée, et une
distribution fort équilibrée, avec à sa tête Pretty Yende, Ben Bliss (Jupiter),
Alice Coote (vindicative et puissante Junon)
Composé par Georg Friedrich Haendel en un mois entre les 3 juin et 4
juillet 1743, Sémélé n’est pas un
opéra au sens strict du terme. Ecrit sur un texte en anglais, avec un effectif
de chanteurs réduit, cet ouvrage se situe en effet à mi-chemin de l’oratorio et
du théâtre lyrique dans le catalogue du compositeur saxon. Le sujet de cette œuvre
en trois actes créée sous forme concertante est puisé dans les Métamorphoses d’Ovide, et permet à Haendel de donner libre
cours à sa verve théâtrale, oscillant entre ironie et sérieux. Mère de Dionysos,
dieu de la vigne, du vin, de la fertilité, de la fête et du théâtre, Sémélé est
l’une des maîtresses de Zeus/Jupiter. Déjà utilisé en 1707 par John Eccles (1668-1735),
le livret de William Congreve (1670-1729) développé par Alexander Pope (1688-1744)
s’encre naturellement dans le genre opéra, s’agissant non pas d’un sujet
biblique mais de tragédie grecque. Sémélé, fille du roi de Thèbes Cadmus, doit
épouser Athamas, fils d’Eole et d’Enarété, mais elle partage un amour coupable
avec Jupiter. Cherchant l’immortalité, elle se laisser manipuler par Junon, l’épouse
du maître des dieux, en lui faisant croire que pour devenir immortelle, elle
devait lui faire promettre d’apparaître devant elle paré de ses attributs, la
foudre, si bien qu’elle précipite sa propre perte, réduite en cendres par le
dieu. C’est néanmoins sous forme d’oratorio que Haendel donne la création de Sémélé voyant l’opportunité de le
présenter dans le cadre des concerts de carême du Covent Garden de Londres en
février 1744, et, pour ce faire, l’adapte pour le présenter à la manière d’un
oratorio, avec une présence chorale peu habituelle dans les opéras de Haendel. Ce
stratagème déplaît aux organisateurs de la série, qui s’attendaient à un sujet
biblique, au point de réduire le nombre de représentations à quatre, les amours
de Sémélé tenant davantage de la mythologie grecque que de la judéo-chrétienne.
De plus, chanté en anglais, Sémélé irrite
les partisans de l’opéra italien, au point que l’œuvre fut qualifié d’oratorio
manqué. La partition de Haendel atteste d’une inventivité amplement supérieure
à ses opéras, avec récitatifs accompagnés, arie
aux élans d’une sensualité tangible élargis en duos, trios, ensembles, da capo brusquement interrompus, audaces
harmoniques, chœurs qui annoncent Gluck et Mozart…
Ce que propose Oliver Mears, actuel directeur du Covent Garden de
Londres, coproducteur du spectacle, transforme le sujet en lutte de classes,
transposant bien évidemment l’action à l’heure plus ou moins contemporaine,
dans l’enceinte d’un hôtel huppé mêlant style art déco et années 1950, voire
1960-1970 pour le meuble stéréo, dont le personnel, vêtu des uniformes de leurs
fonctions dans l’établissement, représente les humains, tandis que les dieux,
plus richement dotés, constituent la clientèle. Jupiter est le propriétaire de l’établissement,
et il considère le personnel comme un
terrain de chasse malgré la vigilance de sa femme, Junon. Ce scénario permet de
resserrer l’action en un lieu unique, l’Olympe étant symbolisé par le hall de l’hôtel
où trône une immense cheminée qui se retrouve également à l’étage, tandis que
dans les combles, Somnus, vieux sommelier drogué, s’égaye au milieu d’un
monceau de bouteilles vides, tandis que Sémélé est enceinte des œuvres de
Jupiter, ce qui conduit ce dernier à lui jurer de tenir son vœu alors que sa
jalouse épouse incite Sémélé à lui demander de lui apparaître avec ses atours divins,
ce qui va causer sa mort par consumation dans la cheminée non sas avoir donné
naissance à Dionysos, auprès de qui une jeune fille se substitue à sa mère.
Mue par une direction d’acteur qui
donne une crédibilité naturelle au comportement des protagonistes, la
distribution est d’une grande homogénéité. Pretty Yende est une Sémélé idéale,
belcantiste à souhait, virtuosité vocale offrant une pyrotechnie flamboyante, présence
rayonnante, saisissante comédienne. Junon à la voix opulente et au timbre de
braise, Alice Coote est une magistrale harpie, Brindley Sherratt est un brillant Somnus, mais il manque de graves
dans le rôle du Grand Prêtre Cadmus, le contre-ténor italien Carlo Vistoli
campe une Athamas de classe doué d’une technique de chant irréprochable, Niamh
O’Sullivan est une Ino charmante au timbre ardent, Marianna Hovanisyan une Iris
à la voix souple et aux aigus rayonnants. Brillant comédien, Ben Bliss
est un Jupiter puissant à la voix harmonieuse.
Le chœur du Concert d’Astrée est irréprochable.
Dans la fosse, le Concert d’Astrée
est particulièrement homogène, avec des pupitres précis et virtuoses, bien que
dirigé de façon trop étale par sa directrice fondatrice Emmanuelle Haïm, qui
comme souvent, élague les contrastes et les dynamiques, veillant trop attentivement
à ne pas couvrir les chanteurs au risque d’un élan dramatique un rien trop
fade.
Bruno Serrou
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