jeudi 25 mai 2023

Le "Couronnement de Poppée" de Claudio Monteverdi concertant mais d’une efficacité théâtrale flagrante par la troupe réunie par le collectif I Gemelli présenté au Théâtre des Champs-Elysées

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Mercredi 24 mai 2023 

Lauranne Oliva (Drusilla), Emiliano Gonzalez Toro, Mathilde Etienne, David Hansen (Nerone), Alix Le Saux (Ottavia), Mari Eriksmoen (Poppea). Photo : (c) Bruno Serrou

« Pur tu stringo, pur t‘annado, più non peno, più non moro, o mia vita, o mio tesoro. » Ce finale de l’Incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi est l’un des plus sublimes monuments de l’histoire de l’opéra, des origines à nos jours. Mercredi soir, au Théâtre des Champs-Elysées, après plusieurs mois de préparation, l’ensemble I Gemelli du ténor Emiliano Gonzales Toro en a donné une version semi scénique où le bouffe a pris le pas sur le serioso, avec une distribution d’une grande unité, sans points faibles, surtout du côté des femmes. 

Photo : (c) Bruno Serrou

Ultime opéra de Claudio Monteverdi (1567-1643) drame musical en trois actes précédés d’un prologue, composé à Venise en 1642, revu pour sa première reprise à Naples en 1651, Le Couronnement de Poppée est le parangon de la première période du théâtre lyrique italien, qui, après une éclipse de plus d’un siècle, deviendra le modèle absolu de l’opéra moderne, avec le recitar cantando (récitatif chanté) la mélodie continue, le rapport étroit entre théâtre et musique, la dimension littéraire et poétique du livret, l’un des meilleurs jamais écrits dans l’histoire de l’opéra, signé du Vénitien Giovanni Francesco Busenello (1598-1659) qui a puisé dans les Annales de Tacite (v.54-v.120) et dans la pièce Ottavia attribuée à Sénèque, la diversité psychologique, la vérité et la finesse des caractères humains et la richesse vocale des personnages, les côtés cyniques et libertins du texte, tandis que les chœurs sont totalement absents, et que l’orchestration manuscrite est sommaire, avec seulement quelques indications au-dessus des portées d’intervention d’instruments à vent, notamment de trombones… Dans l’intrigue fourmillante, qui mêle drame et comédie, alliant tragique, pathétique, comique, jusqu’à la commedia dell’arte, plusieurs strates d’actions qui donnent à cet ouvrage la dimension non seulement du théâtre, mais aussi les prémisses du cinéma et de la bande dessinée, de fait une somme fastueuse pour l’oreille, l’esprit et les yeux.

Photo : (c) Bruno Serrou

Telle une troupe d’amis qui ont longuement travaillé ensemble (les répétitions, nombreuses, ont occupé plus de huit mois l’agenda des artistes, instrumentistes et chanteurs, dans les ateliers du facteur de clavecin Reinhard von Nagel), le spectacle qui se déroule autour d’un trône de l’empereur, seul élément de décor planté sur une estrade utilisé pour sa mise en espace par Mathilde Etienne, co-fondatrice de l’ensemble I Gemelli, est mû par un communicatif bonheur de jouer ensemble autour de la Poppea fort séduisante de la soprano norvégienne Mari Eriksmoen. Tout aussi séduisante, la Drusilla / Virtù de la soprano perpignanaise Lauranne Oliva, qui de sa voix lumineuse et de sa présence scénique se glisse parfaitement dans la peau de ce personnage particulièrement attachant. La mezzo-soprano française Alixe Le Saux campe avec bonheur les altérités d’une Ottavia hautaine puis détruite. Ce trio brillant féminin est complété par trois autres cantatrices tout aussi avenantes, la soprano argentine Natalie Pérez qui atteste de son talent de comédienne en Valet et Amour, la soprano Mathilde Etienne, auteur de la mise en espace, parfaite en Dammigella et Fortune, et la mezzo-soprano lyonnaise Pauline Sabatier en Vénus. Côté homme, le contreténor australien David Hansen est un Nerone puissant, peut-être un peu trop sonore dans ses emportements, mais le timbre est coloré et son maintien noble et élancé, ce qui lui permet de camper un empereur particulièrement crédible. Mais le timbre et la vocalité du contreténor polonais Kacper Szelążek sont plus droits, chantants, séduisants dans le personnage d’Ottone, la basse parisienne Nicolas Brooymans est un Seneca d’une noblesse impressionnante, et sa mort est servie par une grande intensité vocale et scénique - tant et si bien que l’on ne peut que regretter que les personnages présents sur scène à ce moment précis fassent des gestes de dérision et de moquerie qui annihilent la portée de ce moment particulièrement dramatique qui conclut la première partie du concert… Le ténor suédois Anders J. Dahlin est une inénarrable Nourrice, qui s’illustre aussi en soldat et en familier, Matthias Vidal (Armalta) et Eugenio di Lieto (licteur, familier, consul) complètent cette distribution quasi parfaite en compagnie du directeur fondateur de l’ensemble I Gemelli, le ténor suisse d’origine chilienne Emiliano Gonzalez Toro qui tient cinq rôles secondaires, Lucain, soldat, Liberté, familier, tribun, et qui dirige discrètement assis derrière les violoncelles à jardin un orchestre à petits effectifs (douze musiciens avec seulement deux violons et deux instruments à vent, clavecin, quatre violes de gambe, harpe, luth, théorbe) manquait de rondeur, de couleurs et de carnation, mais la mise en place était irréprochable.

Bruno Serrou

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire