lundi 8 mai 2023

A l’Opéra de Lille, Denis Podalydès accueille Falstaff dans un jubilatoire hospice de La Jarretière

Lille (Hauts-de-France). Opéra. Jeudi 4 mai 2023

Giuseppe Verdi (1813-1901), Falstaff. Silvia Beltrami (Mrs Quickly), Tassis Christoyannis (Falstaff). Photo : (c) Opera de Lille

Initialement prévue en mai 2020, reportée pour cause de Covid-19, la première de la nouvelle production de Falstaff de Giuseppe Verdi qui conclut déjà la saison 2022-2023 de l’Opéra de Lille, en coproduction avec les Théâtres de la Ville de Luxembourg et de Caen, est une réussite, s’il n’était question de la énième transposition scénographique dans un hôpital-asile d’un ouvrage lyrique. La direction d’acteur de Denis Padolydès est d’une efficacité redoutable, du véritable théâtre joué par d’excellents chanteurs convertis en authentiques comédiens. L’Orchestre National de Lille brille sous la direction précise, énergique et onirique d‘Antonello Allemandi, avec en tête de distribution un magistral Tassis Christoyannis bien entouré, particulièrement par un excellent quatuor féminin.

A l’instar des Noces de Figaro de Mozart ou du Chevalier à la rose de Richard Strauss, Falstaff est un opéra d’ensembles. D’autant plus que les airs y sont fort brefs, le vieux Verdi, pour son chant du cygne, s’attachant avant tout au théâtre. Les chanteurs n’ont qu’une aria ou une scène pour s’illustrer en solistes. Conçue par un compositeur âgé de 80 ans qui, avec l’aide d’un librettiste particulièrement inspiré, poète Arrigo Boito lui-même compositeur, retrouvait pour la troisième fois des personnages puisés chez Shakespeare. L’œuvre elle-même est d’une vivacité et d’une énergie époustouflantes, action et partition se présentant comme de véritables tourbillons, tel un feu follet continu de commedia dell’arte.

De ce point de vue, la distribution réunie pour cette nouvelle production est d’une totale unité. Les ensembles sont équilibrés et fonctionnent à la perfection. Cela grâce à un brillant quatuor féminin qui réunit Gabrielle Philiponet, qui s’est glissée dans le personnage d’Alice Ford comme dans une seconde peau, Silvia Beltrami, qui impose en Mrs Quickly une imposante personnalité, une présence de vraie comédienne. Un peu plus effacée, Julie Robard-Gendre est une noble Meg Page, tandis que Clara Guillon campe une délicieuse Nannetta. Côté masculin, avec un zest de bonhomie et sans jamais se laisser porter à la gouaille caricaturale, le baryton grec Tassis Christoyannis est un Falstaff débonnaire, heureux de vivre, jamais fataliste, et sa performance vocale est irréprochable. Voix de bronze, Gezim Myshketa est un Ford stylé, Luca Lombardo un Dr Caïus bouffe à souhait, Damien Pass un Pistola a la voix colorée. 

Antonello Allemandi, qui connaît les voix à merveille pour se produire dans tous les grands théâtres lyriques du monde depuis ses débuts à 21 ans au Mai Musical de Florence, excelle dans la fosse à ménager les chanteurs, à les porter avec tact sans pour autant négliger le théâtre et la somptuosité de l’orchestration dont le moindre trait s’expose à l’envi, des soli les plus aériens jusqu’aux tutti les plus éclatants. L’Orchestre National de Lille, en présence de son fondateur Jean-Claude Casadesus, brille de tous ses feux, avec d’excellents chefs de pupitres, poussés à la mise en relief de la diversité de l’invention verdienne dans le domaine de la couleur, du rythme et d’une orchestration qui va du très grand orchestre à la musique de chambre. Le chef italien instille vigueur, allant, tranchant, ton de la comédie qui découlent de cette œuvre pleine d’esprit.

La mise en scène de Denis Padolydès est d’une redoutable efficacité dramatique tant la direction d’acteur incite chaque protagoniste à tirer de son rôle une authenticité théâtrale saisissante. Mais l’extrapolation au sein d’un bâtiment hospitalier (à moins que ce soit un asile pour sans domicile fixe voire un EHPAD) de la ville de Windsor nommé « La Jarretière » si l’on se fie aux surtitres. La scénographie d’Éric Ruf cède donc à la mode, qui veut que tout ouvrage lyrique ait des connotations hôpital-maison de retraite, tandis que les costumes de Christian Lacroix sont simples, sans excès de couleurs mais toujours joliment dessinés. Si bien que texte et situations se contredisent souvent - ce qui pouvait aisément passer avant l’usage du sur-titrage mais qui forme hiatus depuis la systématisation de ce dernier -, et pas question de forêt magique dans la moralité conclusive, ce qui annihile le climat de mystères nocturnes avec lequel vieux Verdi fait ses adieux à l’opéra sur un finale fugué qui constitue une fabuleuse pirouette…

Bruno Serrou

Jusqu’au 24 mai. La représentation du 16 mai à 20h00 est retransmise en direct sur grand écran dans vingt communes des Hauts-de-France (voir liste sur le site Internet de l'Opéra de Lille : www.opera-lille.fr


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