lundi 12 décembre 2022

Pour ses 70 ans, Philippe Manoury a offert à l’Ensemble Intercontemporain une somptueuse création, « Grammaires du sonore »

Paris. Cité de la Musique-Philharmonie de Paris. Salle des concerts. Vendredi 9 décembre 2022

Philippe Manoury, François-Xavier Roth et l'Ensemble Intercontemporain. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est avec six mois de décalage que l’Ensemble Intercontemporain s’est joint aux célébrations qu’il a initiées avec le Festival ManiFeste, Radio France et la Philharmonie de Paris, pour le soixante-dixième anniversaire de Philippe Manoury (1), le plus emblématique des compositeurs de l’IRCAM après Pierre Boulez, qui disait combien il lui devait sur le plan de sa propre création. 

L'Ensemble Intercontemporain, Philippe Manoury et François-Xavier Roth. Photo : (c) Bruno Serrou

Admiré par Pierre Boulez, qui l’appelle à l’IRCAM en 1981, maîtrisant comme personne l’informatique musicale, Philippe Manoury est l’un des compositeurs-phares de sa génération. Professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (1987-1997), puis à l’Université de Californie du Sud à San Diego et au Conservatoire de Strasbourg (2004-2012), il est l’un des compositeurs français les plus joués dans le monde. Né à Tulle le 19 juin 1952, il est aujourd’hui à la tête d’un catalogue qui compte près d’une centaine d’œuvres couvrant tous les répertoires, de la musique soliste à l’opéra, Philippe Manoury a rejoint l’institut de Pierre Boulez cinq ans après sa création en 1976, s’y attachant à la recherche dans l’interaction en temps réel entre instruments acoustiques et informatique, et participant ainsi au développement de MAX-MSP avec le mathématicien Miller Puckette. Philippe Manoury a été compositeur en résidence à l’Orchestre de Paris (1995-2001) et responsable de l’Académie Européenne de Musique du Festival d’Aix-en-Provence (1998-2000), et il a enseigné en 2017 au Collège de France.

Christina Daletska (mezzo-soprano), François-Xavier Roth et l'Ensemble Intercontemporain. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est une superbe soirée hommage à Philippe Manoury pour ses soixante-dix ans que l’Ensemble Intercontemporain a donné sous la brillante direction de François-Xavier Roth, avec une bouleversante mezzo-soprano ukrainienne Christina Daletska dans Quatre Lieder extraits de l’opéra Kein Licht (2017). Étourdissante création mondiale de Grammaires du sonore (2022), immense page d’orchestre d’une constante invention aux rythmes effrénés, aux timbres d’une variété fantastique et aux respirations étourdissantes grâce à une spatialisation naturelle remarquable. L’auditeur est littéralement envoûté par tant de beautés sonores à la palette de couleurs d’une ampleur inouïe. 

Philippe Manoury et François-Xavier Roth. Photo : (c) Bruno Serrou

Créées le 7 mai 1998 par l’Ensemble Intercontemporain dirigé par son directeur musical de l’époque, David Robertson, leur dédicataire, les quarante minutes des sept Fragments pour un portrait (Incantations, Choral, Vagues paradoxales, Nuit (avec turbulences), Ombres, Bagatelle, Totem) pour trente musiciens, référence à la démarche du peintre Francis Bacon dans ses approches du Portrait d’Innocent X de Velasquez, sont porteuses vingt-cinq ans en amont de Grammaires du sonore de toutes les préoccupations de Manoury dans la musique acoustique tirées de son expérience unique de la musique électroacoustique en temps réel dont il est l’un des maîtres incontestés et incontestables.

Christina Daletska (mezzo-soprano). Photo : Bruno Serrou

L’on sait depuis La Trilogie de Cologne créée entre 2016 et 2019 combien François-Xavier Roth a d’affinité avec Philippe Manoury et sa musique (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2019/06/philippe-manoury-signe-un.html). Rien de plus naturel en somme que l’Intercontemporain ait confié la direction de ce concert-hommage à l’un des chefs d’orchestre français les plus polyvalents parce que les plus informés historiquement. La magie de la musique de Philippe Manoury a été magnifiée par les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain qui aura brillé de tous ses feux, jouant avec un plaisir non feint cette musique fascinante continuellement renouvelée, sous l’impulsion magnétique de François-Xavier Roth, qui, de toute évidence, est proprement habité par la musique du compositeur désormais septuagénaire… Ce à quoi s’est ajoutée avant l’entracte l’émotion qui a transporté la Salle des concerts de la Cité de la Musique lorsque la cantatrice Christina Daletska est venue saluer le public enveloppée dans le drapeau ukrainien et se mit à chanter avec une douloureuse tendresse une délicate mélodie que Philippe Manoury a écrite pour elle en mars 2022 sur un poème en ukrainien de Marie Iljasenko (écrivain ukrainienne d'origine tchéco-polonaise née en 1983), Nous sommes toujours en guerre

 Bruno Serrou

1) Voir l'entretien que Philippe Manoury m'avait accordé pour son soixantième anniversaire publié sur ce site le 3 juin 2012 : http://brunoserrou.blogspot.com/2012/06/entretien-avec-le-compositeur-philippe.html


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