jeudi 15 décembre 2022

Impressionnant second volet du diptyque Herman Melville d’Olga Neuwirth par l’Ensemble Intercontemporain et Matthias Pintscher en clôture du Festival d’Automne à Paris

Paris. Philharmonie. Cité de la Musique. Salle des concerts. Mardi 13 décembre 2022

Olga Neuwirth (née en 1968), Le Encantadas. Matthias Pintscher, Ensemble Intercontemporain, technologie IRCAM. Photo : (c) Quentin Chevrier

Second volet des voyages d’Olga Neuwirth (née en 1968) proposé par le Festival d’Automne à Paris au sein de l’univers marin d’Herman Melville après The Outcast le 26 septembre dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/09/la-grande-fresque-le-banni-outcast.html), l’Ensemble Intercontemporain et son directeur musical Matthias Pintscher, en association avec la Philharmonie de Paris, a donné mardi Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie (Les Galápagos ou les aventures dans la mer des merveilles) en clôture de l’axe musical de l’édition 2022 du Festival d’Automne, à l’initiative du projet.

Olga Neuwirth (née en 1968), Le Encantadas. Matthias Pintscher, Olga Neuwirth, Ensemble Intercontemporain. Photo : (c) Bruno Serrou

La compositrice autrichienne s’est inspirée ici notamment de la série de nouvelles contenues dans le recueil The Encantadas (1854) d’Herman Melville (1819-1891) qui content une traversée maritime dans les eaux de l’archipel des Galápagos avec ses « îles enchantées », mystérieuses et séduisantes. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce recueil de Melville qui ont pour cadre l’océan Pacifique, ont inspiré à la compositrice autrichienne des souvenirs de ses séjours à Venise, à l’époque où elle était l’élève de Luigi Nono (1924-1990). Plus particulièrement de sa lagune et de l’église San Lorenzo où a été créé l’opéra Prometeo du maître vénitien dans une scénographie de l’architecte Renzo Piano. Dans cette œuvre conçue à l’IRCAM, mêlant instruments acoustiques spatialisés et électronique en temps réel, Olga Neuwirth entend réaliser sa conception d’une « arche de rêve au travers de l’espace et du temps », un espace sonore modulable, immersif et mouvant. 

Olga Neuwirth (née en 1968), Le Encantadas. Matthias Pïntscher. Photo : (c) Quentin Chevrier

Pour la diffusion des parties électroniques et des traitements informatiques appliqués en temps réel, la compositrice fait appel à un dispositif élaboré à l’IRCAM qui permet la reproduction de scènes sonores en 3D par un réseau périphérique de haut-parleurs installé sur un dôme autour de la salle. Baptisé « Ambisonics », ce système permet de reconstruire virtuellement l’acoustique de l’église San Lorenzo, point de départ de voyages vers des paysages sonores de plusieurs lieux de la ville de Venise dont les caractéristiques ont été captées à l’aide d’un réseau sphérique de micros. Les musiciens sont disséminés en six îlots autour de la salle de concert et jouent avec son acoustique tandis que leurs sons sont captés en temps réel, traités et restitués en divers endroits de la salle. 

Olga Neuwirth (née en 1968), Le Encantadas. Ensemble Intercontemporain. Photo : (c) Quentin Chevrier

Dans cette réalisation aussi singulière que complexe et fascinante, Olga Neuwirth plonge ses auditeurs au coeur d’une véritable mosaïque sonore, reflet de son propre univers des sons qui fusionne réalité et virtualité, pour une traversée sur un vaisseau des eaux de la Sérénissime à la façon dont Melville puise ses récits dans celles des « îles enchantées » du Pacifique. Malgré modularité relativement contrainte de la Salle des concerts de la Cité de la musique a fait que les six groupes instrumentaux étaient répartis par groupes de deux à cours et à jardin, d’un cinquième en fond de salle et un dernier sur le plateau, à droite du chef, planté devant un pupitre face au public, aux instrumentistes et aux informaticiens. Les soixante-dix minutes de l’œuvre s’écoulent sans que l'auditoire en prenne conscience, envoûté par les sons qui l’enveloppent et qui pénètrent son corps de toute part qui vit ce voyage comme s’il en était, les images sonores comblant amplement ce que les yeux ne voient pas. La pureté des instruments de l’Ensemble Intercontemporain, la fluidité de l’élément informatique en temps réel, la transparence liquide de la 3D, la précision saisissante de la direction de Mathias Pintscher ont permis à cette œuvre impressionnante par sa puissance évocatrice, par son invention et par son étonnante musicalité de donner toute son essence, sa magnificence, mettant somptueusement en exergue sa sensualité transcendante associant la lagune solaire de la Sérénissime Venise perçue à travers la mémoire auditive d’Olga Neuwirth et le sombre univers marin d’Herman Melville.

Bruno Serrou

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