mardi 20 décembre 2022

CD : Passionnante intégrale Praga des enregistrements du Pražák Quartet, l’un des grands quatuors à cordes du dernier demi-siècle

A l’instar des Juilliard Quartet, Quartetto Italiano, LaSalle Quartet, Smetana Quartet, Amadeus Quartet ou de l’Alban Berg Quartet pour n’en citer que quelques-uns, le Pražák Quartet aura marqué l’histoire du quatuor à cordes des soixante dernières années. 

Praga publie un coffret de cinquante CD présentés dans l’ordre alphabétique des compositeurs, de Beethoven à Zemlinsky, pour un total de vingt-cinq compositeurs, certains étant associés à des confrères pour cause de production insuffisante pour nécessiter une galette entière…

Fondé en 1974 sous le nom Pražákovo kvarteto (Quatuor Pražák en tchèque), par les violonistes Václav Remeš et Vlastimil Holek, l’altiste Josef Klusoň et le violoncelliste Josef Pražák alors étudiants au Conservatoire de Prague, le Quatuor Pražák a remporté le Concours international de quatuors à cordes d’Evian en 1978, ainsi que celui du Festival du Printemps de Prague 1979, avant de se perfectionner auprès de Walter Levin, leader du LaSalle Quartet, à l’Université de Cincinnati. Dès 1986, celui qui avait donné son nom à la formation, Josef Pražák, est remplacé par Michal Kaňka. L’effectif ne change pas pendant quatorze ans, lorsqu’en 2010 Pavel Hůla succède à Václav Remeš, tandis que Hůla sera remplacé à son tour pour raison de santé par Jana Vonášková-Nováková, membre du Smetana Trio. Le Pražák perpétue la grande tradition tchèque du quatuor à cordes établie par les Quatuors Bohémien, Morave, de Prague, Smetana, Janáček, Vlach, Ondriček, Talich dont on retrouve les traces authentiques dans les interprétations et le jeu du Pražák. 

Après des premiers enregistrements en 1981 pour Orfeo, puis New Era et Supraphon, Le Pražák a été accueilli en exclusivité en 1992 par mon regretté ami Pierre-Emile Barbier, critique musical fondateur des disques Praga, label qui le publie encore aujourd’hui. Le Pražák sera le premier quatuor tchèque a programmer les compositeurs de la Seconde Ecole de Vienne, Schönberg, Webern, Berg, ainsi que Zemlinsky, à l’exemple de leur maître Walter Levin du Quatuor LaSalle, une création dans laquelle il sauront instaurer une clarté, une luminosité, un chant que le quatuor étatsunien n’avait pas, mais que seul le Quartetto Italiano a su instaurer de manière plus sensuelle encore dans son intégrale des quatuors de Webern. Après la chute du mur de Berlin, le Quatuor Pražák s’attachera à un certain nombre de musiciens victimes de la Shoa, comme Ervin Schulhoff (1894-1942), le seul à faire partie du présent coffret avec ses Cinq Pièces pour quatuor à cordes de 1925, Pavel Haas, Hans Krasa, Viktor Ulmann, Gideon Klein…   

La seule grande intégrale que les Pražák ont enregistrée est celle des seize quatuors à cordes de Ludwig van Beethoven (1770-1827) réalisée entre 1999 et 2003. Leur interprétation est plus tendue, plus nerveuse que celle des Italiano, qui exposent un chant d’une sublime luminosité, mais les tensions des Pražák instillent une dramatisation des derniers quatuors d’une étourdissante diversité sonore. La parfaite homogénéité des quatre musiciens, le raffinement des timbres, la prise de risques considérable, les phrasés limpides, la justesse de ton dans les œuvres de chaque période créatrice de Beethoven font de cet ensemble une somme inépuisable de chefs-d’œuvre proprement délectable. Autre intégrale splendide d’une expressivité à fleur de peau, celle de quatre quatuors à cordes d’Arnold Schönberg (1874-1951), les Pražák ajoutant des pages pour quatuor à cordes hors catalogue ainsi que le Quatuor en majeur, mais aussi le Trio à cordes op. 45, le sextuor La Nuit transfigurée op. 4, la Symphonie de chambre op. 9 dans la transcription pour piano et quatuor à cordes d’Anton Webern, et la Fantaisie pour violon avec accompagnement de piano Op. 47 (Vlastimil Holek, Sachiko Kayahara), et y associant le Quatuor avec piano de Gustav Mahler (1860-1911) ; celle consacrée à Alban Berg (1885-1935), avec les deux versions du Largo desolato final de la Suite lyrique, avec (Christine Whittlesey) et sans la voix de soprano exposant le poème de Richard Dehmel « De Profundis clamavi », tandis que le Quatuor à cordes op. 28 constitue la seule incursion des Pražák dans l’univers d’Anton Webern (1883-1945) là où les Italiano lui avaient consacré un disque entier de plus de quarante-cinq minutes. Maître et beau-frère de Schönberg, Alexander von Zemlinsky (1871-1942) est représenté par des interprétations foisonnantes de ses Quatuors à cordes extrêmes, les n° 1 et n° 4, ce dernier ayant la même structure que la Suite lyrique de Berg. Autres incursions dans le XXe siècle, les deux CD consacrés à Dimitri Chostakovitch (1906-1975) avec les Quatuors à cordes n° 7, 8, 14 et 15, ainsi que les Deux Pièces pour quatuor à cordes op. 36 et le Quintette avec piano op. 57 (Evgeni Koroliov), et Serge Prokofiev (1891-1953) avec son Quatuor à cordes n° 2 de 1941.

Côté russe encore, un CD entier est réservé à Alexandre Borodine (1833-1887), mais avec le seul Quatuor n° 2 en ré majeur, accompagné du Quintette avec piano, du Sextuor à cordes et de la Sérénade alla Spagnola pour quatuor à cordes. Autres Russes, Mikhaïl Glinka (1804-1857) avec son Grand Sextet en mi bémol majeur et  son Divertimento brillante, auxquels est associé le Quatuor à cordes n° 1 Op. 11 de Piotr Ilyich Tchaïkovski (1840-1895).

De Johannes Brahms (1833-1897), compositeur brillamment servi par les Pražák, les trois Quatuors à cordes, les deux Sextuors à cordes avec l’altiste Petr Holman et le violoncelliste Vladimir Fortin, le Quintette avec clarinette avec l’excellent Pascal Moraguès, le Quintette avec piano avec Ivan Klánský, et le Quintette à cordes n° 2 Op. 51/2 avec l’altiste Vladimir Bukač. Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847) avec le Quatuor à cordes n° 1 et l’Octuor pour cordes Op. 20 (les Pražák s’étant associés ici le Quatuor Kocian), un autre enfin à Robert Schumann (1810-1856), avec le Quatuor à cordes n° 1 Op. 42 et le Quintette avec piano Op. 44 (Evgeni Koroliov). A cet ensemble de compositeurs allemands, les Pražák ont ajouté Carl Maria von Weber (1786-1826) et son magnifique Quintette avec clarinette Op. 34 enregistré avec Pascal Moraguès en l’église de Passy à Paris en janvier 2002.

Deux intégrales à connaître et à posséder absolument, celles de deux compatriotes des Pražák, Bedrich Smetana et Leoš Janáček (s’y ajoute de ce dernier la Sonate pour violon et piano par Vaclav Remeš et Sachiko Kayahara) dans l’œuvre desquels la formation chante dans son jardin, et quel jardin ! Somptueux, bouleversant, magnétique. Autres compositeurs tchèques, Antonín Dvořák (1841-1904) dont les Pražák ne proposent que les cinq derniers quatuors à cordes (n° 10 à 14) tout en y ajoutant une version sélective pour quatuor à cordes des Cyprès intitulée Echo of Songs, les deux Quintettes avec piano (Ivan Klánský), le Terzetto en ut majeur pour deux violons et alto et les Bagatelles pour deux violons, violoncelle et harmonium (Iaroslav Tůma), Jindřich Feld (1925-2007) avec ses Quatuors à cordes n° 4 et n° 6 et Quintette avec clarinette (Ian Mach), Bohuslav Martinů (1890-1959) représenté par les Quatuors à cordes n° 3, 6 et 7.

 Les grands classiques viennois sont naturellement présents, les Tchèques y chantant avec un naturel confondant en raison d’une évidente consanguinité. A commencer par celui qui est considéré comme le père-fondateur du genre quatuor pour cordes, Joseph Haydn (1732-1809), avec quinze de ses Quatuors, dont « Soleil », « L’Alouette », « Le Rêve », « La Grenouille », « Quintes », « Empereur », « Lever du Soleil » et « Les Sept Dernières Paroles de Notre Seigneur sur la Croix », les trois Quatuor Op. 71. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), avec six Quatuors à cordes (n° 15, 17, 19, 21, 22, 23), deux Quintettes à cordes (n° 4 - deux fois - et n° 5) le Quintette avec clarinette (Pascal Moraguès), le Quintette pour cor et cordes (Vladimira Klánská) et les Concertos pour piano n° 11 à 13 dans des arrangements pour piano et quintette à cordes (Pavel Nejtek, contrebasse, Slávka Pěchočová-Vernerová, piano). Enfin, Franz Schubert (1797-1828), avec d’immenses interprétations des Quatuors à cordes n° 7, 13, 14 et 15, et du Quintette à cordes D. 956 de 1828 avec Marc Coppey. Il convient enfin d’ajouter un autre Viennois, Anton Bruckner (1824-1896) avec son unique Quatuor à cordes en fa majeur.

Une somme pour l’Histoire du Quatuor à Cordes réunie en un unique coffret à offrir pour Noël 2022, pour les Etrennes 2023, mais aussi et surtout pour l’Eternité !

Bruno Serrou

50 CD Praga Digitals PRD 250425 (distribution Little Tribeca). Enregistrements : 1992-2018. Durée : plus de 55 heures. Texte de présentation très intéressant de Georges Zeisel, fondateur de l’association Pro Quartet

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