samedi 9 février 2013

Retour plutôt digne de la Favorite de Donizetti à Paris après plus de vingt ans d’absence, pour le centenaire du Théâtre des Champs-Elysées



Paris, Théâtre des Champs-Elysées, jeudi 7 février 2013


Donizetti, la Favorite : Marc Laho (Fernand), Alice Coote (Léonor de Gusman), Ludovic Tézier (Alphonse XI). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées. DR

Auteur de soixante et onze opéras, Donizetti est en permanence à l’affiche d’un théâtre lyrique quelque part dans le monde. Non seulement par l’intermédiaire de l’un de ses ouvrages les plus illustres, mais aussi l’un ou l’autre des plus oubliés. Ainsi, en France, Rita programmé par la Péniche Opéra depuis un an (http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/01/la-peniche-opera-ouvre-la-saison-de-son.html), parmi les moins connus ou la Fille du Régiment à l’Opéra de Paris-Bastille en octobre dernier (http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/10/natalie-dessay-et-juan-diego-florez.html), parmi les plus fameux. Un an après Don Pasquale, le Théâtre des Champs-Elysées présente ce mois-ci, en cette année de son centenaire, une nouvelle production de la Favorite. En 1839, l’année de la Fille du régiment et de la version française de Lucia di Lammermoor, le maître du bel canto conçoit l’Ange de Nisada écrit pour le Théâtre de la Renaissance. Après la fermeture de ce dernier peu avant la création de ce dernier ouvrage, Donizetti reprend cet ouvrage, le révise et lui donne le titre La Favorite. Cet ouvrage, qui appartient à la dernière période créatrice de son auteur, sera créé le 2 décembre 1840 à l’Opéra de Paris. Deux ans plus tard, après être passé par les fourches de la censure italienne, il est donné en italien sous le titre Leonora di Guzman à Padoue en 1842 puis à la Scala de Milan le 16 août 1843 avec l’intitulé Elda ossia La favorita. Fort en vogue jusqu'au début du XXe siècle, atteignant la sept-centième en 1918, avant de se faire plus rare, la Favorite retrouve Paris sous sa forme originelle après plus de vingt ans d’absence, au Théâtre des Champs-Elysées.


Gaetano Donizetti (1797-1848)

Cet ouvrage lyrique en quatre acte est ainsi marqué du sceau du grand opéra à la française dont les canons ont été établis par l’Italien Gioacchino Rossini, dans Guillaume Tell, et par l’Allemand Giacomo Meyerbeer, mais n’en est pas moins gouvernée par un lyrisme proprement italien. Influencé par ceux d’Eugène Scribe, qui les a aidés, le livret d’Alphonse Royer (1803-1875) et Gustave Vaëz (1812 -1862), qui transfèrent l’action du sud de la France en Espagne, est adapté du drame en trois actes et en vers Les Amans malheureux ou Le comte de Comminge (1764) de François-Thomas-Marie de Baculard d’Arnaud (1718-1805). L’intrigue se déroule en Espagne, sur l’île de Léon et à Séville, en 1340 au temps de l’occupation mauresque et des luttes de pouvoir entre l’Eglise et l’Etat. L’action se focalise autour de trois personnages centraux, Alphonse XI, roi de Castille qui vient de vaincre les Maures à Tarifa, sa maîtresse favorite Léonor de Guzman et son amant Fernand, qui ignore sa position à la cour. Lorsqu’il l’apprend, Fernand rejette Léonor, jette son épée au pied du roi et se retire dans le couvent d’où l’avait sorti son amour pour la belle inconnue. Cette dernière l’y retrouvera à la fin pour mourir d’amour dans ses bras alors qu’il vient de prononcer ses vœux de moine. 


Donizetti, la Favorite. Marc Laho (Fernand). Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées. DR

Dans sa forme, son livret et sa musique, la Favorite s’inscrit totalement dans son époque, un romantisme hypertrophié dont les excès prêtent beaucoup à sourire, voire à rire franchement. Valérie Nègre, qui assure seule la mise en scène après avoir été l’assistante de nombreux metteurs en scène, de Patrice Chéreau à Eric Génovèse la saison dernière pour Così fan tutte dans ce même Théâtre des Champs-Elysées (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/05/jeremie-rohrer-eric-genovese-et-la.html), a choisi de faire abstraction de l’Espagne médiévale et de plonger plutôt dans le siècle de Donizetti, revêtant ses personnages de costumes du XIXe siècle dessinés par Aurore Popineau se mouvant au milieu de décors réduits à leur plus simple expression (accessoires, lampes, projecteurs, praticables, etc.) mais plutôt évocateurs d’Andrea Blum. L’expérience de la metteur en scène promettait bien davantage que ce que le rendu final de son approche. La direction d’acteur est réduite au strict minimum, les mouvements sont pesants, les gestes convenus, la chorégraphie caricaturale, au point que l’on se surprend à plaindre les pauvres choristes de Radio France pourtant en forme associés à ceux du Théâtre des Champs-Elysées, tandis que les chanteurs, laissés à eux-mêmes, font ce qu’ils peuvent pour investir leurs personnages. Ce qui ne fait que souligner la légèreté de l’intrigue et les faiblesses sinon le ridicule du livret. Seul le dernier acte sort le spectateur de sa torpeur, à l’instar des solistes, qui laissent alors percer un engagement total. Relevant d’une grippe, la soprano britannique Alice Coote vampe une Léonor si émouvante qu’elle parvient à faire oublier  certains changements de registres assez raides, ses graves poitrinés n’étant de toute évidence que le fruit de la fatigue. Le ténor belge Marc Laho est un Fernand solide qui affronte vaillamment les difficultés du rôle. La voix sonne clair, le phrasé est élégant. Ludovic Tézier est un Alphonse XI éblouissant, sa voix est d’une solidité et d’une coloration d’airain, mais un peu sonore au point d’effacer ses partenaires par la puissance de sa voix et sa haute stature, au point de sembler être seul sur le plateau tandis que les autres chateurs semblent n’être plus que des faire-valoir. Loïc Félix est un Don Gaspar particulièrement vindicatif, et Judith Gauthier donne une réelle densité à la scène plutôt banale que Donizetti réserve à la confidente de Léonor. Au sein de cette distribution pour le moins cohérente, le maillon faible est la basse italienne Carlo Colombara, Balthazar à l’articulation approximative et à la voix boursouflée. Dans la fosse, galvanisé par la direction experte et avenante du chef Italien Paolo Arrivabeni, qui fréquente assidûment la musique de Donizetti, l’Orchestre National de France fait un sans faute, ne couvrant jamais les voix, ne se faisant jamais lourd ni épais, tout en participant activement à l’action. 

Bruno Serrou

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