Paris, Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Salle d’Art lyrique, mardi 5 février
2013
Conçu au début
des années 1990 sur un livret de Luc Bondy tiré de La Ronde d’Arthur
Schnitzler, Reigen est le deuxième
opéra de Philippe Boesmans (né en 1936), après La Passion de Gilles
(1983) et avant Wintermärchen (1999), Julie (2005) et Yvonne,
princesse de Bourgogne (2009), en attendant la
création en 2014 de son septième opéra, Au Monde sur un texte de Joël Pommerat (1). Créé en mars 1993 au Théâtre de La Monnaie de Bruxelles
dans une mise en scène de Luc Bondy, repris au Théâtre du Châtelet en 1994, cet
ouvrage se présente telle une suite de
dix dialogues dans laquelle un même chanteur/personnage fait le lien entre deux scènes. Depuis lors, onze productions différentes dans le monde ont
confirmé la résonnance de cet ouvrage.
Alors qu’il travaillait sur Julie, le compositeur wallon a accepté
la gageure de voir confier à l’un de ses jeunes compatriotes et élèves,
Fabrizio Cassol, la réduction de Reigen
pour un ensemble de vingt-deux musiciens ce qui nécessitait le grand orchestre.
Ainsi, depuis lors la diffusion de cet ouvrage peut-elle être plus large
encore, et, surtout, le rapport à la partition est-il modifié, avec des timbres
plus colorés façon cabaret, ce qui rapproche davantage l'opéra de
l'esprit de la pièce de Schnitzler, la souplesse des textures, la flexibilité d’une formation de
solistes et une relation plateau-fosse-salle plus directe et intime. Réalisée à
la demande de l’Atelier lyrique du Rhin, cette version était conçue à l’échelle
du Théâtre municipal de Colmar à l’acoustique particulièrement fluide et
éclatante, où le moindre écart est perçu avec une extrême précision. Un son
résonnant comme dans une bonbonnière où peuvent se fondre et s’éclairer les uns
les autres chanteurs et instrumentistes.
Il en est de même avec la Salle d’Art
lyrique du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris,
qui, en coproduction avec la Cité de la Musique, reprend cette version dans une nouvelle production. Le CNSMDP a inscrit
Reigen cette année dans son cursus de formation, après l’Atelier d’Art lyrique de
Colmar et l’Opéra Studio d’Amsterdam. L’équipe réunie pour cette nouvelle production
(10 chanteurs, 24 instrumentistes de 20 à 27 ans) réalisée avec la Cité de la
Musique sont tous élèves du Conservatoire, en classes de Licence, Master1 et Master2.
Dès son arrivée à la tête de la première institution de pédagogie musicale de
France, le compositeur Bruno Mantovani a accru les occasions pour ses élèves de
s’affermir devant des publics, renouant ainsi avec l’époque de Marc-Olivier Dupin,
qui avait notamment fait appel à Andrei Serban en 1995 pour l’Amour des trois oranges de Serge
Prokofiev. Cette fois, et pour la seconde année consécutive après Echo et
Narcisse de Gluck, c’est Marguerite Borie qui assure la mise en scène de Reigen.
Sous la direction énergique et
précise du jeune chef italien Tito Ceccherini, familier de la musique
contemporaine, proche de Sciarrino et Péter Eötvös, et en présence de Philippe Boesmans, l’Orchestre du
Conservatoire de Paris s’avère d’une homogénéité remarquable, l’alliage des timbres s'affirmant par une coloration remarquable, et la netteté des attaques s’impose dès
le début, grâce aux petits effectifs qui ne laissent rien passer, ni écarts d’intonation, ni imprécisions dans les nuances et les attaques, ni décalages. Tous
les pupitres se montrent en fait excellents solistes, qui savent fusionner pour
constituer un ensemble véritable, répondant avec empressement aux
sollicitations du chef, qui sert lui-même avec diligence la mise en scène
nerveuse et efficace de Marguerite Borie.
Au contact de la jeune metteur en
scène franco-allemande, les étudiants des classes de chant du Conservatoire de
Paris sont à l’école du théâtre, animés par une direction d’acteur qui évite
les poncifs où l’action de Reigen
pousse naturellement, avec ces dix scènes d’amour toutes plus réalistes les
unes que les autres, course effrénée de maladies sexuellement transmissibles,
depuis les bas-fonds jusqu’à la haute société. Dans une scénographie signée
Laurent Castaingt plus simple que prévu en raison de restrictions budgétaires –
mais ses lumières suscitent de trop fort contrejours qui nuisent à la
visibilité du spectacle –, Borie a su échapper à cette tentation, les déshabillages
de beaux costumes de Pieter Coene restant toujours dans les limites de la décence,
et l’on sourit volontiers des péripéties de ces chanteurs-acteurs à peine moins
âgés que les personnages de l’opéra.
Tous les chanteurs sont à citer : le théâtre règne
en maître, les voix sont belles et l’articulation parfaite, de la prostituée Marie
Soubestre (soprano) au mari Aurélien Gasse (baryton) en passant par la femme de
chambre de la mezzo-soprano Catherine Trottmann, la jeune femme de la soprano
Laura Holm, la grisette de la mezzo-soprano Charlotte Schumann, le soldat du
ténor Alban Dufourt, le jeune homme du ténor Enguerrand de Hys, et le comte du
baryton Romain Dayez. Se détachent néanmoins de la troupe le ténor Jean-Jacques
L’Anthoen (le poète), le baryton Aurélien Gasse (le mari) et, surtout, la
pulpeuse Marie-Laure Garnier, solide et malicieuse soprano qui surpasse en aura
Françoise Pollet dans le rôle de la cantatrice que Boesmans avait pourtant
écrit pour son aînée. Il ne fait aucun doute que parmi ces jeunes
artistes, sur le plateau comme dans la fosse, il se trouve de futures têtes
d’affiche.
Bruno
Serrou
1) La création de Au Monde est programmée en 2014 par le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles dans un production qui sera reprise ensuite à l'Opéra-Comique de Paris, Salle Favart.
Photos : (c) Ferrante-Ferranti / Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
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