vendredi 21 juin 2024

Retour convaincant de "La Vestale" de Spontini à l’Opéra de Paris 217 ans après sa création

Paris. Opéra-Bastille. Mercredi 19 juin 2024  

Gaspare Spontino (1774-1851), La Vestale. Reconstitution du grand amphithéâtre de la faculté de La Sorbonne. Photo : (c) Guergana Damianova / OnP

Parangon du grand opéra français dont Richard Wagner s’inspira dans le développement de son art après l’avoir découvert et dirigé à l’Opéra de Dresde, La Vestale de Gaspare Spontini se fait fort rare en France, où il connut pourtant un succès foudroyant à sa création le 15 décembre 1807 tandis que le Premier Empire triomphait, deux semaines après l’entrée de la Grande Armée dans Lisbonne, pour atteindre plus de deux cents représentations en 1854. Onze ans après celle du Théâtre des Champs-Elysées (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2013/10/159-ans-apres-sa-derniere-apparition.html), la nouvelle production qu’en donne l’Opéra Bastille captive par son efficacité dramatique et sa distribution sans faille et sa densité musicale qui ne se relâche à aucun moment 

Gaspare Spontini (1774-1851), La Vestale. Photo : (c)  Guergana Damianova / OnP

Tragédie lyrique en trois actes sur un livret de l’Académicien Etienne de Jouy (1764-1846), futur librettiste de Moïse et Pharaon (1827) et de Guillaume Tell (1829) de Gioacchino Rossini (1792-1868), inspiré de Johann Joachim Winckelmann (1717-1768) et de Joseph-Gaspard Dubois-Fontanelle (1737-1812) composée en 1807, La Vestale de Gaspare Spontini (1774-1851). Né à Maiolati en Italie, formé au conservatoire de Naples, où il ne brille pas par ses dons. En 1803, attiré par l’effervescence parisienne, il s’installe dans la capitale consulaire en 1803, où il reçoit plusieurs commandes d’opéras comiques, avant de devenir en 1805 le compositeur attitré de l’impératrice Joséphine à qui il dédiera deux ans plus tard sa Vestale. Naturalisé Français 1817, il quittera néanmoins Paris en 1820 à la suite de l’échec de sa troisième œuvre majeure, Olympie, pour s’installer à Berlin. Il séjournera de nouveau à Paris entre 1842 et 1847, avant de retrouver définitivement son Italie natale où il meurt en 1851. Il s’agit donc d’un opéra français qui sera par la suite adapté en allemand en 1810 puis en italien en 1811. A l’instar de Norma de Vincenzo Bellini un quart de siècle plus tard, la vestale Julia (sans doute évocatrice de l’épouse de Napoléon) est une prêtresse qui a fait vœu de chasteté, mais qui, amoureuse d’un officier romain, se voit condamner à mort, mais dont le sort tragique est opportunément transformé en apothéose grâce au pardon inattendu de la déesse Vesta dont elle a pourtant profané le temple…  

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Gaspare Spontini (1774-1951), La Vestale. Photo : (c)  Guergana Damianova / OnP

L’action se déroule en 269 avant notre ère à Rome, où le général Licinius est épris de son amie Julia devenue vestale après son départ pour guerroyer en Gaule. La Grande Vestale avertit Julia des dangers que lui fait courir cet amour, mais sachant que la jeune femme veille dans le temple de Vesta (1), Licinius l’enlève. Tandis qu’ils sont ensemble, le chef de la légion Cinna accourt pour prévenir Licinius que le peuple s’apprête à punir le couple profanateur. Julia perd connaissance et est retrouvée sur l’autel où elle accepte le châtiment qui l’attend : être enterrée vivante. Afin de la sauver, Licinius avoue sa faute et implore le Souverain Pontife, qui accepte de la sauver si le voile qu’il fait déposer sur l’autel prend feu de lui-même, signe du pardon des dieux. Alors que Licinius donne l’ordre à l’armée de sauver Julia, un orage éclate et la foudre enflamme le voile, ce qui suscite la célébration de leur amour par le peuple… Y voyant un signe des dieux, le Grand Prêtre et la Grande Vestale libèrent Julia qui peut épouser Licinius. Une happy-end tirée par les cheveux, quand on connaît le sort tragique qui attendait les vestales et leurs amants, que la production de l’Opéra de Paris néglige pour donner plus de poids à la tragédie. Quant à la partition, sans être clairement porteuse de l’avenir qu’y voyaient ses contemporains, particulièrement Hector Berlioz et Richard Wagner, elle convainc par son souffle narratif et sa continuité, tandis que l’écriture vocale se situe dans la ligne des opéras serie de Luigi Cherubini et de Gioacchino Rossini.

Gaspare Spontino (1774-1851), La Vestale. Photo : (c)  Guergana Damianova / OnP

Dans cet opéra dédié à l’impératrice Joséphine de Beauharnais, le couple Licinius/Julia incarne clairement à la scène les figures de Napoléon Ier et de son épouse. Pourtant, la metteuse en scène, qui a suscité la controverse dans une Salomé de Richard Strauss à l’Opéra Bastille (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/10/somptueuse-prise-de-role-delza-van-den.html) reprise le mois dernier, donne le juste poids à cette Vestale, plongeant le spectateur dans quelque évocation du sacre de Napoléon en décembre 1804. Les premières images (qui seront aussi les dernières), durant l’ouverture sont d’une force saisissante d’une dictature sanguinaire avec des corps torturés pendus par les pieds contre un immense mur de béton sans fin, tandis que Licinius, éprouvé par la guerre, déambule ivre, une bouteille d’alcool à la main. S’inspirant du climat du roman La servante écarlate de Margareth Atwood qui a pour cadre l’Université de Harvard,  ce que propose Lydia Steier est d’une grande cohérence, situant l’opéra dans un unique décor conçu par Etienne Pluss qui représente le grand amphithéâtre de l’Université de la Sorbonne dans un état de délabrement avancé, les corniches éraflées, les rayonnages des bibliothèques effondrés et vidés de leurs livres qui seront par la suite brûlés en autodafé alimentés par les vestales gardiennes de la flamme éternelle vêtues de noir telles des ombres. Les images que la metteuse en scène donne à voir au public est pleine de sang et de fureur, avec des corps nus écorchés et ensanglantés, la violence des gestes, les actes d’humiliations comme des crachats, les têtes rasées des vestales qui renvoient aux camps de concentration, tandis que dans le finale qui don,ne à entendre un ballet sirupeux avec un doucereux duo de harpe et cor solos, la liesse générale est plombée par la traitrise inattendu suivi d’un coup d’Etat de Cinna, jusqu’alors ami indéfectible de Licinius, qui fait exécuter d’un coup de rafale de mitraillette la Grande Vestale et peut-être, hors scène, le couple Licinius/Julia avant de se faire couronner… Seule l’apparition de la statue d’or géante de Vesta traversant le plateau dénature la puissance de la proposition de la metteuse en scène états-unienne.

Gaspare Spontini (1774-1851), La Vestale. Photo : (c)  Guergana Damianova / OnP

La partition est remarquablement servie par une équipe de chanteurs acteurs sans faiblesses. Malade, Elza van den Heever était remplacée avec brio dans le rôle-titre par Elodie Hache qui surmonte vaillamment les difficultés de son timbre lumineux. Face à elle, le Licinius éperdu d’amour intensément ressenti par Michael Spyres au timbre altier, vocalement impressionnant et à la diction limpide qui campe un militaire déchirant traumatisé par les horreurs de la guerre. Julien Behr évolue avec aisance et conviction de l’amitié fraternelle à la trahison la plus noire en Cinna,. Voix sombre et puissante u timbre profond, Jean Teitgen est un impressionnant Souverain Pontif, tandis que Florent Mbia est un chef des Aruspices discret mais efficace. Dans la fosse, Bertrand de Billy est tout en nuances et en dynamisme, sans jamais presser ni oppresser, respirant large, ménageant subtilement drame, tragédie, romantisme, conflits à la tête d’un orchestre coloré et précis, ce qui n’est pas toujours le cas du chœur, certes excellent mais qui n’est pas exempt de décalages.

Bruno Serrou

1) Il est à noter que, constituées en groupes de quatre à sept vierges, les vestales étaient recrutées parmi des jeunes filles de 6 à 10 ans nées de parents libres et vivants. Elles devaient vouer trente années de leur existence au service de la déesse Vesta dans la chasteté, symbole de la pureté du feu 

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