lundi 10 juin 2024

Répliques et Intemporalités au festival ManiFeste 2024 de l’IRCAM

Paris. Cité de la Musique, Salle des Concerts ; Centre Pompidou, Grande Salle. Jeudi 7 et vendredi 8 juin 2024 

Dispositif de l'Ensemble Intercontremporain à la Cité de la Musique pour l'exécution de Trois Manifestes de Luis Fernando Rizo-Salom (1971-2013). Photo : (c) Philharmonie de Paris

ManiFeste (1), festival de création musicale de l’IRCAM qui a succédé en 2012 à Agora lancé par Laurent Bayle en alliant concerts, spectacles et pédagogie, se situe en cette fin de printemps 2024 dans la continuité de son ambition créatrice, associant musique, théâtre, danse, arts numériques et arts plastiques. Commencé le 30 mai, je rends compte ici des deux concerts du festival auxquels j’ai assisté la semaine dernière, le premier Cité de la Musique, le second Centre Pompidou.

Odile Auboin, altiste de l'Ensemble Intercontemporain, dans Parfum d'un Autre Monde de Mayu Hirano (née en 1979). Photo : (c) Philharmonie de Paris

Remarquable concert de création que celui intitulé « Répliques » proposé le 7 juin à la Cité de la Musique de la Philharmonie de Paris par l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Lin Liao, avec deux impressionnantes créations d’une inventivité saisissante. La première, Parfum d’un Autre Monde de la compositrice japonaise Mayou Hirano (née en 1979) est un fascinant dialogue entre un alto virevoltant et une électronique en temps réel raffinée joué avec brio par Odile Auboin devisant vaillamment avec Joao Svidzinski, réalisateur en informatique musicale de l’IRCAM ménageant pendant un quart d’heure surprises de structures et de jeu et sonorités captivantes. La seconde, Inside, est un concerto virtuose pour contrebasse, ensemble de quatorze instrumentistes (2) et électronique en temps réel du compositeur italien Aureliano Cattaneo (né en 1974) joué par un brillantissime Nicolas Crosse, tandis que deux contrebasses solitaires chacune plantée latéralement derrière un micro captant leurs résonances en sympathie de chaque côté de l’orchestre. L’œuvre s’inspire du roman de Fiodor Dostoïevski, Le Double, qui combine le fond et la forme, comme le constate le compositeur, l’idée sur laquelle le romancier russe se fonde s’étendant du contenu (ce qui est conté) à la forme (la façon dont les faits sont racontés), le concept d’intérieur et d’extérieur étant travaillé par le biais de l’électronique qui suscite des fonctions dramatiques des systèmes d’amplification, le son étant envoyé dans la contrebasse solo ou dans les deux contrebasses « fantômes » ou dans les hautparleurs disposés sur le devant de la scène et ceux encerclant le public. L’écriture ample, fluide, les tensions dramatiques fascine, usant de toutes les aptitudes de chaque instrument présent sur le plateau, plus particulièrement la contrebasse (cordes, coffre, manche, tendeur) qui en est l’élément central, mais aussi l’outil informatique élaboré en collaboration avec le réalisateur en informatique musicale de l’IRCAM Pierre Carré.

Nicolas Crosse (contrebasse), Ensemble Intercontemporain dans Inside d'Aureliano Cattaneo (né en 1974). Photo : (c) Philharmonie de Paris. Photo : (c) Philharmonie de Paris 

Ces deux création entouraient une pièce magistrale du regretté Luis-Fernando Rizo-Salom (1971-2013), intitulée fort à propos dans le cadre d’une manifestation du même nom, Trois Manifestes créés en 2009, l’un des chefs-d’œuvre du compositeur colombien disciple d’Emmanuel Nunes mort accidentellement le 23 juillet 2013 à l’âge de 41 ans à la suite de la chute du deltaplane qu’il pilotait (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2013/07/createur-de-talent-le-compositeur.html et http://brunoserrou.blogspot.com/2013/09/lensemble-court-circuit-ouvre-avec.html). Comme les autres partitions du programme, celle-ci tourne autour de la confrontation entre plusieurs éléments. Cette fois, trois groupes instrumentaux (3) pour un total de trente musiciens disposés en autant de scènes distinctes, dans la Salle des concerts de la Cité de la Musique, l’un sur scène avec la cheffe d’orchestre, les deux autres face à face sur les balcons de côté, chacun « défendant ce que l’on pourrait appeler un ’’manifeste sonore’’ » comme le précisait le compositeur dans son texte de présentation publié à l’occasion de la création de l’œuvre le 9 juin 2009 dans cette même salle dans le contexte du même festival, qui, à l’époque, s’appelait encore Agora. Dirigés avec maestria par l’excellente Lin Liao, les membres de l’Ensemble Intercontemporain renforcés par des supplémentaires, déversent des flots de timbres mirifiques tandis que l’ingénieuse partie informatique, réalisée en collaboration avec Robin Meier, réalisateur en informatique musicale, et diffusée par un système de petits haut-parleurs placés sous les fauteuils du public, est vraiment splendide, créant une sensation de flottement, comme suspendu en apesanteur sur la matière sonore, tandis que les sons instrumentaux surgissent en cascade depuis les gradins des balcons.

Les Percussions de Strasbourg dans Timelessness de Thierry De Mey (né en 1956) et Wim Vandekeybus (né en 1960). Photo : DR

Le second rendez-vous ManiFeste auquel j’ai pu assister cette semaine s’est déroulé samedi 8 juin dans la Grande Salle du Centre Pompidou archi-comble. Il était question d’un concert-spectacle des Percussions de Strasbourg dont les effectifs ont été renouvelés. Voire élargis, puisque la pièce proposée requiert la participation de huit musiciens. Il ne s’agissait pas d’une création, mais d’une première à Paris, puisqu’elle a été créée le 29 septembre 2019 à Strasbourg dans le cadre du festival Musica. Intitulée Timelessness (Intemporalité), cette œuvre a été conçue par le compositeur Thierry De Mey (né en 1956), collaborateur privilégié de la compagnie de ballet d’Anne Teresa de Keersmaeker, et le danseur chorégraphe belge Wim Vandekeybus (né en 1960). Ce spectacle raffiné de soixante-dix minutes qui assemble une douzaine de pièces (4) du compositeur bruxellois séduit, mais était espéré plus créatif, varié et audacieux, à l’instar des impressionnants monuments sonores d’Iannis Xenakis et d’Hugues Dufourt notamment, composés à l’instigation des équipes des Percussions de Strasbourg précédentes. Néanmoins, la réputation de la plasticité de la gestique suscitée par le jeu des instruments à percussion se retrouve ici, suscitant une dramaturgie chorégraphique à laquelle les musiciens alsaciens, qui se meuvent pieds nus et se dispersent à travers l’espace du plateau, ne restant à leur poste fixe de chambristes qu’occasionnellement, participent avec un plaisir communicatif.

Bruno Serrou

1) Jusqu’au 22 juin 2024

2) Contrebasse solo, flûte (aussi piccolo), clarinette (aussi clarinette basse), saxophone, cor, trombone, accordéon, deux percussionnistes, piano, harpe, violon, alto, deux violoncelles

3) Bois par deux - flûtes (la 2e aussi piccolo), hautbois, clarinettes (la 1ère aussi clarinette en mi bémol), une clarinette basse, bassons (le 2e aussi contrebasson) -, cuivres par deux - cors, trompettes, trombones, un tuba -, trois percussionnistes, piano (aussi célesta), harpe, trois violons, deux altos, deux violoncelles, deux contrebasses

4) Intro, Duo S., Affordance, Pièce de gestes, Musique de tables, Timelessness, Silence Must Be! (part 1), Floor Pattern, Silence Must Be! (part 2), Hands, Frisking, Silence Must Be! (part 3)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire