mardi 12 septembre 2023

L’envoûtement spirituel de la Philharmonie de Paris par Philippe Herreweghe et son Collegium Vocale Gent dans la Messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 11 septembre 2023 

Eminent spécialiste de la musique du Cantor de Leipzig, Philippe Herreweghe, avec son Collegium Vocale Gent auquel il a associé un ensemble instrumental portant le même intitulé a donné lundi soir une Messe en si mineur BWV 232, testament cultuel de Johann Sebastian Bach, d’une spiritualité ardente et sereine. 

Philippe Herreweghe, Collegium Vocale Gent. Photo : (c) Bruno Serrou

La Messe en si mineur est l’une des rares œuvres du Cantor de l’église protestante de Saint-Thomas de Leipzig à se fonder sur la liturgie catholique. Cette partition est en fait un assemblage de plusieurs pièces d’un puzzle. Elle est en effet le fruit d’une longue genèse en plusieurs étapes. Pour ce faire, Bach puisa dans un réservoir de partitions antérieures en partie réécrites pour l’occasion. Seul un tiers de la Messe est constituée de pages originales composées pour elle. Bach commença en 1733 par le Kyrie en si mineur qui introduira par la suite la Messe ainsi que le Gloria qui le suit, adressant ces deux premiers éléments en 1734 comme acte de candidature au poste de compositeur de la cour de Dresde au nouvel électeur de Saxe, roi de Pologne sous le nom d’Auguste III (1696-1763). Neuf ans plus tôt, pour le jour de Noël 1724, il avait réalisé un Sanctus qu’il allait reprendre également dans sa Messe. En 1747-1749, Bach retourne à ces trois premières parties de l’office catholique afin de réaliser une messe complète en vingt-sept numéros. Il réalise alors le Credo et l’Agnus Dei en reprenant des partitions antérieures et en intégrant des pages spécifiques à sa messe. Obéissant à la liturgie catholique, au point de répéter quatre fois dans le Credo la formule que nombre de compositeurs étouffent généralement sous un flot d’orchestre rendant quasi inaudible cette phrase (confer la Beethoven dans sa Missa solemnis), Et unam sanctam catholicam et apostolicam Ecclesiam (Et [je crois] en une Eglise sainte, catholique et apostolique) qui surprend de la part d’un protestant, mais l’esprit reste celui de la foi luthérienne dont Bach est le chantre universel, et deux infimes modifications de texte, l’une dans le Gloria l’autre dans le Sanctus. L’intégralité de la partition ne sera réunie et publiée qu’en 1845 chez Nikolaus Simrock Verlag à Bonn et créée en 1859. 

Philippe Herreweghe, Collegium Vocale Gent. Photo : (c) Bruno Serrou

Dans cette œuvre célèbre où il excelle, tant il en connaît les moindres secrets, et qu’il a enregistrée trois versions discographiques, Philippe Herreweghe chante clairement dans son jardin. Le pas mesuré lorsqu’il entre et sort de scène, le geste économe, le chef belge, à la tête de l’ensemble qu’il a fondé en 1970 et qu’il dirige depuis, a offert une interprétation lumineuse et d’une profonde spiritualité, à la fois souriante et grave, voire peut-être un rien trop introspective et retenue dans le Gloria. Si l’on peut s’étonner qu’il ait introduit un entracte avant d’aborder le Symbolum Nicenum (Credo), cette pause aura préludé à une seconde partie plus dynamique et enlevée, Herreweghe avivant son ensemble vocal et instrumental de telle sorte qu’il a donné à la Messe un tour plus dramatique et allant que dans la première partie, instillant une impulsion toujours plus élancée jusqu’à la fin de l’Agnus Dei, qui débouche sur un Dona nobis pacem (Donne-nous la paix) d’une absolue sérénité.

Philippe Herrewghe, Collegium Vocale Gent. Photo : (c) Bruno Serrou

Dans une salle archi-comble et un silence quasi monastique d’un public venu en nombre se plonger dans ce moment d’une intense spiritualité, le Collegium Vocale de Gand a confirmé ses qualités intrinsèque de précision, de clarté sonore et d’extrême musicalité. L’ensemble vocal de treize choristes auxquels se sont associés les cinq solistes rayonnant dans la perfection de son homogénéité, d’où ont émergé la voix tendre de la soprano germano-ukrainienne Dorothee Mields et l’excellent alto britannique Alex Potter, voix puissante et somptueusement pigmentée. L’effectif instrumental de vingt-quatre musiciens a séduit par ses couleurs contrastées et vives, surtout les bois, les onze instruments à cordes (trois premiers et seconds violons, deux altos et deux violoncelles, une basse de viole) un rien acides, manquant légèrement de liant et de moelleux sans doute en raison de leur nombre réduit, un super premier traverso tenu par Patrick Beukels et un impressionnant trio de trompettes, mais un solo de corno da caccia dans le Gloria aux attaques pas toujours sûres, et un orgue positif remarquablement tenu par Maude Gratton. 

Bruno Serriy

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