vendredi 12 avril 2013

Stéphanie-Marie Degand et Michael Levinas ont offert Salle Gaveau de haletantes sonates pour violon et piano de Beethoven

Paris, Salle Gaveau, mardi 9 avril 2013

Stéphanie-Marie Degand (violon) et Michael Levinas (piano. Photo : (c) BS

La Salle Gaveau est réputée difficile. Public exigeant, jauge rarement pleine… Pourtant, il a suffi d’une violoniste réputée baroque, Stéphanie-Marie Degand, et d’un pianiste-compositeur parmi les plus inventifs, Michael Levinas, pour la remplir. Ces deux musiciens se sont rencontrés mardi dans un répertoire qui leur est commun, le classicisme viennois, avec une incursion pour la première sur le baroque saxon, avec Jean-Sébastien Bach, dont le second est également un champion, comme l’atteste notamment son excellente intégrale au disque du Clavier bien tempéré réalisée sur un Steinway de concert moderne (1). Il faut dire que Stéphanie-Marie Degand et Michaël Levinas se connaissent bien, la violoniste fréquentant pour sa part assidûment la création musicale, qu’elle se plaît à jouer dès qu’on le lui propose. Toutefois, les deux artistes, professeurs au Conservatoire de Paris, ne s’étaient jusqu’à présent produits ensemble qu’une seule fois… Leur second concert donne à espérer qu’ils n’entendront pas en rester là, tant leur prestation commune a conquis. 

Ludwig van Beethoven (1770-1827)

Leur Sonate n° 5 en fa majeur op. 24 « Printemps » de Beethoven est guillerette, emplie d’humour, l’entente est indubitablement parfaite, la violoniste réfrénant avec un naturel confondant un sourire espiègle, échangeant des regards complices autant à l’adresse du public qu’avec le pianiste, tandis que ce dernier essaie de garder son sérieux et semble lui signaler qu’il est temps de se concentrer pour retrouver ses fondamentaux. En fait, Michael Levinas est là non seulement pour être un véritable partenaire, assurer l’assise harmonique mais aussi pour rassurer Stéphanie-Marie Degand ; une association de talents dont il émane une réelle connivence. 

Johann-Sebastian Bach (1685-1750) en 1715

Stéphanie-Marie Degand a donné en première partie de soirée, sur un violon équipé de cordes en boyau et joué avec un archet baroque, une deuxième Partita pour violon en ré mineur BWV 1004 d’une captivante musicalité, sans virtuosité superflue, d’un archet sûr, ce qui lui a permis d’exalter les chaudes sonorités des cordes en boyau, qui sonnent à Gaveau et sous les doigts de la violonistes avec une puissance surprenante. Ce qui n’a pas empêché Stéphanie-Marie Degand de prendre des risques, comme l’a attesté de petits accrocs de doigté dans la Gigue, mais sans conséquence dommageable. Il convient il est vrai de constater combien il est hardi de commencer sur de telles pages un concert à froid. 

C’était au tour de Michael Levinas d’ouvrir la seconde partie du concert dans une œuvre soliste, avec une autre sonate à titre de Beethoven, la célébrissime mais toujours surprenante Sonate n° 17 en ré mineur op. 31/2 « Tempête ». Cette œuvre dans laquelle Beethoven s’affranchit de la forme pour mieux se laisser porter à l’expression de sa pensée et de ses sentiments, comme le démontrent les audaces de l’Allegro initial, sied particulièrement bien à Michael Levinas, qui en exalte toutes les facettes, y compris les plus intensément expressives et intimes, tout en restant constamment objectif et en prenant de la hauteur sans montrer la moindre froideur ni distance. Doué de doigts d’airains, Levinas est doté d’un nuancier qui semble illimité, capable des pianissimi les plus imperceptibles et des fortissimi les plus vigoureux, en passant par une palette de couleurs d’une sensualité et d’une variété inouïe. 

 Michael Levinas et Stéphanie-Marie Degand. Photo (c) BS

Comme dans la Sonate « Printemps », Stéphanie-Marie Degand, pour son dialogue avec le Steinway de Michael Levinas, a opté pour les cordes métalliques jouées avec un archet moderne pour la Sonate pour piano et violon n° 9 en la majeur op. 47 « A Kreutzer » de Beethoven. Dans cette grande partition, sans doute l’une des pages les plus remarquables de l’histoire du genre, au point d’avoir inspiré Léon Tolstoï, dont le roman a à son tour inspiré Leoš Janáček et son premier quatuor à cordes, les deux artistes ont magnifié la brillance et le côté « passion fatale et dévastatrice » qui, comme l’écrivait le critique musical et musicologue Jean Chantavoine (1877-1952), aura captivé l’écrivain russe. Degand et Levinas ont donné dans leur interprétation l’élan, la fougue, restituant avec maestria le côté tornade qui gouverne la partition, sans flancher et sans épanchement outrancier, mais au contraire dans une vision toute en intériorité pudique et en luminosité, chacun donnant l’impulsion tour à tour ou simultanément, l’un à l’écoute de l’autre, veillant à ne jamais dominer l’instrument partenaire. Néanmoins, le long duel du Presto final a acquis une densité héroïque.

Dommage que ces deux artistes au goût très sûr aient choisi de conclure leur concert sur un bis, la Méditation de Thaïs de Jules Massenet, qui a brisé la magie de la soirée.

Bruno Serrou

1) 5 CD Accord/Universal 476 1054

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