vendredi 12 avril 2013

L’Orchestre de Paris a offert à Radu Lupu et Thomas Hengelbrock une éclatante polychromie sonore

Paris, Salle Pleyel, jeudi 12 avril 2013

Thomas Hengelbrock. Photo : (c) Andrea Kremper, DR

L’Orchestre de Paris retrouvait cette semaine Radu Lupu, qui lui est fidèle depuis de longues années, puisque le pianiste roumain se produit régulièrement avec lui depuis trente-six ans, et un chef qui s’était imposé à lui avec succès en 2011, Thomas Hengelbrock, grand connaisseur de la musique baroque - ce pourquoi, outre son grand gabarit, il dirige à même le plateau, sans podium -, formé auprès de Nikolaus Harnoncourt, et à la création contemporaine, en étant l’assistant de Mauricio Kagel…

Le programme s’est ouvert sur une assourdissante Ouverture de concert op. 12 de Karol Szymanowski. Le compositeur polonais que la Salle Pleyel a célébré tout au long de l’année 2012, use dans ces pages de jeunesse écrites en 1903-1905 pour un orchestre gigantesque (bois par trois, six cors, trois trompettes et trombones, tuba, harpe, deux percussionnistes, timbales, seize premiers et quatorze seconds violons, douze altos, dix violoncelles et huit contrebasses) qui ne craignent pas de prendre un tour tonitruant, débutant à la façon de Don Juan de Richard Strauss, dont elles reprennent par la suite plus ou moins nettement Ainsi parlait Zarathoustra. L’écriture foisonnante est si assourdissante, que l’ouïe sature et que les musiciens eux-mêmes se bouchent parfois les oreilles...

Radu Lupu. Photo : DR

Effectifs et forme évidemment plus classiques dans le Concerto n° 3 pour piano et orchestre BB 127 de Béla Bartók, avec Radu Lupu en soliste. Le pianiste roumain éblouit par son jeu aérien, ses doigts courant sur le clavier sans le toucher, comme en apesanteur. Lupu est rare dans Bartók - il s’est agi hier de sa première prestation bartokienne avec l’Orchestre de Paris -, mais l’envergure de ses mains ne doit pas lui permettre de jouer aisément davantage que ce troisième concerto et, côté pièces solistes, En plein air. Pourtant, profondément installé sur sa chaise, le dos largement appuyé contre le dossier, regardant souvent le chef et l’orchestre comme s’il s’était instauré un dialogue chambriste, qui sied fort bien à cette œuvre, les deux entités, soliste et orchestre, ont magnifié l’expressivité et l’ardent lyrisme. Les musiciens de l'Orchestre de Paris ont paru se délecter à communier avec Lupu au point de faire sourdre de leurs instruments des sonorités moelleuses, ductiles et aériennes. L’œuvre a sonné clair et énergique, tout en chantant délicieusement, sans nostalgie mais avec tendresse et libéralité. Nous sommes loin des lourdeurs et du vide intellectuel d’Elena Bashkirova entendue dans ce même concerto à Monaco (http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/03/concert-bartok-frustrant-mais-riche-de.html), ce qui confirme combien il est préférable d'avoir la partition dans la tête que la tête dans la partition.

En bis, Radu Lupu a offert un délicat Intermezzo de Johannes Brahms qui, extraordinairement intériorisé et dans un tempo incroyablement étiré, a chanté avec une sensualité et une tendresse ineffable, hypnotisant l'auditoire pour l’emporter dans un rêve collectif. Le temps et la pesanteur n’ont plus existé, ce qui a suscité une écoute comme il en est peu, pas un bruit, pas un souffle n’a émané de la salle, qui est apparue comme stratifiée, huit minutes durant. Lupu est un véritable magicien…

Six semaines après l’avoir entendue dans cette même Salle Pleyel par l’Orchestre Philharmonique de Berlin dirigé par Sir Simon Rattle (http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/02/simon-rattle-et-le-berliner.html), il était instructif de retrouver en seconde partie du concert qu’elle occupait entièrement la Symphonie n° 2 en ut majeur op. 61 de Robert Schumann. Faisant à peu près appel aux mêmes effectifs (six contrebasses au lieu de cinq, huit violoncelles au lieu de sept), Thomas Hengelbrock brosse une symphonie pleine d'allant et de contrastes, faisant rutiler l’Orchestre de Paris, qui s’emporte volontiers, chante, s’extasie, sonne souplement, sollicitant des timbres délectables, en tutti ou en soli (remarquable mouvement lent), la phalange parisienne répond au cordeau à la direction élancée du chef allemand, qui, dirigeant par cœur et les pieds à même le sol, communie avec une formation qu’il domine néanmoins de sa seule corpulence, déployant ses grands bras comme pour embrasser les musiciens et pétrifier la pâte sonore de sa main gauche, tandis que la baguette dans la main droite est mue par une battue précise et claire. 

Bruno Serrou

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