lundi 29 avril 2013

Mort d’un géant, le violoncelliste János Starker


Janos Starker (1924-2013). Photo : DR

Le violoncelle est en deuil : János Starker, l’un de ses magiciens les plus accomplis de tous les temps, est mort à l’âge 88 ans. Immense interprète, que les Américains considèrent comme l’héritier de Pablo Casals et d’Emmanuel Feuermann, à la tête d’une impressionnante discographie, il est surtout un maître adulé par ses très nombreux élèves qui venaient du monde entier pour recueillir son enseignement qu’il dispensait depuis plus d’un demi-siècle au sein de l’Université de Bloomington, Jacobs School of Music, dans l’Indiana, où il est décédé dimanche 28 avril 2013, à l’aube.

« "Le monde est plus pauvre maintenant qu'il nous a quittés" étaient les mots de János Starker lorsqu'il rendait hommage à ceux qu'ils révéraient. C'est ce que nous ressentons aujourd'hui, alors qu'il n'est plus. », écrit son élève Marc Coppey. Musicien généreux pour qui enseigner représentait une vitale obligation, Starker aimait partager son incomparable expérience qu’il se plaisait à dispenser aux jeunes générations. En effet, enfant prodige à Budapest, il avait dû lui-même surmonter des problèmes physiques et psychologiques qui l'ont conduit à s’interroger sur le geste instrumental. Parmi ses élèves, les Français Henri Demarquette et Roland Pidoux pour les Français. « Depuis 48 ans que je suis ici, à Bloomington, et tandis que durant 37 de ces années je donnais plus de cent concerts par an, disait-il, le plus important à mes yeux est l’enseignement. Je suis fondamentalement né pour cela. C’est mon tempérament. Peu importe les ovations de fin de concert, les gens finissent toujours par se rasseoir et arrêter d’applaudir. Mais si vous enseignez, vous pouvez simuler des générations entières. J’ai le sens de l’histoire… Je suis beaucoup plus préoccupé par l'avenir que de tous les éloges que j'ai reçus grâce à la scène. Je suis resté en vie quand beaucoup d’autres, y compris mes frères, ont été tués pendant la guerre. Le fait que je sois resté en vie, constitue pour moi le devoir de faire le plus de bien possible. »

Né le 5 juillet 1924 à Budapest de parents juifs d'origine polono-ukrainienne, János Starker a commencé l’étude de la musique à l’âge de 6 ans. Ses deux frères aînés ayant choisi le violon, il opte pour le violoncelle. Deux ans plus tard, il commence à enseigner et donne son premier concert. Elève de l’Académie Franz Liszt, il fait ses débuts professionnels à 14 ans. A quinze ans, il joue en public la Sonate pour violoncelle seul de Zoltán Kodály jugée d’exécution impossible à l’époque. Violoncelle solo de l’Opéra de Budapest puis de l’Orchestre Philharmonique de la capitale hongroise, il est raflé par la gestapo et réchappe miraculeusement aux camps de la mort nazis, contrairement à ses frères, tous deux gazés à Auschwitz. Il quitte la Hongrie en 1946. Il s’installe tout d’abord à Paris, où il réalise le premier enregistrement mondial de la Sonate de Kodály qui impose son nom. Après de nombreux concerts et récitals à travers l’Europe, il se rend aux Etats-Unis en 1948, à l’instigation de l’Université d’Indiana. Il collabore alors comme violoncelle solo avec l’Orchestre Symphonique de Dallas, le Metropolitan Opera de New York et l’Orchestre Symphonique de Chicago, où l’appelle son compatriote Fritz Reiner sitôt sa nomination en 1953. Parallèlement, il est membre du Quatuor Roth. A partir de 1958, il mène simultanément une carrière de soliste et de professeur à l’Université de l’Indiana, tout en assurant les fonctions de conseiller artistique de plusieurs orchestres américains. Outre Bloomington, il enseigne aussi au Festival de Lucerne, jusqu’en 1973. Jouant tous les répertoires, de Bach et Vivaldi à Kodaly et Bartók, et jusqu’aux contemporains, il excellait en tout. Il a notamment créé le Concerto pour violoncelle et orchestre de Miklós Rósza en 1969, ainsi que des œuvres de David Baker, Antal Dorati, David Diamond, Jean Martinon et Robert Starer.

Il aimait à se produire avec des pianistes tels que György Sebök, son partenaire en musique de chambre privilégié, et Julius Katchen, avec qui il enregistra une version des Sonates pour violoncelle et piano de Johannes Brahms restés inégalés.

Il jouait un Matteo Goffriller et un le Nova de Guarnerius, deux instruments du début de la première décennie du XVIIIe siècle pour lesquels il avait inventé un chevalet percé de trous coniques reconnaissable au « s » qui remplace la fleur de lis traditionnelle qui améliorait la qualité du son et des harmoniques. Le son pur, concentré, infiniment ombré de Starker, sa maîtrise technique hors du commun, son éloquente musicalité restent à jamais accessible à travers les quelques cent soixante enregistrements qu’il laisse au disque. La sobriété de son attitude sur scène était celle d’un musicien sérieux qui laissait seule la musique susciter l’émotion. Il se plaisait d’ailleurs à citer son ami et partenaire György Sebök, recommandant à ses élèves : « Ne vous excitez pas. Créez de l’excitation. » Parmi eux, outre Marc Coppey, Henri Demarquette et Roland Pidoux, Gary Hoffman, Maria Kliegel, Paul Katz, Jules Eskin (solo du Boston Symphony Orchestra), Nella Hunkins (solo de l’Orchestre Symphonique de Singapour), Dennis Parker, Rafael Figueroa (solo du Metropolitan Opera Orchestra), Hamilton Cheifetz (membre fondateur du Trio Florestan), Marc Johnson (violoncelliste du Quatuor Vermeer)...

Celui qui disait « Nous ne pouvons pas nous réveiller le matin et traverser la vie sans musique, parce qu’elle nous est aussi essentielle que manger, boire, respirer », était la musique incarnée…

Bruno Serrou

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