mardi 19 novembre 2024

Le groove festif du sensationnel trio Bertrand Chamayou, Chamber Orchestra of Europe, Antonio Pappano

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 18 novembre 2024 

Bertrand Chamayou, Sir Antonio Pappano, Chamber Orchestra of Europe
Photo : (c) Bruno Serrou

Concert « total groove » symphonique lundi soir à la Philharmonie de Paris avec un programme sortant de l’ordinaire en résonnance avec le Concerto en sol de Maurice Ravel avec un Chamber Orchestra of Europe (COE) magnétique dirigé avec un plaisir gourmand par Sir Antonio Pappano avec en soliste un magicien du rythme, du son et de la vélocité, Bertrand Chamayou, qui était de la partie tout le concert durant : depuis La Création du Monde de Darius Milhaud jusqu’à Fancy Free de Leonard Bernstein, en passant par eux œuvres concertantes, le Concerto pour piano et orchestre en sol majeur de Ravel et I Got Rhythm de George Gershwin. Il est évident qu’à l’issue d’un tel programme qui l’a conduit à jouer avec un engagement de chaque instant pendant quatre-vingt minutes, le pianiste n’a pas donné de bis, jouant de concert avec les brillants pupitres de cuivres et de bois et les cordes malléables et chatoyantes de la formation basée à Berlin 

Bertrand Chamayou, Chamber Orchestra of Europe
Capture d'écran vidéo COE (BS)

C’est donc un concert où le rythme et la musique des années 1920-1945 étaient roi et reine confrontant la France et son influence la plus prégnante durant ces deux décennies et demi du XXe siècle, les Etats-Unis et son jazz, qui a été proposé par le Chamber Orchestra of Europe constituée de quelques-uns des meilleurs instrumentistes du « vieux continent », enrichi du pianiste français le plus polymorphe, Bertrand Chamayou, directeur du Festival Ravel de Saint-Jean-de-Luz, et du plus britannique des chefs italiens, Sir Antonio Pappano. L’œuvre référence de la soirée était le Concerto pour piano et orchestre en sol majeur que Maurice Ravel (1875-1937) composa pour lui-même en 1923, mais qu’il renonça à jouer en public jugeant que ce qu’il avait écrit lui était techniquement inaccessible. Commençant dans le flamboiement d’un concerto alliant en plus enjoué Saint-Saëns et Rachmaninov, se poursuivant tel un mouvement lent de Mozart et se concluant en un feu d’artifice de virtuosité rythmique et technique proche du jazz, ce premier concerto de Ravel est un monument de la musique concertante du siècle dernier. Aussi, penser, moi qui l’ai connue enfant comme une femme sèche et plutôt conservatrice, que c’est à Marguerite Long que le compositeur confia la création de l’œuvre, se contentant lui-même de diriger l’Orchestre Lamoureux - en témoigne l’enregistrement studio réalisé en 1932 par le label VSM, aujourd’hui Warner Classics - me laisse toujours pantois. En revanche, sous les doigts de Bertrand Chamayou, l’œuvre s’épand avec une facilité impressionnante, les mains de l’interprète volant littéralement sur le clavier, le son de chaque note sonnant alors que le doigt enfonce déjà la touche suivante, le tout avec une aisance, une souplesse hallucinantes, le piano entier semblant faire partie intégrante de la personne-même de celui qui le joue tant le chant coule avec un naturel infini. Dirigés avec ductilité par Antonio Pappano, les musiciens virtuoses de l’Orchestre de Chambre d’Europe rivalisent en panache avec l’instrument soliste dès l’exposition du premier thème confié au piccolo (Paco Varach), les pizzicati et tremoli chaleureux des cordes, le brillant de la trompette (Neil Brough) auxquels répondent les vigoureux glissandi du piano réalisés avec une agilité déconcertante par Chamayou. Ne précipitant jamais le mouvement, toujours serein, continuellement clair, précis, rigoureux dans le geste, le jeu et l’expression, le pianiste excelle dans cette musique vive, rutilante, suprêmement chantante, rivalisant en volubilité avec ses compagnons de plateau, à commencer par le chef italien qui semble savourer le moment, comme il le fera tout au long du concert. L’Adagio assai atteint une beauté hallucinante, le chant s’épanouissant à satiété, soliste et orchestre exaltant de concert le classicisme souverain de ce moment de grâce pure, Chamayou amalgamant de façon exceptionnelle sobriété et émotion au sein d’une rythmique proprement hypnotique. 

Bertrand Chamayou, Chamber Orchestra of Europe
Capture d'écran vidéo COE (BS)

Le chef-d’œuvre de Ravel était précédé d’une pièce d’esprit chorégraphique et plus jazzistique de forme, La Création du Monde que Darius Milhaud (1892-1974) composa en 1923 sur un argument de Blaise Cendrars (1887-1961) pour les Ballets Suédois qui en ont donné la création le 25 octobre de la même année au Théâtre des Champs-Elysées dans une chorégraphie de Jean Börlin (1893-1930) et des décors du peintre Fernand Léger (1881-1955). Cet archétype du « ballet nègre » comme se plaisait à le définir ses concepteurs (qui seraient aujourd’hui de ce fait qualifiés de racistes), Milhaud, qui était rentré l’année précédente de New York où il avait pu étudier le jazz auprès des afro-américains de Harlem, choisit de concevoir en ces années folles une partition pour un effectif instrumental évoquant un jazz band, avec bois dont un saxophone alto, cuivres, et une large section rythmique (percussionniste, timbalier, piano, contrebasse) auxquels il associa un violon et un violoncelle. Au piano, à qui est attribué un rôle essentiel, Bertrand Chamayou s’est clairement fait plaisir, jouant avec ses dix-sept compagnons eux-mêmes rayonnants dirigés avec chaleur par Antonio Pappano, qui avait auparavant présenté au public micro en main l’ensemble du concert et les raisons de sa structure.

Bertrand Chamayou
Capture d'écran vidéo COE (BS)

Après la France influencée par les Etats-Unis, la seconde partie du concert était vouée à deux des compositeurs états-uniens les plus représentatifs du continent nord-américains et fortement marqués par la blue note, George Gershwin (1898-1937) et Leonard Bernstein (1918-1990), à travers deux œuvres obéissant aux mêmes formes que celles qui avaient précédés avant l’entracte, une page concertante pour piano et orchestre et une pièce d’orchestre intégrant le piano. La première, I Got Rhythm (J’ai le rythme) est une suite de huit variations pour piano et orchestre composée par George Gershwin en 1933 et créée le 14 janvier 1934 à Boston par le compositeur au piano et l’Orchestre Symphonique de Boston dirigé par Charles Previn. Ce standard du jazz est le quinzième numéro du premier acte de la comédie musicale Girl Crazy qui révéla en 1930 l’actrice danseuse chanteuse Ginger Rodgers. Connue sous le nom de Rhythm changes (Changements de rythmes), la progression harmonique est à la base de nombreux autres standards du genre comme le bebop de Charlie Parker et Dizzy Gillespie « Anthropology (Thrivin’ on a Riff) ». Ce morceau de moins de dix minutes s’ouvre sur un appel de la clarinette solo évoquant Rhapsody in Blue pour piano et jazz band de 1924 relayée par des arpèges du piano qui dessine les contours du thème d’I Got Rhythm qui donne lieu à cinq variations mettant tour à tour en relief le saxophone délicieusement nostalgique de Simon Haram, le piano de Bertrand Chamayou, le xylophone enfin les cuivres, le tout idéalement enluminé par les pupitres virtuoses du COE galvanisés par Antonio Pappano. 

Sir Antonio Pappano, Bertrand Chamayou, Chamber Orchestra of Europe
Photo : (c) Bruno Serrou

C’est une œuvre de Leonard Bernstein infiniment moins courue que les suites West Side Story, Fancy Free, qu’Antonio Pappano a choisi pour conclure la soirée. Agé de vingt-six ans, à l’entame de sa brillante carrière de chef d’orchestre, « Lenny » signe la même année 1944 ses premières grandes partitions, la comédie musicale On the Town et le ballet Fancy Free, deux œuvres scéniques ayant des liens étroits chorégraphiées par Jerome Robbins (1918-1998), disciple de George Balanchine (1904-1983) avec qui le compositeur chef d’orchestre concevra plus tard la comédie musicale et le film dix fois oscarisé en 1962 West Side Story. C’est l’intégralité de la musique du ballet en sept numéros créé au Metropolitan Opera de  New York le 18 avril 1944 qu’ont donné à entendre Antonio Pappano, Bertrand Chamayou et les cinquante-cinq musiciens (deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons, quatre cors, trois trompettes, trois trombones, tuba, timbales, trois percussionnistes, cordes [10, 8, 6, 4, 4]) du COE, tous se régalant jusqu’à l’ivresse des rythmes et des couleurs chamarrées du jazz symphonique pour s’épanouir sans restriction jusqu’au trépidant finale où s’entrecroisent les divers éléments thématiques du ballet. Bref, un programme digne d’un concert d’une nuit de Saint-Sylvestre…

Bruno Serrou

lundi 18 novembre 2024

Vivifiante «Ariadne auf Naxos» de Richard Strauss brillamment dirigée par Ben Glassberg et mise en scène par le collectif > Le Lab à l’Opéra de Rouen

Rouen. Opéra de Rouen Normandie. Théâtre des Arts. Vendredi 15 novembre 2024 

Richard Strauss (1864-1949) Ariadne auf Naxos. Photo : (c) Julien Benhamou

Production très fine et judicieuse née à l’Opéra de Limoges en mai 2022 du chef-d’œuvre de Strauss/Hofmannsthal Ariadne auf Naxos reprise ce mois-ci par l’Opéra de Rouen Normandie mis en scène inventive de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil > Le Lab et dirigée au cordeau par Ben Glassberg à la tête d’un orchestre de l’Opéra normand remarquable, avec une distribution d’une grande homogénéité, dont l’Ariane toute en séduction de Sally Matthews et le Bacchus triomphant de John Findon, la brillante Zerbinette de Caroline Wettergreen, et un Compositeur à la voix flottante de Paula Murriby

Richard Strauss (1864-1949) Ariadne auf Naxos. Photo : (c) Julien Benhamou

Tribut au XVIIe siècle français à travers Molière et à Lully - il est à noter que Richard Strauss, en temps de guerre mondiale s'attachait dans ses opéras à des sujets d'inspiration française des XVIIe et XVIIIe siècles, puisque Capriccio a pour cadre le temps de Louis XV -, Ariadne auf Naxos de Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal est idéalement ajusté à l’acoustique peu réverbérante du Théâtre des Arts dont la fosse est à la mesure de cet ouvrage mi buffa mi seria, et son directeur musical, Ben Glassberg, en a pris l’exacte mesure, autant dans le prologue conçu durant la révision de 1916 en lieu et place de la pièce Le Bourgeois Gentilhomme de Molière dans une adaptation en allemand qui présente la genèse du spectacle qui va suivre, que dans l’acte d’Ariane, qui conte la relative solitude d’Ariane, fille de Minos et de Pasiphaé, abandonnée par Thésée sur l’île de Naxos d’où elle sera finalement libérée par Bacchus, dirigeant les deux versants de la partition avec l’allant et dans les justes tempi, avec un sens de la narration et des équilibres patent. Ecouter cet ouvrage-là dans ces conditions est un plaisir sans partage, les infinis détails infimes de la partition et la jouissance sonore qu’exalte Richard Strauss se font suprêmement audibles. Le plaisir est d’autant plus grand que l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie fait un sans-faute, exaltant des sonorités de braise dans cette partition d’une transparence et d’une fulgurance inouïe, sonnant fier, avec des timbres moelleux, charnels et chatoyants.

Richard Strauss (1864-1949) Ariadne auf Naxos. Photo : (c) Julien Benhamou

Cette nouvelle production de l’opéra hybride, théâtre sur le théâtre mêlant intimement comique et tragique, opera buffa et opera seria, a été judicieusement confiée pour la mise en scène, la scénographie et les costumes bariolés à deux membres du collectif Le Lab, Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil, qui, après un diptyque Debussy réunissant deux opéras inachevés d’après Edgar Alan Poe La chute de la maison Usher, Le diable dans le beffroi) Amphithéâtre de l’Opéra-Bastille en février 2012, ont proposé dans un décor unique en constante évolution une subtile et jubilatoire trilogie Mozart/Da Ponte (Les Noces de Figaro, Don Giovanni, Cosi fan tutte) Théâtre de La Monnaie de Bruxelles en février 2020 (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2020/02/a-bruxelles-le-theatre-de-la-monnaie.html). Cette fois encore, > Le Lab situe l’action dans un décor unique dont l’élément central est une longue table sur tréteaux qui occupe la quasi-totalité du plateau dans sa largeur autour et sur laquelle se déploient les protagonistes dans le prologue et l’acte d’Ariane. Après un premier prologue qui donne à voir et à entendre le premier dialogue du Bourgeois gentilhomme entre les maîtres de musique et à danser, le prologue en tant que tel fait dialoguer deux groupes attablés, l’un sur le plateau constitué d’artistes en plein travail découvrant l’opéra en création qu’ils s’apprêtent à jouer, l’autre sur une vidéo présentant des convives huppés hôtes du riche mécène commanditaire du spectacle sont assis autour d’un fastueux repas qui précède la représentation. Monsieur Jourdain, campé par le comédien Fabien Leriche qui se fait entendre uniquement par téléphone et par le biais de haut-parleurs, semble prendre plaisir à se faire passer pour son propre majordome tout en président le banquet qu’il offre à ses invités, avant de finir ligoté et bâillonné par les artistes lassés de sa morgue et de son indifférence à leur égard, tandis que le compositeur ne quittera pas le plateau jusqu’à la fin du spectacle, sur lequel il veillera avec la plus vigilante attention.

Richard Strauss (1864-1949) Ariadne auf Naxos. Photo : (c) Julien Benhamou

Selon le principe de l’anamorphose, l’opéra qui suit l’entracte transporte l’action sur l’île de Naxos que le décor déconstruit puis reconstruit évoque sans pour autant annihiler l’impression de fiction, la scénographie évoluant à l’instar des protagonistes qui associent personnages mythologiques et baladins de la commedia dell’arte, pour répondre aux impératifs fixés par le mécène. Ce mouvement constant va jusque dans la fosse, où les musiciens sont en vêtements civils durant le prologue, soulignant ainsi qu’il s’agit bel et bien d’une répétition, puis en habits et robes noirs durant l’opéra.

Richard Strauss (1864-1949) Ariadne auf Naxos. Photo : (c) Julien Benhamou

Ainsi, l’équipe du collectif Le Lab signe une production alerte et judicieusement inventive du plus raffiné des opéras du compositeur bavarois, qui, à l’instar de son incomparable librettiste Hugo von Hofmannsthal, aura éprouvé tant de difficultés à trouver le juste équilibre de cette œuvre commencée en 1911, l’acte d’Ariane auf Naxos étant alors associé à la pièce de Molière, le Bourgeois gentilhomme adaptée en allemand par Hofmannsthal sous le titre Der Burger als Edelmann, et qui n’atteignit sa forme définitive qu’en 1916, les deux auteurs substituant le prologue à la place de la pièce, après que Strauss sous l’influence d’Hofmannsthal eût donné son autonomie à la comédie de Molière, développant et ajoutant des numéros à sa musique de scène avant d’en tirer une suite de concert... S’égayant sur le plateau avec justesse grâce à une direction d’acteur particulièrement efficiente, la distribution est d’une parfaite cohésion. A sa tête, la soprano britannique Sally Matthews brosse de sa voix charnelle et sûre une subtile Ariane, noble, fragile, déterminée, Prima donna capricieuse. Voix héroïque et constante au timbre radieux, son compatriote John Findon est un impressionnant Bacchus tant il émane de son interprétation un naturel confondant. La soprano colorature norvégienne Caroline Wettergreen est une Zerbinette toute en séduction et en émotion de sa voix au timbre de braise et d’une agilité souveraine, qui joue la comédie avec un naturel confondant. La mezzo-soprano irlandaise Paula Murrihy est un Compositeur à l’ardeur et au timbre chaud qui conviennent parfaitement au rôle mais l’on relève une ligne de chant au vibrato trop large. Les personnages de la commedia dell’arte sont tous parfaitement tenu, avec le Scaramouche/un officier du ténor gallois Robert Lewis, l’Arlequin/un perruquier du baryton croate Leon Košavić, le Truffaldino/un laquais du baryton français François Lis, le maître de musique du baryton britannique William Dazeley. Quant aux indispensables nymphes Naïade, Dryade et Echo, elles sont remarquablement campées par le trio Yerang Park (soprano), Aliénor Feix (mezzo-soprano) et Clara Guillon (soprano).

Bruno Serrou


dimanche 17 novembre 2024

Une fort belle distribution pour la création à l’Opéra de Bordeaux de «Les Sentinelles» de Clara Olivares où le chant est quasi absent

Bordeaux. Opéra national de Bordeaux. Jeudi 14 novembre 2024

Clara Olivares (née en 1993), Les Sentinelles. ¨Photo : (c) Frédéric Desmesure

Assister à une création lyrique est toujours une vraie fête. Hélas, jeudi à l’Opéra national de Bordeaux, soir de la dernière représentation de l’opéra en création Les Sentinelles (1) de Clara Olivares, j’ai très vite déchanté, l’idée-même de chant étant exclue en faveur du seul récitatif, ce qui se faisait d’autant plus remarquer que le texte de Chloé Lechat est sans attrait, dans une production féminine (compositrice, livret, trois chanteuses, une comédienne, cheffe d’orchestre, mise en scène, scénographie, costumes), le tout ouvertement revendiqué « zéro achat »

Clara Olivares (née en 1993), Les Sentinelles. Photo : (c) Frédéric Desmesure

C’est avec plaisir que je retrouvais la superbe bonbonnière aux harmonies raffinées de l’un des plus  avril beaux théâtres d’Opéra du monde, le Grand Théâtre de Bordeaux, conçu par l’architecte Victor Louis (1731-1800), construit entre 1773 et 1780, et financé par les négociants francs-maçons bordelais inauguré le 7 avril 1780 avec une représentation de la tragédie Athalie de Jean Racine, les deux derniers spectacles bordelais auxquels j’avais assistés s’étant déroulés dans le nouvel Auditorium Dutilleux attribué à l’Orchestre National Bordeaux-Aquitaine. Aussi étonnant que cela puisse paraître, après Salomé de Richard Strauss puis Don Carlo de Giuseppe Verdi donnés dans l’auditorium, c’est dans l’enceinte du Grand-Théâtre qu’était donnée en ce mois de novembre une création mondiale d’une œuvre contemporaine. Il faut convenir sans attendre que les proportions modestes de l’ouvrage concordent avec les dimensions de la salle historique. Un ouvrage conçu par des femmes pour des femmes, dont seuls l’orchestre et le public se devaient d’être mixtes, auteurs, chanteurs, staff scénique (à l’exception de l’éclairagiste et du vidéaste) étant exclusivement féminin.

Clara Olvares (née en 1993), Les Sentinelles. Photo : (c) Frédéric Desmesure

Pour son deuxième opéra sept ans après le monodrame Mary pour soprano, marionnette, clarinette, saxophone, violon, violoncelle et dispositif électronique en temps réel, Clara Olivares, compositrice franco-espagnole née à Strasbourg en 1993, formée à l’aune de Mark Andre, Philippe Manoury, Daniel D’Adamo, Thierry Blondeau, Philippe Schoeller et Alberto Posadas, s’est associée pour le livret à la librettiste metteuse en scène franco-suisse disciple de Stéphane Braunschweig au TNS de Strasbourg et vivant désormais à Berlin Chloé Lechat (née en 1984), tandis que dans la fosse officie la cheffe lilloise Lucie Leguay, ex-assistante de Mikko Franck à l’Orchestre Philharmonique de Radio France et de Matthias Pintscher à l’Ensemble Intercontemporain. Cette fois, ces trois femmes sont rassemblées pour un opéra à quatre protagonistes - deux sopranos, une mezzo-soprano et une comédienne -, et un orchestre de trente-deux musiciens (bois et cors par deux, trompette, trombone, harpe, timbales, deux percussionnistes, violons I et II par trois, altos, violoncelles et contrebasses par quatre). A noter que dans l’équipe artistique figure une « coordinatrice d’intimité » (sic). Cet opéra en deux actes de neuf scènes chacun d’une durée totale de quatre vingt dix minutes sans ressort dramatique véritable conte une banale histoire de femmes définies par une lettre de l’alphabet au fond plutôt banal, un couple parental, une mère (A, soprano) et sa fille surdouée (E, comédienne), et un couple d’amoureuses en crise (B, mezzo-soprano, et C, soprano) aux destins tragiques où il est question de rencontres, de relations amoureuses, de disputes, de drogue, avec la mort de l’enfant au bout. « Une histoire d’adultes, qui se mentent sous prétexte de vouloir se protéger ou qui ne se disent pas la vérité de crainte d’être mal compris », précise Chloé Lechat. Le propos trop réaliste s’avère finalement d’une banalité si quotidienne que la musique, après un début prometteur, devient vite sans relief ni dynamique, ni lyrisme véritable, chaque ligne vocale étant doublée à l’orchestre, le chant s’avérant en outre quasi inexistant, les phrases musicales se concluant quasi systématiquement en parler, réduit au recitativo plus ou moins cantando. Dans cette production « zéro achat » (est-ce une mission du spectacle vivant de communiquer sur cette particularité ?), la scénographie de Céleste Langrée est réduite à sa plus simple expression, ainsi que les costumes lambda de Sylvie Brunet-Grupposo, situe l’action entre des murs grisâtres et un mobilier sans âme (lit, commode, table, canapé, chaises) différent dans chaque acte suite à un déménagement, le tout issu de recyclages, tandis qu’une vidéo d’Anatole Levilain-Clément qui accompagne les séances chez le psy symbolise la notion d’enfermement dans lequel se fond peu à peu l’intrigue.

Clara Olivares (née en 1993), Les Sentinelles. Photo : (c) Frédéric Desmesure

Cette carence rédhibitoire lorsqu’il s’agit d’un opéra, est d’autant plus regrettable que la distribution est parfaite pour le beau chant et la performance dramatique. En tête d’affiche, la somptueuse A d’Anne-Catherine Gillet, amoureuse frémissante et mère attentionnée s’égayant avec félicité avec sa fille E, campée avec une spontanéité confondante par la comédienne Noémie Develay-Ressiguier, tandis que la soprano Camille Schnoor est une A valeureuse au chant épanoui formant un couple judicieux avec Sylvie Brunet-Grupposo en B désenchanté. Les musiciens de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine ont remarquablement servi la partition sous la direction nuancée et élancée de Lucie Leguay, attentive à soutenir les cantatrices par de délicates doublures des pupitres solistes.  

Bruno Serrou

1) Cette production de Les Sentinelles est reprise à l’Opéra de Limoges les 22 et 24 janvier 2025, puis à Paris à l’Opéra-Comique du 10 au 13 avril 2025

mercredi 13 novembre 2024

Entre ciel et terre, Ivo Pogorelich a donné un récital de poète pour sa première apparition à la Philharmonie de Paris pour Piano****

Paris. Piano****. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mardi 12 novembre 2024

Ivo Pogorelich. Photo : DR

Récital entre ciel et terre mardi soir d’Ivo Pogorelich pour sa première apparition à la Philharmonie de Paris dans le cadre de Piano****. Une main gauche solide et légère à la fois, marquant à la perfection l’assise rythmique et harmonique, une main droite fruitée et onirique, jouant sur le ton de la confidence, alternant paisible, lyrisme et tragédie avec un fabuleux sens du discours qui a suscité une attention de chaque instant de la part du public. Au programme Mazurkas op. 59 et Sonate n° 2 « Funèbre » de Frédéric Chopin, Valse triste de Jean Sibelius et les Moments musicaux de Franz Schubert

Ivo Pogorelich chauffe son piano d'un soir à la Philharmonie. Photo : (c) Bruno Serrou

Certes, le comportement sur scène d’Ivo Pogorelich peut-il agacer, tenue de SDF portant bonnet et écharpe, jouant doucement non pas pour s’échauffer mais pour « échauffer l’instrument, préparer le clavier, accorder ses oreilles, ses doigts, son corps » sur le plateau tandis que le public commence à s’installer, avant de se rendre dans sa loge pour endosser sa tenue de concert et de retourner sur scène pour le récital vêtu d’une longue queue de pie, démarche hésitante à pas mesurés et dos voûté entre les coulisses et son siège partitions en main, saluts bas en un mouvement lentement déployé, assistance d’une tourneuse de pages… Dès le début de sa carrière, le pianiste croate s’est fait remarquer par l’originalité de sa personne, lorsque, en 1980, son élimination du Concours Chopin de Varsovie avant la finale suscita un véritable séisme, provoquant la démission de Martha Argerich, qui, en claquant la porte du jury qui vient d’éliminer le candidat, s’écria « Ivo Pogorelich est un génie ! »

Ivo Pogorelich (et sa tiourneuse de pages d'un soir). Photo : (c) Bruno Serrou

Mais abstraction faite de ce « cinéma », diront certains, ou de ce « rituel » selon d’autres, ce que donne à entendre Ivo Pogorelich saisit par la poésie qui émane de son jeu qui exige des auditeurs une écoute soutenue qui se fait dans un silence monacal. Il faut dire que son toucher est particulièrement nuancé, capable de pianissimi à la limite de l’audible comme de fortissimi apparaissant telluriques mais jamais saturés tant le jeu demeure constamment délicat, fluide et transparent. Ce qui frappe à son écoute, c’est l’onirisme qui émane de ses interprétations, le ciselé de son jeu, la fermeté de chaque attaque qui se déploie sans artifices.

Photo : (c) Bruno Serrou

C’est avec Chopin que Pogorelich a commencé son récital, tout comme débuta sa carrière voilà quarante-quatre ans avec le scandale du Concours de Varsovie déjà évoqué et son premier disque publié en 1981. Les trois Mazurkas op. 59 composées en 1845 à Nohant dans la propriété de George Sand, qu’Ivo Pogorelich fait pleinement siennes, faisant des pièces d’une grande témérité avec ces harmonies caractéristiques dont le pianiste croate réussit la gageure de mêler intimement noblesse et onirisme tout en gommant l’encrage dans la tradition populaire. Toute intériorisée, la célèbre Sonate n° 2 en si bémol mineur op. 35 que Chopin élabora entièrement autour de la Marche funèbre que précèdent deux mouvements vifs, l’un radieux et passionné l’autre grinçant, et que suit un court final aux pulsions fébriles. De cette œuvre puissamment originale, Pogorelich fait un immense poème pour piano, donnant néanmoins un tour désincarné à ces pages gorgées d’intentions, y compris dans la Marche funèbre dans laquelle Chopin semble avoir voulu commémorer l’insurrection de Varsovie de novembre 1830, où le pianiste a souligné non sans une sereine distanciation, la progression inexorable et le chant bouleversant du magnifique trio central dont il a souligné le charme mélodique au cœur de l’affliction qui émane de l’ensemble du mouvement.

Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie était ouverte sur la véritable « scie » que constitue la Valse triste de Jean Sibelius extraite de Kuolema (la Mort). Moins courue par les pianistes que par les orchestres à qui elle était originellement destinée, elle se fait dans sa version pour clavier plus analytique et moins éplorée et sombre que sous sa forme pour flûte, clarinette, deux cors, timbales et cordes de 1903/1904, tandis que l’évocation de Pogorelich se fait véritable poète tant le chant est sublimé allant au-delà de la simple tristesse, étant davantage dans la nostalgie que dans la douleur, chaque note se détachant emplie de ses propres intentions, Pogorelich réussissant à faire chante son piano comme un orchestre complet tout en mettant chaque touche en relief. Enfin, les six Moments musicaux op. 94 D 780 publiés en 1828 que Franz Schubert conçut entre 1823 et 1827. Poète, Pogorelich l’est plus encore que dans ce qui a précédé. Il en dessine les atmosphères contrastées avec une délicatesse et un raffinement de chaque instant, en faisant ressortir tel un peintre les couleurs et les harmonies souveraines à l’intérieur de chaque mouvement, tout en donnant la tendre mélancolie de certains, particulièrement dans le célèbre Moment en fa mineur, et la gaîté capricieuse d’autres, avant de rendre sur le ton de la confidence le caractère plaintif de la « romance sans paroles » qu’est le Moment Allegretto en la bémol majeur dit « Plainte d’un troubadour » qui clôt l’ensemble.

Photo : (c) Bruno Serrou

Devant l’insistance du public qu’il aura salué longuement, se courbant d’un coup à mi-corps pour se redresser rudement au bout d’un moment, Ivo Pogorelich a donné le deuxième des trois Nocturnes op. 15 de Frédéric Chopin, celui en fa dièse majeur, concluant son récital sur le même ton mélancolique qu’il aura porté tout au long de la soirée…  

Bruno Serrou

samedi 9 novembre 2024

Les magnificences du Mahler Chamber Orchestra et deux brillants solistes, Mao Fujita et Rick Stotijn, dextrement dirigés par Elim Chan

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 8 novembre 2024 

Elim Chan, Mahler Chamber Orchestra
Photo : (c) Bruno Serrou

Magnifique concert que celui offert vendredi 8 novembre à la Philharmonie de Paris par le Mahler Chamber Orchestra dirigé avec énergie, précision et extrême musicalité par la Chinoise Elim Chan, l’une des cheffes les plus impressionnantes d’aujourd’hui, dans une revigorante Ve Symphonie de Beethoven, extraordinaire « accompagnatrice » de concertos, dans le vivifiant et inventif concerto pour contrebasse Aurora de Péter Eötvös avec un soliste impressionnant, le Néerlandais Rick Stotijn, et le magicien japonais Mao Fujita dans un Quatrième Concerto pour piano de Beethoven saisissant de grâce, de lumière rutilante. 

Peter Eötvös (1944-2024) chez lui, dans son bureau à Budapest, en juin 2009
Photo : (c) Bruno Serrou (collection personnelle)

C’est avec une œuvre exceptionnelle de beauté, de force évocatrice, de magie sonore, d’inventivité technique, authentique hymne au soleil et à ses magies nocturnes septentrionales né de l’esprit singulièrement créatif et puissamment original du compositeur hongrois Péter Eötvös (1944-2024), qui a ouvert le concert de l’une des formations les plus virtuoses de la musique de notre temps, le Mahler Chamber Orchestra (MCO) créé en 1997 par Claudio Abbado mû par le concept de « l’art de l’écoute » qui réunit des musiciens pour la plupart pupitres solistes de grands orchestres de vingt-cinq pays répartis à travers le monde et qui se produit régulièrement à la Philharmonie de Paris. Composé en 2019 entre deux opéras (Sanza sangue et Sleepless), Aurora est une œuvre descriptive et théâtrale vouée aux seuls instruments à archet, à l’exception d’un instrument à anches, l’accordéon, placé entre altos et seconds violons, avec en soliste le plus volumineux d’entre eux et fort rarement mis en avant, la contrebasse. Il s’agit d’une contrebasse à quatre cordes jouant comme tout soliste à la gauche du chef, tandis que dans l’orchestre jouent deux autres contrebasses, une quatre cordes à jardin et une cinq cordes à cour, placées de chaque côté de l’orchestre de sorte à former avec la contrebasse solo un triangle au sein de l’espace acoustique, tandis que les six premiers violons font face aux cinq seconds, les deux groupes encadrant quatre altos et trois violoncelles. Il est à noter que la contrebasse centrale est réglée en scordatura (fa dièse - si - mi - la), ainsi que celle à quatre cordes de l’orchestre mais un demi-ton en dessous (fa - si bémol - mi bémol - la bémol) tandis que celle à cinq cordes est normalement réglée (do - mi - la - ré - sol). La première idée d’Aurora est venue à l’esprit de Péter Eötvös en 1971 alors qu’il se trouvait à bord d’un avion de ligne entre Europe et Etats-Unis d’où il aperçut au-dessus d’Anchorage (Alaska) à travers le hublot une aurore boréale. « Je n’avais jamais rien vu d’une telle puissance, ou d’un tel flamboiement de couleurs en mouvement, écrira Eötvös dans sa notice de l’œuvre. Ce n’était pas simplement beau, mais aussi extrêmement fort, presque menaçant, et véritablement monumental. » 

Le Bösendörfer de Péter Eötvös sur leque le compositeur a dessiné sa cosmogonie. Budapest, juin 2009
Photo : (c) Bruno Serrou (collection personnelle)

Pour Péter Eötvös, qui était particulièrement porté par l’Univers en son entier, au point créer sa propre cosmogonie qu'il alla jusqu’à la dessiner pour les besoins du film The Seventh Gate que lui a consacré sa compatriote Judit Kele, sur le flanc du coffre du Bösendorfer qu’il avait acquis à Vienne pour sa deuxième épouse, la pianiste chinoise Chen Pi-hsien. « J’y ai ainsi dessiné ce que l’on entend au fur et à mesure du déroulement de ma pièce pour cymbalum et grand orchestre Psychokosmos de 1993. C’est la continuité de la vibration de l’espace, après ce sont les étoiles, les planètes », me rappelait-il en mai 2009. Composée dix ans après cet entretien, à la suite d’une co-commande de la Karajan-Akademie du Philharmonique de Berlin, du Scottish Chamber Orchestra, de l’Orchestre de Chambre de Lausanne et du Festival international de musique de Tongyeong (Corée du Sud), Aurora a été créée le 8 décembre 2019 Kammermusiksaal de la Philharmonie de Berlin par le contrebassiste Matthew McDonald, contrebasse solo des Berliner Philharmoniker, et les étudiants de la Karajan-Akademie du Philharmonique de Berlin dirigés par le compositeur. 

Elim Chan, Rick Stotijn, Mahler Chamber Orchestra
Photo : (c) MCO

Cette fois, c’est le contrebassiste solo du Mahler Chamber Orchestra, le néerlandais Rick Stotijn, qui s’est illustré dans cette œuvre admirable, authentique chef-d’œuvre concertant tant il s’y trouve de beautés, tout y est étant poésie, autant en musicalité qu’en sonorités, en inventivité, en techniques de jeu, le compositeur exploitant de façon fantastique l’instrument entier, sans que rien n’apparaisse artificiel ou quête d’inédit à tout prix, celui-ci apparaissant de façon si naturelle que l’on se demande rapidement pourquoi nul n’a jusqu’à cette partition songé à écrire de la sorte pour cet instrument fondamental dans le quintette des cordes. Eötvös fait chanter la contrebasse comme un violon, obtenant des aigus inouïs autant naturellement qu'harmoniquement, faisant un usage modéré mais original et toujours a propos du « pizz. Bartók », tandis que l’accordéon instaure une continuité immatérielle qui évoque la liquidité cormique de l’espace et que les deux contrebasses formant le haut du triangle suscitent les couleurs mouvantes des aurores boréales magnifiées par la délicatesse du chant et des étoffes du quatuor des cordes de l’orchestre, tandis que la partie centrale est d’un onirisme ardent. L’écoute et l’accueil de l’œuvre ont fait honneur à cette partition d’une grande intensité, à la fois créative et séduisante tant il s’y trouve d’expressivité et de surprises magistralement amenées, et l’on a été surpris que le soliste n’aie pas jugé opportun de répondre aux rappels du public...

Elim Chan, Mao Fujita, Mahler Chamber Orchestra
Photo : (c) Bruno Serrou

La suite du programme était entièrement consacrée au Beethoven dans la maturité de ses trente-cinq  printemps, avec deux immenses chefs-d’œuvre des années 1805-1808. Tout d’abord, le sublime Concerto n° 4 pour piano et orchestre en sol majeur op. 58, œuvre miraculeuse s’il en est merveilleusement interprétée par le magicien Mao Fujita. Depuis ses débuts, le jeune pianiste japonais de vingt-six ans ne cesse de surprendre tant il a de talent et de rayonnante musicalité. D’une grande humilité dont nombre de ses confrère (et surtout consœurs) feraient bien de s’inspirer, il forme une véritable entité avec le piano sur lequel il joue. Vainqueur du 27e Concours Clara Haskil à Vevey (Suisse) en 2017, il est également lauréat du Concours Tchaïkovski à Moscou en 2019, un grand millésime puisqu’il s’est vu attribué le Deuxième Prix d’une édition remportée par Alexandre Kantorow entendu le 3 novembre (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/11/les-splendeurs-oniriques-russes-des.html). Disciple de Kirill Gerstein à Berlin, Mao Fujita a brillé dès l’introduction du concerto qu’il joue seul et jusqu’aux mesures ultimes du concerto où il se retrouve de nouveau seul, par son toucher limpide et aérien, la fluidité exceptionnelle de son chant, sa musicalité se déployant avec un nuancier infini et un naturel saisissant sous les doigts de félin d’une souplesse extrême qui saisit et transporte l’auditeur du début à la fin de l’œuvre, toujours impressionnant par la qualité de mélodiste, non seulement dans l’Adagio central dont on eût apprécié que Beethoven doubla (au minimum) les soixante-douze mesures qu’il lui attribua, mais aussi dans la cadence de l’Allegro moderato initial et dans le Rondo vivace final, dont Fujita transcende le rythme incandescent, tandis que le Mahler Chamber Orchestra dialoguait avec allant donnant à l’œuvre judicieusement un tour de symphonie concertante grâce à de fabuleux solos des tous les pupitres qui mêlait instruments anciens (trompettes naturelles, flûte en ébène, timbales) et modernes. 

Mao Fujita, Mahler Chamber Orchestra
Photo : (c) Bruno Serrou

En bis, Mao Fujita a donné une brillante et liquide Etude en mi mineur op. 31 n° 1 (1890) d’Alexandre Glazounov (1865-1936).

Elim Chan, Mahler Chamber Orchestra
Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie était entièrement occupée par une interprétation au cordeau, vive, conquérante et tranchée de la Symphonie n° 5 en ut mineur op. 67 que Beethoven composa entre 1805 et 1808, l’une des œuvres emblématique de l’histoire de la musique. La célébrissime partition a été édifiée de façon conquérante, tel un immense crescendo enflant continûment jusqu’à la toute fin de l’œuvre, pour retourner dans les mesures ultimes à l’énergie vertigineuse des quatre coups du destin qui sonnent d’entrée avec une intensité foudroyante pour s’épanouir jusqu’au triomphe dans le Rondo finale. Elim Chan dirige cette œuvre avec vigueur, rigueur et allant, de ses gestes simples et clairs, sans baguette, ses mains pétrissant le son et donnant des indications précises et limpides à chaque entrée des intervenants, mais avec une noblesse toute en vitalité, débarrassée de toute tentation de surexposition de basses grondantes, allégeant au contraire les textures pour les rendre judicieusement transparentes et fluides, toujours gorgée d’énergie vitale, exploitant à satiété l’assurance et l’extraordinaire maîtrise technique et musicale de tous les pupitres d’un orchestre constitués uniquement d’intrépides virtuoses.

Bruno Serrou

vendredi 8 novembre 2024

L’Orchestre de Paris et son Chœur dirigés par Klaus Mäkelä ont célébré avec grandeur le centenaire de la mort de Gabriel Fauré

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 6 novembre 2024

Klaus Mäkelä. Photo : (c) Denis Allard

L’Orchestre de Paris et son directeur musical Klaus Mäkelä ont célébré ce soir le centenaire de la disparition de Gabriel Fauré (1845-1924) dans un programme de saison puisqu’autour de la mort, une mort mue par l’espoir de la transfiguration. Un Requiem op. 48 dans sa version 1900, enchaîné à la création Thierry Escaich « complétant » Fauré, Towards the Light, avec trois percussionnistes avec effets « contemporains » en plus de l’orchestre Fauré, mais d’un esprit loin du Requiem, cela après un puissant Mort et Transfiguration de Richard Strauss et un splendide L’Ascension de Messiaen (donné pour la deuxième fois par l’OP depuis 1992), avec des cuivres éblouissants (Majesté du Christ), des bois et des cordes d’une ardeur saisissante 

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris, Choeur et Choeur de Jeunes de l'Orchestre de Paris, Jean-Sébastien Bou, Sarah Aristidou.
Photo : (c) Danis Allard

Quatre jours après le Jour des Morts, qui est le 2 novembre, et en écho à la plus fameuse des partitions de Gabriel Fauré, mort voilà cent ans, le paisible Requiem op. 48, l’Orchestre de Paris a présenté trois autres partitions inspirées par le but suprême de toute vie terrestre, la mort, et ses espoirs d’éternité de l’âme. Le cœur de la soirée aura bien évidemment été le Requiem op. 48 de Gabriel Fauré. Chef-d’œuvre de la musique française d’essence sacrée, cette partition n’a rien des grandes fresques sonores aux élans tragiques qu’inspire généralement l’office funèbre catholique, le compositeur, qui s’inspire des musiques anciennes enseignées à l’école de Louis Niedermeyer (1802-1861), de Grégoire le Grand à Palestrina, faisant notamment abstraction du Dies Irae remplacé par le motet de l’élévation Pie Jesu à l’instar du rite dit parisien, Tandis que Fauré fusionne la communion Lux aeterna et les deux antiennes des obsèques In Paradisum et Chorus angelorum.  La version originale, achevée en janvier 1888, ne compte que cinq parties avec chœur à six voix et soprano garçon, l’orchestration réunissant harpe, orgue, timbales et excluant les bois, les cuivres et les violons (à l’exception d’un seul), ce qui donne à l’œuvre de sombres couleurs. Cinq ans plus tard, Fauré ajoute l’Offertoire et le Libera me, ajoutant le baryton solo, les cuivres (quatre cors, deux trompettes, trois trombones), deux bassons et les violons, version qui restera inédite du vivant du compositeur. L’Orchestre de Paris a naturellement porté son dévolu sur la version destinée au concert, pour grand orchestre réalisée en 1900 et créée à Lille le 6 avril de la même année. La partie vocale est inchangée, bien que la voix de soprano puisse être indifféremment confiée à une femme ou à un enfant, mais les pupitres de bois (flûtes, clarinettes et bassons par deux), cuivres (quatre cors, deux trompettes, trois trombones) et cordes (quinze violons à partie unique, douze altos, dix violoncelles, huit contrebasses)  sont étoffées. De grande cohésion, le Chœur de l’Orchestre de Paris était un peu trop fourni avec ses quelques cent-cinquante chanteurs, les deux solistes étaient placés entre ciel et terre (superbe Jean-Sébastien Bou, Sarah Aristidou solide à la voix trop incarnée dans le Pie Jesu), tandis que le magnifique Agnus Dei aura constitué le sommet de cette interprétation.

Choeur et Choeur de Jeunes de l'Orchestre de Paris. Photo : (c) Denis Allard

Sans pause, coupant court à toute tentative d’applaudissements, Klaus Mäkelä a enchaîné au Requiem de Fauré une œuvre nouvelle de Thierry Escaich, actuel compositeur en résidence de l’Orchestre de Paris. Un mois après la création de son deuxième concerto pour violon (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/10/impressionnante-premiere-avec.html), le compositeur organiste donnait en première parisienne à l’Orchestre de Paris l’un des trois commanditaires de la partition, Towards the Light (Vers la Lumière), qui complète le rituel des morts en ajoutant ce qui correspond à un Lux aeterna absent dans l’opus 48 de Fauré et qui se présente ainsi comme un complément ou une réponse au Requiem de Fauré. Créé le 9 octobre dernier à Toulouse en la basilique Saint-Sernin par l’un de ses autres commanditaires, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et le Chœur Philharmonique de Tokyo dirigés par Kazuki Yamada, l’œuvre réunit le même effectif que celle de Fauré, substituant néanmoins aux timbales trois percussionnistes à qui revient un large instrumentarium (claviers, crotales, cloches tubes, tams-tams). Le brillant orchestrateur qu’est Escaich élargit ainsi le panel de couleurs de l’orchestre fauréen, tout en amplifiant sa luminosité, notamment par le biais de sa percussion associée à la harpe et à l’orgue, ce qui engendre un climat et une spiritualité plus lumineuse et aérée que l’œuvre à laquelle elle fait écho.

Thierry Escaich, Klaus Mäkelä. Photo : (c) Denis Allard

Ce concert au climat funèbre débutait avec deux œuvres d’orchestre seul obéissant à un programme clairement défini. La première de Richard Strauss, la seconde d’Olivier Messiaen. Le poème symphonique Tod und Verklärung op. 24 (Mort et Transfiguration) du compositeur bavarois, qui, en 1887-1888, travaillait au même moment sur l’actualisation en allemand du Traité d’orchestration d’Hector Berlioz, décrit l’heure de la mort d’un homme, qui cherche à atteindre l’idéal. Aussi est-ce probablement un artiste, avait écrit Strauss à son ami Alexander Ritter de trente ans son aîné qui l’avait converti à la musique « moderne ». Le malade repose en un profond sommeil et respire difficilement. De délicieux rêves illuminent le visage du mourant. Le sommeil se fait plus léger. Il se réveille, torturé par d’atroces douleurs, tremblant de fièvre. Tandis que l’attaque s’estompe, émergent des réminiscences des premières années de sa vie : son enfance, sa jeunesse, ses quêtes et ses passions. Les souffrances reviennent encore. Il revit ses vaines tentatives de parvenir au parfait accomplissement artistique, et réalise que cela reste inaccessible en ce monde. La mort le saisit, l’âme quitte le corps. Il découvre alors que les idéaux qu’il s’est si âprement efforcé d’atteindre sur la terre lui sont dorénavant accessibles l’espace éternel atteint. Cette intuition de l’agonie, surprenante de la part d’un jeune homme de vingt-quatre ans, révèle une fibre dramatique éblouissante, fortement imprégnée de fructueuses lectures. Si les phases successives de l’acte de mort constituent l’essentiel de l’œuvre, la transfiguration, brièvement évoquée, n’en est que l’ultime étape, comme si le compositeur ne cherchait qu’une porte de sortie. Sans doute n’y a-t-il en effet rien de vraiment métaphysique ici. Le poème de Richard Strauss Tod und Verklärung a permis à l’Orchestre de Paris de briller de tous ses feux, surtout dans les tutti et les soli les plus hallucinés, la formation restant continuellement limpide et fluide, mais les plages « comateuses » et d’introspection n’ont pas suffisamment exposés dans les nuances ppp, s’avérant de  ce fait trop sonores et transfiguration manquant d’un rien de mystère.

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : (c) Denis Allard

Les quatre méditations symphoniques qu’Olivier Messiaen composa en 1932-1933 s’exposent sur la même plage de temps que le poème de Richard Strauss. Messiaen la transcrira pour orgue seul dès 1933, à l’exception d’Alléluia sur la trompette, Alléluia sur la cymbale qu’il remplace par une nouvelle pièce, Transports de joie d’une âme devant la gloire du Christ qui est la sienne. Créée le 9 février 1935 Salle Rameau à Paris, les effectifs instrumentaux de L’Ascension sont conséquents, bois par trois, quatre cors, trois trompettes et trombones, tuba, deux percussionnistes et cordes portées à seize premiers et seize seconds violons, quatorze altos, douze violoncelles et dix contrebasses - mercredi soir, elles étaient à 16-14-12-10-8. Dans le premier mouvement, Majesté du Christ demandant sa gloire à son Père, qui illustre le chapitre XVII verset 1 de l’Evangile selon saint Jean, réunit les seuls instruments à vent dominés par des sonneries de cuivres, magnifiés par le lustre flamboyant et la sereine majesté des « souffleurs » de l’Orchestre de Paris. Les splendides combinaisons instrumentales des Alléluias sereins d’une âme qui désire le ciel (oraison de la messe de l’Ascension) ont été exaltées par les musiciens, à l’instar de ce que ces derniers ont proposé de l’Alléluia sur la trompette, alléluia sur la cymbale (Psaume XLVI) d’une chaleur et d’une luminosité transcendantes, tandis que les cordes s’épanouissaient dans la Prière du Christ montant vers son père (Evangile selon saint Jean, XVII/1, 6, 11). En effet, pour la seconde programmation de l’œuvre de l’histoire de l’Orchestre de Paris, la première ayant été donnée voilà trente-deux ans, en 1992, L’Ascension de Messiaen a été remarquablement servie, l’Orchestre de Paris émoustillé par son directeur musical Klaus Mäkelä suscitant une écoute d’une qualité quasi mystique de la part d’une salle comme tétanisée par la qualité de ce qui leur était offert, autant de la part du compositeur que de ses interprètes. Il convient d’ailleurs de saluer ici la plastique somptueuse des sonorités épanouies de la violon solo invitée, la Suédoise Ava Bahari, disciple de Leonidas Kavakos, Pierre Amoyal, Midori Goto et Boris Kuschnir, entre autres.

Bruno Serrou

 

 

 

 

mardi 5 novembre 2024

Les 30 ans du Concours International de piano d’Orléans aux Bouffes du Nord avec les trois lauréats de l’édition 2024, l’Ensemble Intercontemporain et Léo Margue

Paris. Théâtre des Bouffes du Nord. Lundi 4 novembre 2024

Les mains de Svetlana Andreeva, Imri Talgam et Winston Choi
Photo : (c) Quentin Chevrier & Anne-Elise Grosbois

Passionnant concert des lauréats du XVIe Concours International de Piano d’Orléans pour les trente ans au Théâtre des Bouffes du Nord avec l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Léo Margue qui aura participé à la création du tonique Je suis Orage pour trois pianistes (Svetlana Andreeva, Winston Choi, Imri Talgam) et quatorze instrumentistes de Bastien David. Les trois premiers Prix ont ouvert la soirée en solistes, la vainqueur, l’Ukrainienne Svetlana Andreeva, avec une ardente Shéhérazade de Karol Szymanowski (Masques) et un brillant Noël d’Olivier Messiaen (Vingt Regards), le Deuxième Prix, Leo Gevisser, D’ombre et de silence d’Henri Dutilleux (Préludes), 90+ d’Elliott Carter et In the Kraton de Leopold Godowsky (Java Suite), et Misora Ozaki (Troisième Prix) dans Une page d’éphéméride de Pierre Boulez et la Toccata des Études pour piano d’Unsuk Chin brillamment interprétées

Svetlana Andreeva, Imri Talgam, Winston Choi (piano), Ensemble Intercontemporain
Photo : (c) Quentin Chevrier & Anne-Elise Grosbois

Fondé en 1994 par la pianiste Françoise Thinat, le Concours International de Piano d’Orléans a pour particularité d’être le seul qui soit consacré au répertoire pianistique courant de la première année du XXe siècle à nos jours, avec à chacune de ses éditions la création d’une œuvre nouvelle à un compositeur de renom d’Eric Tanguy en 2000 à Philippe Manoury en 2022 en passant par Patrick Burgan, Thierry Escaich, Pierre Jodlowski, Edith Canat de Chizy, Philippe Hurel, Jacques Lenot, Jérôme Combier, Philippe Hersant, Hèctor Parra et Pascal Dusapin. Parmi les lauréats, Toros Can (1998), Wilhem Latchoumia (2006), Aline Piboule (2014), Mikhaïl Bouzine (2020), Lorenzo Soulès (2022)… Depuis 2006, s’est ajouté un concours junior, Brin d’herbe, qui alterne depuis lors avec le concours pour pianistes virtuoses qui est de ce fait devenu biennal. En 2015, la fondatrice a passé le relais à Isabella Vasilotta qui en devient alors la directrice artistique tandis que le pianiste musicologue Eric Denut est nommé président en 2017. Outre les prix monétisés, le concours offre aux lauréats un accompagnement dans leurs parcours professionnels pendant deux ans avec pour le vainqueur l’enregistrement d’un disque, une tournée en région, concerts, conférences et événements internationaux autour du piano, ainsi que des mises en relation avec des compositeurs et des acteurs de la musique contemporaine.

Bastien David (né en 1990), deux premières pages du conducteur de Je suis Orage (2024)
Photo : (c) Quentin Chevrier & Anne-Elise Grosbois

Unique en son genre, ce concours qui aura attiré en 2024 plus d’une quarantaine de candidats venus du monde entier, est l’un des plus originaux et audacieux qui se puissent trouver aujourd’hui dans le monde. Cette année, le jury présidé par Wilhem Latchoumia a couronné des lauréats originaires de trois continents, l’Afrique, l’Asie et l’Europe. La vainqueur est une ukrainienne de 35 ans, Svetlana Andreeva, qui s’est imposée dans la finale à Orléans dans le redoutable Vortex Temporum I de Gérard Grisey (1946-1998), le mouvement initial de la Sonate de Paul Dukas (1865-1935) et l’œuvre mixte pour piano et bande …sofferte onde serene… de Luigi Nono (1924-1990). Pour le concert des lauréats, elle a donné hier soir Shéhérazade (1916) extraite des Masques op. 34 de Karol Szymanowski (1882-1937) et Noël, treizième des Vingt Regards sur l’Enfant Jésus (1944) d’Olivier Messiaen (1908-1992). Deuxième Prix du Concours, le Sud-Africain Leo Gevisser (né en 2003), également compositeur, a donné le premier des Trois Préludes d’Henri Dutilleux (1916-2013), D’ombre et de silence (1973) et le dixième volet de Java Suite, In the Kraton (1924-1925) de Leopold Godowsky (1870-1938), intercalant entre ces deux pièces le célèbre 90+ qu’Elliott Carter (1908-2012) composa en 1994 pour les 90 ans de son confrère italien Goffredo Petrassi (1904-2003) autour de quatre vingt dix notes courtes et accentuées jouées sur un rythme lent changeant continuellement de caractère. Mais c’est la Troisième Prix, la Japonaise Misora Ozaki (née en 1996), qui a ouvert la soirée avec deux œuvres particulièrement complexes qu’elle a fait sonner dans leur plénitude, Une page d’éphéméride pour piano (2005), ultime page achevée de Pierre Boulez (1925-2016), et la véloce Toccata (2003), cinquième des Etudes pour piano d’Unsuk Chin (née en 1961).

Léo Margue (direction), Svetlana Andreeva, Winston Choi, Imri Talgram (piano), Samuel Favre Gilles Durot (percussion), Ensemble Intercontemporain. Photo : (c) Quentin Chevrier & Anne-Elise Grosbois 

Après un long intervalle dû à la répartition sur le plateau des effectifs instrumentaux et à leur installation, Svetlana Andreeva a été rejointe en seconde partie par deux membres du jury du concours 2024, eux-mêmes anciens lauréats de l’épreuve, le Canadien Winston Choi (lauréat 2002) et l’Israélien Imri Talgam (lauréat 2014) pour une œuvre pour piano à six mains, deux percussionnistes et ensemble de douze instruments, commande du Concours d’Orléans 2024 donnée en création mondiale dans le cadre de ce concert, Je suis Orage de Bastien David (né en 1990), élève de Bernard Cavanna et de José Manuel Lopez Lopez au Conservatoire de Gennevilliers et de Gérard Pesson au Conservatoire de Paris (CNSMDP). 

Svetlana Andreeva (piano) entourée de Samuel Favre et Gilles Durot (percussion)
Photo : (c) Quentin Chevrier & Anne-Elise Grosbois

Une œuvre remarquablement structurée, créative, virevoltante, mue par une pulsion vivifiante, un groove éloquent et des sonorités flatteuses, avec un piano fort fréquenté, puisque outre les six mains de trois pianistes courant sur le clavier, deux percussionnistes jouent dans le coffre du grand Yamaha, faisant résonner les cordes frottées, pincées, frappées par doigts, paumes et maillets mais aussi soufflées par la bouche dans des tuyaux souples, tandis que l’instrumentarium s’avère particulièrement choisi et expressif (flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, trompette, trombone, harpe, quatuor de cordes avec contrebasse par un).

Bruno Serrou