Paris.
Festival d’Automne 2022. Théâtre du Châtelet. Mardi 28 septembre 2022
Le Festival
d’Automne à Paris, créé en 1972 par Michel Guy, rend hommage à l’un de ses plus
fidèles compositeurs, Heiner Goebbels, qui célèbre ses soixante-dix ans et dont
il a présenté quatorze spectacles en trente ans
Heiner Goebbels (né en 1952). Photo : DR
Compositeur, interprète, scénographe, l’Allemand Heiner Goebbels
est à soixante-dix ans une sorte de Kurt Weill contemporain, iconoclaste et
populaire. Il se félicite volontiers du fait que sa musique soit un melting-pot
de la musique de son aîné Hanns Eisler, du free jazz, du hard rock, de la pop’
music, du rap, du bruitage, de l’avant-garde, du classicisme... « Je viens
de l’improvisation, rappelle Goebbels. Etudiant, je dirigeais un groupe rock,
les Cassiber, avant de travailler avec les grands improvisateurs Don Cherry et
Arlo Lindsay. Mes œuvres n’ont cependant rien d’improvisé. Car, au jazz, au
hard rock se mêle à ma culture l’histoire de la musique, de Bach à Schönberg.
Je n’apprécie guère le romantisme, que je trouve trop sombre, mes propres
textures étant liquides, transparentes. »
Heiner Goebbels, Liberté d'action. Photo : (c) Bruno Serrou
Admirateur
de Prince, Helmut Lachenmann, Luigi Nono et Steve Reich, proche de Daniel Cohn-Bendit,
Goebbels se flatte d’écrire non pas pour les spécialistes, mais pour le grand
public. En Allemagne, il s’est forgé une réputation enviable pour son théâtre
musical, ses musiques de scène, film et ballet, et pour ses pièces
radiophoniques, mais son catalogue couvre tous les genres, de la musique de
chambre au grand orchestre en passant par la scène et l’écran.
Heiner Goebbels, Liberté d'action. Photo : (c) Festival d'Automne à Paris
Né le 17
août 1952 à Neustadt an der Weinstraße en
Rhénanie-Palatinat, vivant depuis près de cinquante ans à
Francfort-sur-le-Main, membre de l’Académie des Arts de Berlin depuis 1994,
professeur à l’European Graduate School à Saas-Fee (Suisse) et à l’Institut
d’Etudes Théâtrales Appliquées de Gießen, Goebbels
est depuis les années soixante-dix l’un des compositeurs vivants d’outre-Rhin
les plus joués dans le monde, sans doute parce que son œuvre entier résonne des
sons de la ville, de la vie de la cité, son incontestable univers. « Je ne
veux pas être illustratif, tempère-t-il cependant. Mon propos tient plutôt du
subjectif. Je m’intéresse à l’architecture des villes. Tout comme le tissu
urbain, ma musique est en constante évolution. Qu’on l’aime ou qu’on la
déteste, qu’elle soit menaçante ou protectrice, la cité est plus fascinante que
la campagne. Elle ne peut néanmoins pas tout donner, et elle n’est souvent
qu’un succédané. »
Heiner Gorbbels, Liberté d'action. David Bennent (comédien). Photo : (c) Ferstival d'Automne à Paris
Sa
collaboration avec le dramaturge Heiner Müller a conduit Goebbels à considérer
la musique comme mode d’expression et de communication inextricablement lié à
tous les arts, ce qui l’a conduit à créer un langage qui lui est personnel, en
dépit de son éclectisme, tenant principalement du théâtre d’improvisation.
Parmi ses œuvres les plus significatives, la pièce de théâtre musical Ou
bien le débarquement désastreux créé à Paris en 1993, Surrogate Cities,
sa première partition pour grand orchestre donnée en première mondiale par la
Junge Deutsche Philharmonie, La Reprise (1995) sur des textes de Soren
Kierkegaard, Alain Robbe-Grillet et Prince, ou Industrie & Idleness
créé en 1996 à la Radio Hilversum. En ce début de saison 2000-2001, Heiner
Goebbels a donné simultanément en création mondiale deux grandes partitions,
l’une à Munich le 28 septembre 2018, …Même Soir. - commande des
Percussions de Strasbourg -, l’autre à Lausanne la semaine suivante, Hashirigaki,
pièce de théâtre musical sur des textes de Gertrude Stein dont le compositeur
conçoit également la mise en scène.
Heiner Goebbels, Liberté d'action. A gauche, Heiner Goebbels et David Bennent. Photo : (c) Bruno Serrou
En 2002,
Goebbels signe son premier opéra, Paysage
avec des parents éloignés, en 2004 c’est Théâtre de l’Odéon Eraritjaritjaka sur un texte d’Elias
Canetti, suivi en 2007 par l'installation performative Stifters Dinge qui a été jouée plus de trois cents fois sur les cinq
continents, le concert mis en scène Songs
of Wars I have seen sur un texte de Gertrude Stein, commande du London
Sinfonietta et de l'Orchestre the Age of Enlightenment, en 2008 Je suis allé à la maison mais je n’y suis
pas entré sur des textes de Maurice Blanchot et Samuel Beckett. En 2012, il
crée When the Montain change its
clothings et il met en scène Europeras
1&2 de John Cage, en 2013, Delusion
of the Fury d’Harry Partch et De
Materie de Louis Andriessen. L’essentiel de ces productions a été présenté
au Festival d’Automne à Paris depuis 1992, La
Jalousie / Red Run / Befreiung / Herakles (1992), Surrogate Cities (1994), Schwarz
auf Weiss (1997), Walden (1998), Eislermaterial (1999 et 2004), Les Lieux de là (1999), La Jalousie / Red Run (2002), Eraitjiaritjaka (2004), Paysage avec parents éloignés (2004), Fields of Fire (2005), I went to the House But Did not Enter (2009),
When the Mountain changed its clothing (2012)…
Henri Michaux (1899-1984). Photo : DR
Il aura
fallu attendre dix ans pour que Heiner Goebbles fasse son retour au Festival d’Automne,
cette fois avec une création inspiré du peintre poète belge naturalisé français
en 1955 Henri Michaux (1899-1984), Liberté
d’action. Ce monodrame pour comédien, deux pianistes amplifiés et
électronique live de soixante-quinze
minutes se termine sur le beau texte de Michaux tiré du Plaisir d’être une ligne dédié au peintre suisse Paul Klee
(1879-1940) :
« Une
ligne rencontre une ligne. Une ligne évite une ligne. Aventures de lignes.
Une ligne
pour le plaisir d’être ligne, d’aller, ligne. Points. Poudre de points.
Une ligne rêve.
On n’avait jusque-là jamais laissé rêver une ligne.
Une ligne
attend. Une ligne espère. Une ligne repense un visage. […]
Temps, Temps…
Une ligne de
conscience s’est reformée. »
Donnant l’apparence
de l’improvisation essentiellement tonale conduite par d’amples accords majeurs
émis par deux pianistes, Hermann Kretzschmar et Ueli Wiget, qui usent aussi de
clusters qu’ils propagent avec des barres de bois, cordes grattées dans le
coffre des pianos placés sur des chariots à roulettes afin de faciliter leur
ballet à travers le vaste plateau du Théâtre du Châtelet poussés tour à tour
par l’un des trois protagonistes, Liberté
d’action met principalement en jeu un comédien, le suisse David Bennent,
qui, jouant de la percussion sur une table amplifiée couverte d’accessoires
tout en formulant son texte en allemand et en français, réalise une véritable
performance. Le problème est que l’essentiel du texte est traduit en allemand
sans surtitres, si bien que le spectateur non germanophone ne capte que les
rares passages exposés en français, pourtant la langue dans laquelle s’exprimait
Michaux. Le spectacle souffre aussi de l’immensité de la scène du Châtelet,
seulement investie par trois personnages, deux pianos, une table et quelques
haut-parleurs, dans une scénographie de lumière sombre de Heiner Goebbels et
Marc Thein.
Bruno Serrou
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