Chef d’orchestre et de chœur, contreténor, violoniste, claveciniste, Raphaël Pichon s’est rapidement imposé comme l’un des musiciens les plus ouverts, créatifs et puissamment originaux de sa génération. Particulièrement à la tête de son remarquable ensemble Pygmalion, qui regroupe un chœur et un orchestre d’instruments d’époque de très haut niveau qu’il a fondé en 2006 pour explorer un vaste répertoire, du XVIIe siècle à nos jours, de Claudio Monteverdi à Oscar Strasnoy. Né le 17 octobre 1984 à Savigny-en-Terre-Plaine (département de l’Yonne), Raphaël Pichon, après avoir fondé dès la fin de ses études le chœur de chambre OTrente spécialisé dans le répertoire contemporain, réinterroge avec Pygmalion les œuvres du passé, madrigalistes du Seicento, pièces de Purcell, Passions de Schütz et de Bach, tragédies lyriques de Rameau, œuvres de Gluck et de Mozart, jusqu’aux partitions contemporaines, en passant par les romantiques, Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Berlioz, Schumann, Brahms, Delibes, mais aussi Schönberg, tout en rêvant de Wagner… En résidence à la Philharmonie de Paris et à l’Opéra de Bordeaux, Raphaël Pichon et Pygmalion organisent des saisons de concerts de musique de chambre et d’ateliers pédagogiques gratuits ouverts à tous, et animent le festival-laboratoire Pulsations en région bordelaise qu’ils ont lancé en juillet 2020 au sortir de la crise de la Covid-19. Avec Pygmalion ou à la tête de formations dont il est l’invité, Raphaël Pichon se produit en France (Opéra Royal de Versailles, Opéra-Comique, Opéra de Paris, festivals d’Aix-en-Provence, d’Ambronay, d’Arc-la-Bataille, de Beaune, de La Chaise-Dieu, de Royaumont, de Saint-Denis, de Saintes, à Nancy, Metz, Montpellier, Strasbourg) et à l’étranger (Amsterdam, Barcelone, Brême, Bruxelles, Cologne, Essen, Francfort-sur-le-Main, Hong-Kong, Londres, Madrid, Moscou, Pékin, Salzbourg, Vienne…). Depuis 2014, il enregistre avec son ensemble pour le label Harmonia Mundi avec lequel il reçoit quantité de distinctions internationales comme le Gramophone Award, le Preis der Schallplattenkritik et l’Edison Klassiek Award. Il est également l’hôte d’orchestres comme le Concertgebouw d’Amsterdam, le Deutsches Symphonies-Orchester de Berlin, l’Orchestre de Chambre de Lausanne, le Mozarteum Orchester, les Müncher Philharmoniker, MusicAeterna, le Stavanger Symphony Orchestra, le SWR Symphonieorchester, et il s’apprête à diriger les Berliner Philharmoniker en décembre prochain… Je l’ai rencontré pour le magazine Scherzo à l’occasion de la parution chez Harmonia Mundi de la Messe en si mineur BWV 232 de Johann Sebastian Bach. Je reprends ici le texte paru dans le numéro de mai 2025 de mensuel espagnol Scherzo que je publie en intégralité dans sa version et sa langue originale, le français.
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Bruno Serrou : Comment un jeune musicien de votre
génération a-t-il été attiré par l’interprétation « historiquement
informée » alors qu’à la même époque la majorité des copies d’instruments anciens
sonnaient faux ?
Raphaël Pichon : Il fallait du courage pour jouer faux, parce
que sans nos aînés nous ne jouerions pas juste aujourd’hui. Nous sommes redevables
à ces musiciens qui ont eu la vaillance de se marginaliser, de se mettre sur le
côté de la route, de tout reprendre à zéro, de l’âpreté de l’apprentissage
technique, organologique, et qui ont formé une deuxième génération qui est aujourd’hui
en capacité de former à son tour des musiciens qui appréhendent ce répertoire avec
des appétences techniques de plus en plus élevées et qui font que je suis à mon
tour fasciné par la nouvelle génération qui vient derrière la mienne et qui est
incroyablement douée. Le niveau est en train de monter en flèche. Avec
peut-être quelques dangers sur le chemin, notamment de généralisation, de
standardisation des jeux, du style. En fait, on dit « musique
ancienne » alors que ce sont en réalité « des musiques
anciennes », une infinité de micro mondes, chacun parlant sa propre langue,
portant ses propres couleurs, ses propres défauts, ses propres singularités, ce
qui fait que la musique de Purcell n’a rien à voir avec celle de Haendel
pourtant séparées par seulement quarante années, dans la même ville.
B. S. : Entretenez-vous des relations avec ces premières
générations, celle des Philippe Herreweghe, Sigiswald Kuijken, Ton Koopman,
John Eliott Gardiner par exemple ?
R. P. : La personne avec qui je suis en constante relation et
avec qui je refais le monde jusqu’à des heures indues est John Eliott Gardiner.
J’ai aussi de très belles relations avec beaucoup de chefs aujourd’hui, mais de
cette génération-là j’ai eu la chance de travailler un peu avec Koopman, que je
croise de temps à autres. Je l’ai vu pour ses quatre-vingts ans à Amsterdam.
Mais j’espère… j’aimerais dans les mois ou les années qui viennent frapper à la
porte de ces figures-là pour que naissent des échanges plus précis et précieux,
plus profonds sur la philosophie, l’avenir, leurs sentiments sur le monde musical
d’aujourd’hui, soixante-dix ans après cette révolution, qu’ont-ils à nous dire
sur cet héritage ?... Ce sera intéressant d’avoir cette discussion, qui est
dans mes projets…
B. S. : Comment êtes-vous venu à la musique ancienne?
R. P. : Mon père, militaire de carrière, est un grand
mélomane. Mes parents écoutaient beaucoup de musique à la maison. J’ai donc eu
la chance de grandir au cœur d’un important environnement musical. Je ne viens
pas d’une famille d’artistes, mais mes chacun de mes parents a dans sa famille
de grands amateurs de musique. Mon père m’emmenait de temps en temps au
concert, notamment ceux des Arts Florissants. J’ai vu grâce à lui plusieurs opéras
qui sont des souvenirs très forts. Ma mère jouait beaucoup de piano, mon père
beaucoup de guitare. Nous sommes quatre dans ma fratrie, nous sommes tous
mélomanes, mais je suis le seul musicien professionnel. Ensuite de belles
coïncidences, de belles rencontres ont fait que j’ai eu la chance de chanter.
B. S. : Comment êtes-vous venu au chant ?
R. P. : Non loin de chez nous, en classe de maternelle,
j’avais été repéré et mes parents se sont vu proposer de me faire entrer en
classe à horaires aménagés de musique. Ce que j’ai fait dès la rentrée scolaire
suivante. A cette époque-là, le ministère de l’Education Nationale faisait des
campagnes de dépistage dans les maternelles. Là, j’ai fait du violon. Un jour,
le professeur de chorale est tombé malade, et il a été remplacé par le chef de
la manécanterie des petits chanteurs de la Maîtrise de Versailles. Ce chef de
chœur a dit à mon père que j’avais une jolie voix, et il lui a été proposé de
me suggérer de rejoindre la maîtrise. J’ai d’abord refusé en septembre, mon
père a insisté, me conseillant d’essayer, et j’y suis entré en janvier. Commençaient
alors les répétitions pour la Semaine Sainte avec la Johannes Passion de Bach. J’y ai participé, et le virus m’a attrapé
et aspiré.
B. S. : Etes-vous rapidement devenu soliste ?
R. P. : Au début, je n’alignais pas trois notes. J’avais neuf
ans, et je n’avais jamais chanté de ma vie. Mais mon amour pour la musique n’a
jamais flanché. Pas même pendant l’adolescence. Ma vie en a été bouleversée. J’ai
fait beaucoup de rock, pas mal de musique électronique, j’ai été dj, j’ai été
pris par la house music, mais c’était pour m’amuser. Pour ma vie, il n’en était
pas question. Il était impossible que cette histoire née avec la Maîtrise
s’interrompe. Je continuais aussi le Conservatoire de Versailles, d’abord le
violon, puis je me suis rapidement mis au piano, au clavecin, un peu à l’orgue,
parce que je voulais accompagner les répétitions…
B. S. : Comment êtes-vous venu à la musique
ancienne ?
R. P. : Par le biais de mon chef de chœur. Le répertoire des
maîtrises est surtout axé sur la musique sacrée des XVIIe et XVIIIe
siècles, et elle était toujours accompagnée par des instruments d’époque. Mais
nous faisions aussi beaucoup de musique romantique, Gounod, le Requiem de Fauré bien sûr, Mendelssohn, Brahms...
parallèlement à Praetorius, Schütz, Buxtehude, les chansons de la Renaissance...
B. S. : Y avait-il des classes de musique ancienne
au Conservatoire de Versailles ?
R. P. : Aucune. J’apprenais le violon, le piano, et je
chantais dans cette maîtrise. Petit à petit, je suis devenu très régulièrement
accompagnateur des répétitions au clavier, une école extraordinaire parce qu’il
faut « manger » de la musique à toute vitesse, savoir tout lire,
déchiffrer, transposer. Cette école est extraordinaire. Puis le chef de chœur
m’a laissé diriger quelques répétitions, confié le travail avec les petits, les
moyens, puis certains concerts, des tournées. Je n’étais jamais rassasié. Il
m’a aussi laissé concevoir des programmes. J’étais un vrai boulimique. Je passais
beaucoup de temps à la Bibliothèque Nationale de France, ce qui m’a appris à
trouver ce que je ne cherche pas…
B. S. : Comment aujourd’hui recherchez-vous de
nouvelles partitions ? Vous-mêmes, êtes-vous musicologue ?
R. P. : Non. J’ai fait des études de musicologie, mais
difficilement parce qu’à cette époque-là je faisais beaucoup de choses en même
temps. J’étais à la fois étudiant en musicologie à la Sorbonne, élève du
Conservatoire régional de Paris où je faisais du chant, de la musique ancienne
avec le ténor états-unien Howard Crook, le claveciniste chef d’orchestre
new-yorkais Kenneth Weiss, le ténor français Michel Laplénie, le cornettiste
français Jean Tubéry, le chef d’orchestre et de chœur Pierre Cao… De très
belles rencontres. En même temps,
j’étudiais le clavecin au Conservatoire du VIIe arrondissement de
Paris avec Elisabeth Joyé, ainsi que le chant avec Caroline Bellon, et j’étais
élève au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris dans les classes
de direction de chœur et d’esthétique avec Christian Accaoui, qui m’a passionné.
B. S. : Vous produisiez-vous aussi en concert, à
l’époque ?
R. P. : J’étais déjà chanteur professionnel. Contreténor. C’est
ainsi que j’ai commencé à gagner ma vie, chantant avec les ensembles de Jordi
Savall, Gustav Leonhardt, Ton Koopman, Vincent Dumestre, Laurence Equilbey.
J’étais aussi continuiste pour un certain nombre de groupes, et comme chanteur
j’ai très vite eu la chance, à 18-19 ans, d’entrer dans un chœur entièrement
dédié à la création contemporaine, Les Cris de Paris dirigé par Geoffroy
Jourdain. C’était une époque incroyable, parce qu’en fait nous faisions presque
uniquement de la création. Nous répétions toutes les semaines, et les compositeurs
défilaient chaque jeudi, venant avec des esquisses pour les essayer avec nous,
servant volontiers de cobayes. C’était passionnant, parce que nous avons
rencontré quantité de compositeurs français et étrangers de la jeune génération
d’alors, Jérôme Combier, Marco Stroppa, Oscar Strasnoy, Francesco Filidei, de tous
les styles, aussi bien Thierry Machuel que Félix Ibarrando… Nous avons aussi
beaucoup tourné avec l’opéra Medeamaterial
de Pascal Dusapin…
B. S. : N’avez-vous pas envisagé de poursuivre
dans cette voie ?
R. P. : Si, et c’est d’ailleurs ce que je fais avec Pygmalion.
Nous venons de commander notre premier opéra. Une farce… une comédie… Sur
instruments d’époques, au pluriel, car de toutes les époques, du moyen-âge à
nos jours. Nous jouons aussi A-Ronne de
Luciano Berio. Aux débuts de Pygmalion, j’avais eu l’envie d’un cycle de
commandes de cantates et de méditations à exécuter entre deux cantates de
Johann Sebastian Bach. Le projet a été initié, puis nous avons eu tellement de
mal à le diffuser que nous avons fait un premier essai avec un magnifique
compositeur trop peu connu, Vincent Manac’h, qui nous a écrit une pièce extraordinaire
sur un texte de Paul Celan que nous avons donnée en 2009 avec la soprano Sabine
Devieilhe, qui est devenue ma femme.
B. S. : Qu’est-ce qui vous a conduit à créer votre
propre ensemble ? Quels étaient vos objectifs en fondant Pygmalion ?
R. P. : Le premier motif repose sur le fait qu’il était
inconcevable pour moi que cette équipée qui mêlait une aventure humaine
extraordinaire à la musique et une générosité dans la façon de s’y dédier au
sein de la maîtrise, s’achève à vingt-cinq ans. C’était pour moi hors de
question. Je voulais continuer, je tenais à ce que ce soit ma vie. La deuxième
raison repose sur le fait que je voulais accomplir mes propres projets. J’étais
curieux de répertoires et j’avais quantité de projets pour les défendre,
notamment de Johann Sebastian Bach, qui était devenu un domaine privé joué par
tout le monde sauf par les Français, qui n’en avaient pas le droit. Troisième
raison, la définition de mon projet était la fusion d’un chœur et d’un
orchestre portés au même degré d’exigence. A cette époque-là, c’était soit un
très bon chœur soit un très bon orchestre. Mais l’idée d’avoir les deux exactement
sur le même pied d’égalité de travail avec l’idée qu’un groupe de chanteurs et
un groupe d’instrumentistes deviennent capables de vocalité l’autre
d’instrumentalité n’existait pas encore. Or, c’est ce que je voulais faire pour
moi-même, la fusion entre moi en tant que chanteur et moi comme violoniste et
claviériste.
B. S. : A une certaine époque, les pianistes, sauf
exceptions, n’osaient plus toucher à Bach, qui était devenu l’apanage des
clavecinistes.
R. P. : Cette époque était peut-être nécessaire. Mais je
trouve trop triste l’idée qu’un musicien soit coupé d’une partie de ses
racines, de ce qui le définit. Un orchestre qui n’ose plus jouer de symphonies
de Mozart, comment voulez-vous qu’il continue à trouver et à construire sa
route pour jouer la première et la seconde Ecole de Vienne ? Jouer Ein deutsches Requiem de Brahms sans
avoir l’occasion de jouer une Messe en si
ou une cantate de Bach, est inconcevable, et il est nécessaire que tous les
musiciens et tous les orchestres puissent aujourd’hui ne plus ressentir la
moindre peur à l’idée d’embrasser la totalité de leur histoire et de ce qui nous
fonde parce que ce grand fleuve qui coule avec tous ses petits affluents et qui
ramasse toutes ces couches de sédimentation, si nous n’avons plus accès aux
origines nous sommes coupés d’une partie de ce qui nous définit. Je pense donc que
cette époque-là aura été une nécessité qui aura conduit à cette spécialisation,
voire surspécialisation, qui aura permis d’affermir la redécouverte de certains
mondes, de pousser des portes et de découvrir l’immensité de la personnalité de
chacun de ses membres. Je pense qu’aujourd’hui l’un de nos défis est de
conserver cette richesse tout en offrant la possibilité à chacun de s’approprier
la totalité de la musique et de son histoire, de ne pas en perdre les détails,
la richesse de ses micro-mondes.
B. S. : Confiez-vous Pygmalion à d’autres
chefs ?
R. P. : Non. Parce que je pense que c’est aux orchestres
permanents de le faire. Pygmalion, si je meurs demain, n’existera plus. Et
c’est très bien ainsi. Je ne le souhaite cependant pas, parce que cela mettrait
les musiciens sur le pavé. Mais ce que je veux dire est que quand nous en aurons
terminé nous apprendrons à vieillir et nous nous dirons, peut-être dans dix ans
voire davantage, c’est fini. Ce que les gens viennent écouter avec Pygmalion est
la réunion entre un groupe de musiciens, ma personnalité et mes choix
artistiques ; ce n’est pas de fonder une institution de plus, mais un
projet.
B. S. : Pygmalion dispose d’une base de musiciens
qui constituent son ossature.
R. P. : Pygmalion repose en effet presque toujours sur les
mêmes musiciens. Mais ils jouent aussi ailleurs. Il faut respecter ce qui fait
partie des règles du jeu. Après, c’est aussi une question de fidélité. A double
sens : fidélité de celui qui engage, fidélité de celui qui s’engage.
B. S. : Quelle est le fonds de votre
répertoire ?
R. P. : Je me sens proche de toutes les grandes musiques que
j’ai la chance de jouer. Johann Sebastian Bach, bien sûr. Ce qui fonde la
nature de nos projets d’ensemble d’intermittents - ce qui a parfois un prix -,
est la liberté de créer notre propre projet, de choisir notre répertoire, d’en
définir l’identité, la construction, l’itinéraire, le cheminement, le déploiement.
Ce qui a pour corolaire un investissement qui va au-delà du champ musical dans
le développement, ainsi que dans la structure, de trouver les bonnes personnes
qui vous entourent, qui vous aident à structurer le projet, à aller les
défendre auprès des pouvoirs publics qui sont de plus en plus rares et de moins
en moins généreux, mais aussi les mécènes, face à qui il faut savoir raconter votre
histoire, la communiquer, et aussi bien sûr d’être capable de s’investir dans
le casting, de réunir une équipe, de l’animer, faire en sorte qu’elle vive
bien. Ce métier est une véritable chance. Il est si complet, et son premier atout
est de vous offrir cette liberté qui fait que c’est moi seul qui choisis notre
répertoire.
B. S. : L’établissez-vous en fonction de vos
envies, les décideurs viennent-ils vous chercher ou est-ce vous qui prenez les
initiatives des contacts ?
R. P. : Il arrive que l’on vienne me proposer quelque chose,
et si la proposition fait mouche, je l’accepte bien évidemment. Néanmoins, la
plupart du temps ce n’est pas selon mes envies, mais selon un chemin que j’ai
gravé dans ma tête depuis longtemps, chemin que j’entends écrire petit à petit
entre un mélange de patience, de passion, parfois de prise de risque, parfois
de folie, parfois de retour aux sources. C’est une voie qui se bâtit et qui, de
par notre définition de jouer sur instruments d’époque, s’élabore en partie
chronologiquement. Parce que je trouve extraordinaire d’avoir cette chance de
boire à la source et de descendre peu à peu le cours de ce fleuve merveilleux.
B. S. : Construiriez-vous donc vos programmations
selon un ordre chronologique ?
R. P. : Non. Ce que je veux dire est que nous avons commencé
un répertoire avec Bach à 415 Hz et que ce répertoire nous a permis un jour de
jouer pour la première fois à 430 Hz et d’aborder Mozart, et qu’après un temps
dédié à Mozart, un autre temps voué à Schubert nous a incités à commencer à
jouer à 438 Hz, et nous avons abordé Schumann, en ce moment c’est au tour de
Brahms, que nous jouons beaucoup - nous venons d’enregistrer son Ein deutsches Requiem -, et nous avons pu
commencer à jouer à 440 Hz Delibes avec Lakmé,
Berlioz, bientôt Fauré, Thomas, Martinu à la fin de l’année avec La Passion grecque dont nous créons la
version française du 24 au 29 juin, dans le cadre du festival que j’ai lancé à
Bordeaux - je viens de finir la traduction, ce qui aura été un exercice
difficile.
B. S. : Vos musiciens collectionnent-ils leurs instruments ?
R. P. : Oui, tous, individuellement. Chaque musicien les
possède personnellement. L’approche chronologique nous oblige à la patience et
au cumul. D’abord des instruments baroques, puis des instruments classiques,
puis des instruments viennois, des instruments français… Et surtout à
appréhender chaque fois de nouveaux instruments. Il faut du temps pour se les
approprier, et en même temps c’est l’agréable sensation de poser pierre après
pierre, ce qui ne nous empêche pas d’effectuer beaucoup de retours en arrière
parce que nous avons aussi creusé plus avant dans le passé en abordant le seicento et la musique de la
Renaissance. A l’Opéra d’Amsterdam, en octobre dernier, nous avons créé un
projet fou avec Romeo Castellucci, un pasticcio
que j’ai intitulé Le Lacrime di Eros
autour de la naissance de l’opéra, entre 1540 et 1600. Une musique extraordinaire,
totalement méconnue de compositeurs comme Alessandro Striggio (1540-1592), Luca
Marenzio (1553-1599), Cristofano Malvezzi (1547-1599), Emilio de’ Cavalieri
(1550-1602), Alessandro Orologio (1555-1633), Jacopo Peri (1561-1633), Giulio Caccini
(1551-1618), Francesco Corteccia (1502-1571) et bien sûr le maître Claudio Monteverdi…
Cent ans avant Cavalli. Des pages inconnues associées à des compositions électro-acoustiques
de Scott Gibbons. Depuis les années 1980, époque où le Châtelet a monté l’Euridice de Peri, nous avons appris
comment reconstruire ces œuvres incomplètes. Il suffit d’ajouter toutes sortes
de ballo, de musiques instrumentales,
ce qui est passionnant : retrouver le savoir-faire de l’époque, l’habillage
de l’époque, ce qui n’a rien à voir avec le fait d’inventer.
B. S. : L’intéressant dans ce que vous faites est
un peu ce que l’on trouve avec la création contemporaine dans le fait de déchiffrer,
d’aller à la quête des sources, de retravailler les œuvres, le son, d’étudier la
façon de jouer, de chanter. Il se trouve donc un côté créatif plus ou moins
prononcé, il faut réinventer… Ce n’est pas seulement de la théorie, c’est aussi
de la pratique.
R. P. : Vous rendez-vous compte de la chance que nous
avons ? C’est la moitié de ma vie, la moitié de mon métier. Cela fait
partie de mon activité professionnelle, et j’y renoncerai pour rien au monde.
Il y a le plaisir de la conception, de se dire que nous avons cette chance que
telles œuvres ou la réunion de telles œuvres vont dire ceci, vont nous
permettre de l’exprimer.
B. S. : Chez vous, il y a une grande dynamique, un
plaisir qui passe naturellement la rampe, il y a une jouissance du son…
R. P. : Pourquoi s’en priver ?
B. S. : Vous êtes-vous fixé une limite dans votre
répertoire ? Richard Wagner ? Richard Strauss ? Gustav
Mahler ? Alban Berg ?...
R. P. : Wagner ?... J’en rêve ! Tout m’intéresse
dans la très grande musique. En revanche, je pense que nous devons mériter
notre paradis. Il faut d’abord apprendre que chacune des figures que vous citez
sont des mondes tellement particuliers que pour jouer Wagner, quelle chance
d’abord de jouer Schubert, Schumann, Brahms ! Nous poursuivons notre
cheminement dans l’œuvre de ce dernier la saison prochaine, avec la première
fois sa Symphonie n° 1. Je songe
aussi à la Rhapsodie pour contralto.
J’ai ma petite idée sur la question, c’est une question de timbre. Je voudrais
aussi faire ses chœurs a capella.
B. S. : Vous dirigez votre propre ensemble, constitué
d’un chœur et d’un orchestre. L’idée de diriger un orchestre comme le
Philharmonique de Berlin, l’Orchestre de Paris, vous avez commencé à diriger le
Philharmonique de Vienne à Salzbourg… Que représentent pour vous ces
grandes phalanges constituées ?
R. P. : Elles représentent un héritage extraordinaire, ce
fleuve immense qui continue de couler, une tradition que certains remettent
inlassablement en question, un trait d’union. Ce sont de grandes maisons de notre
musique où il fait bon se réchauffer, où il est bon de se rendre de temps à
autres… Elles sont la garantie de notre passé, de notre présent, de notre futur,
de notre pérennité. Après, en tant que chef, je suis très prudent parce que je
me sens tellement loin des codes de direction de la majorité des chefs qui
dirigent ce type de phalange que cela me fait peur. Je ne me sens pas à ma
place…
B. S. : Pas à votre place par rapport à quoi ?
Par rapport à vos confrères en général ou à vos aînés ?
R. P. : Un peu des deux. Par rapport à mes capacités
techniques, par rapport à ma façon de travailler… En même temps, je me fais
violence, je me dis que c’est une vraie chance de rencontrer de tels musiciens,
de côtoyer un tel savoir-faire, de toucher une telle identité, de travailler
avec des gens qui ont mis des dizaines et des dizaines d’années à construire un
son, une telle expérience, un récit, une histoire. Tout cela me fascine. Je
suis tellement admiratif. Après, aussi, parfois je me rends compte que cela ne
va pas du tout marcher parce que ce qui peut éloigner c’est notre philosophie,
notre rapport à la musique qui ne correspond pas à celles des institutions qui vous
invitent, comme cela s’est passé avec les Viennois à Salzbourg dans Le Nozze di Figaro. Cet orchestre n’est
pas intéressé par l’idée de forger quelque chose mais par celle de perpétuer
une tradition. Or, je combats l’idée-même de cette perpétuation, l’idée de la
musique comme un musée. Pour moi, elle est un renouveau permanent, quels que
soient le répertoire et les années concernées. Peut-être aussi n’étais-je pas
la bonne personne devant eux. J’ai cependant beaucoup appris avec les Viennois.
J’ai trouvé cette expérience passionnante, et j’y ai connu de bons moments… Le
plus important dans notre métier est l’alchimie, la rencontre qui se fait ou ne
se fait pas. Faire de la musique ensemble est quelque chose de très intime, j’oserai
presque dire d’érotique.
B. S. : Cela fait partie des éléments
d’appréciable dans vos interprétations, le plaisir…
R. P. : Bien sûr. La musique est un lâcher prise charnel. Et
cette relation physiologique, cette relation presque érotique n’est pas gagnée
d’avance, il faut que le courant passe ; parfois cela se passe parfois
cela ne se passe pas. Là, j’ai beaucoup de chance, je dirige dans deux mois le
Mahler Chamber Orchestra pour la première fois dans la Huitième Symphonie de Schubert, Siegfried
Idyll de Wagner et l’Ecossaise de
Mendelssohn.
B. S. : C’est un beau programme, même se ces
compositeurs ne s’aimaient pas tous beaucoup...
R. P. : Oui, mais c’est fait exprès. Je retourne aussi à
Munich pour diriger les Münchner Philharmoniker, et je vais au Concertgebouw
d’Amsterdam pour la première fois, avant le Philharmonique de Berlin… Avec eux
je fais des choses très différentes, Beethoven, Rameau, Bach, Schubert…
B. S. : Schubert est très présent dans votre
activité.
R. P. : Surtout avec Pygmalion. Nous avons donné un opéra sous
le titre L’autre voyage en février
2024 à l’Opéra-Comique mis en scène par Silvia Costa avec Stéphane Degout qui
présentait des incursions dans les divers projets lyriques de Schubert, dont le
mélodrame Fierrabras. Ce projet était
très particulier puisqu’il s’agissait d’une « refondue », une œuvre
agglomérant quantité d’extraits des nombreux opéras inachevés de Schubert. Nous
avons également enregistré un programme intitulé Mein Traum avec Stéphane Degout autour de pièces méconnues
associées à des pages de Weber et Schumann. Par ailleurs, je reviens de New
York où j’ai dirigé Schubert… qui est en effet très présent.
B. S. : Quelles relations entretenez-vous avec le
genre opéra ?
R. P. : Les relations avec l’opéra sont en général assez
compliquées, compte tenu de la diversité des intervenants. C’est avant tout une
histoire de relations humaines, une horlogerie extrêmement complexe, et avoir à
vos côtés les gens les plus compétents ne vous assure en rien une réussite. L’opéra
est un pari extraordinaire. C’est comme pour les Grecs avec la tragédie. Le
théâtre lyrique réunit deux ou trois plus extraordinaires langages universels au
monde, la musique, la poésie, la mise en scène. Pour nous, l’opéra est la
possibilité perpétuelle de se retrouver face à notre propre tragédie. C’est faire renaître la
tragédie, donc faire société, faire communauté, faire face à des récits qui
souvent sont essentiels, parfois très simples, et qui vont être démultipliés de
façon exponentielle par la musique. Et quand ce moment où le mot, le sens se
voient explosés, démultipliés par la force de la musique, cela devient un des
plus grands mystères de l’humanité. C’est extraordinaire. C’est du
funambulisme.
B. S. : L’entente avec le metteur en scène n’est
pas certaine…
R. P. : Il vaut mieux s’en assurer avant de commencer. Romeo
Castellucci est l’une des plus belles rencontres de ma vie. C’est un homme
d’une humilité, d’une douceur, d’une capacité d’écoute, d’une exigence et d’une
humanité exemplaire, c’est une personne extraordinaire.
B. S. : Est-ce important pour vous de travailler
avec un metteur en scène qui connaît la musique, où le principal est-il le
dialogue ?
R. P. : Je pense qu’un metteur en scène qui connait la musique
ne garantit pas qu’il soit en capacité de livrer une mise en scène intéressante
et pertinente. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant la connaissance de la
musique mais la capacité à l’écouter et de la lire. Romeo Castellucci est un
excellent exemple. Il voit à travers la musique. Donc, il vous donne à
comprendre, à ressentir quelque chose qui à mon sens participe à décupler la
force de musiques qui pourtant pour certaines sont déjà d’une puissance
extraordinaire. C’est la force des grands metteurs en scène. Mais ce n’est pas
parce qu’ils savent lire une partition qu’ils sont meilleurs. Des gens lisent
très bien la musique mais n’ont rien à dire.
B. S. : Qu’est-ce qui a la primauté, dans l’opéra,
pour paraphraser Capriccio de Richard
Strauss et Clemens Krauss ?
R. P. : Ce doit être une synthèse. Texte et musique sont à
égalité. Cette question n’a pas de sens.
B. S. : Il se trouve pourtant des livrets sans
intérêt qui tuent l’opéra entier, musique inclue, même la plus accomplie
R. P. : Mais la musique est-elle vraiment si sublime quand le
livret n’est pas bon ? Néanmoins cela peut arriver. Mais je pense
profondément que si la musique est extraordinaire et que les vers ne le sont
pas, que la puissance de la musique peut métamorphoser la consistance des vers.
Dans le domaine du lied, les Sieben frühe
Lieder d’Alban Berg, bien qu’il ne s’agisse pas d’une immense poésie, le
lyrisme, l’érotisme, le lâcher-prise de ces derniers feux du grand lyrisme
postromantique musical donnent une saveur, une couleur, une épaisseur ou même
une naïveté bouleversante. C’est dire combien la force de la musique peut
métamorphoser celle des vers.
B. S. : Cette grande période du début de l’opéra,
celle du seicento avec les Monteverdi,
Cavalli, les grands livrets sur lesquels les opéras d’alors se fondent sont
sublimes. Après, il y a comme une rupture, l’époque napolitaine qui agglomère
arie et recitativi avec da capo
à n’en plus finir. Puis il faudra attendre des décennies pour retrouver des
livrets intéressants. Un compositeur génial comme Weber n’a pas su trouver de
livrets dignes de lui…
R. P. : Certes, mais… L’un de mes moments préférés dans
l’histoire de l’opéra est le dernier Monteverdi, Cavalli, Luigi Rossi, ces
moments où en fait la liberté formelle suscite encore de sublimes instants, le
moment où nait l’un des très grands chefs-d’œuvre du théâtre lyrique qu’est Ercole amante de Cavalli que nous avons
donné à l’Opéra-Comique, partition d’un foisonnement, d’une richesse, d’une
beauté sans égale. Cavalli s’est vu offrir ici tous les moyens qu’il voulait, les
doubles, triples chœurs, et ce récitatif qui fait naître un arioso, qui fait naître une aria, qui fait naître un duo, qui fait
naître un trio, un quatuor, un sextuor, un madrigal, un chœur, un grand chœur,
un double chœur, une sinfonia…
B. S. : C’est ça l’opéra, plus que Haendel…
R. P. : Ce peut être aussi être Haendel. Je n’ai cependant
jamais fait d’opera seria. Le genre
me rend dubitatif. J’en ferai pour la première fois avec Ariodante de Haendel à la rentrée à l’Opéra de Paris-Garnier. Cela
me fait un peu peur, parce que tendre l’arc sans le relâcher est un vrai défi.
B. S. : Les metteurs en scène sont plus créatifs
et téméraires avec la musique ancienne que dans le répertoire moderne et la
création contemporaine… Sous prétexte que c’est « baroque », il leur
paraît possible de concevoir ce qu’ils veulent…
R. P. : Je ne sais pas. Je rêve de diriger un opéra de Francesco
Filidei, par exemple… J’ai une petite idée derrière la tête. J’aimerais bien
travailler avec lui.
B. S. : Sur le plan discographique. Quelle est
votre politique ?
R. P. : Nous avons quitté Alpha en 2014 pour Harmonia Mundi.
Parfois, en fonction de coproductions, très rarement, nous enregistrons pour
Warner Classics. Mais notre maison de disques attitrée est HM. Un éditeur qui
correspond à la philosophie, à l’identité auxquelles je crois. Ma politique discographique
repose sur le fait que nous sommes tous lucides sur le monde du disque a été bouleversé
ces vingt dernières années, entre le moment où j’ai fait mon premier disque -
les Messes brève de Bach en 2007 - et
aujourd’hui. Désormais, il ne me paraît plus intéressant de faire différemment,
car antan, il était nécessaire d’enregistrer à tour de bras pour construire un
patrimoine. Créer cette chose extraordinaire qui fait que l’on a aujourd’hui la
possibilité d’entendre énormément de musique. Je pense que désormais le disque
est un objet différent qui permet de vous construire parce qu’enregistrer avec
son ensemble est une expérience exceptionnelle. Nous faisons des grands
progrès, dédiant une attention extraordinaire au moindre détail, nous nous
consacrons aussi aux questions d’acoustique, de son, de perception, celle aussi
de notre propre sonorité. C’est presque une forme de psychanalyse. Il y a le
travail avant, pendant et après l’enregistrement. Une plongée en profondeur qui
est passionnante et qui nous construit. Nous enregistrons toujours avec les
deux mêmes ingénieurs du son. Je pense qu’aujourd’hui, pour faire exister un
disque, pour qu’il ait un sens, il faut savoir précisément ce que nous
enregistrons. Et j’aime l’idée qu’un disque se doit de raconter une histoire,
un peu de notre grande histoire, et celle à notre propre dimension.
B. S. : Le disque serait-il donc un jalon ?
R. P. : Il est aussi une photographie, un moment de notre
histoire, et quelque chose qui doit pouvoir exister sans que l’on connaisse le
reste de la grande histoire, donc qui raconte par lui-même une histoire. C’est
pourquoi je crois beaucoup aux disques-récits, à ces disques capables
d’embrasser un thème ou une figure ou un récit. Nous avons réalisé beaucoup de
disques de ce genre, et pour le répertoire j’aime aussi qu’un disque appelle le
suivant, bien que ce ne soit pas parce que nous avons fait ce disque-ci que
naturellement viendra celui-là, puis celui-là. Par exemple, nous sommes dans
une grande histoire Johann Sebastian Bach, nous avons enregistré les Messes brèves, puis la petite Messe en si, suivie des Motets, de la Matthäus Passion, la grande Messe
en si mineur qui vient de paraître, et nous nous apprêtons à enregistrer la
Johannes Passion. Mais après, nous en
resterons là avec Bach.
B. S. : Vous n’enregistrerez donc pas les grands oratorios,
comme celui de Noël ?
R. P. : Non. Aujourd’hui, il est difficile d’apporter quelque
chose de nouveau à la discographie tant elle est déjà éternelle et infinie. Il
faut donc affirmer une identité. Un disque est aussi un outil de développement
de nouveaux publics, pour se faire connaître, et c’est également inventer de
nouvelles façons de raconter nos histoires et de transmettre notre répertoire.
B. S. : Sur le plan des registres vocaux,
qu’est-ce qui vous conduit à choisir un contreténor plutôt qu’une
mezzo-soprano ?
R. P. : C’est un mélange de conviction, d’intuition, de ce que
je projette pour telle ou telle musique, pour tel ou tel rôle, dans le choix de
la narration. C’est aussi pour beaucoup une histoire de rencontres.
C’est-à-dire qu’en fait parfois, un contreténor plutôt qu’une mezzo-soprano
parce que j’ai rencontré tel ou tel contreténor extraordinaire qui me
bouleverse. Je ne fais pas le choix d’un contreténor mais le choix de
quelqu’un. Qu’il soit mezzo ou contreténor n’est pas ma préoccupation. Ce qui
m’intéresse est le musicien et la voix et ce qu’ils vont offrir. Et d’ailleurs,
nous faisons parfois appel aux deux types de voix. Longtemps, nous avons eu la
chance de travailler avec Damiens Guillon, qui était extraordinaire dans Bach.
B. S. : Revenons au répertoire romantique. Vous
dites adorer Brahms…
R. P. : Quelle chance j’ai eu de faire pour la troisième ou la
quatrième fois son Requiem allemand,
de l’enregistrer après avoir passé quinze ans au contact des Schütz, Gabrieli,
Buxtehude, Bach, des grands compositeurs de la Guerre de Trente Ans, ainsi qu’au
contact de Mendelssohn-Bartholdy, de sa musique chorale, de celle de Brahms
avant d’arriver à son Requiem. Elias, Lobgesang (Symphonie n° 2)
de Mendelssohn sont des pièces admirables. Pour moi, Wagner connaissait ces
pièces, c’est une évidence… Brahms aussi d’ailleurs. Ce que je veux dire ici est
qu’arriver à Wagner ou à Brahms avec cet héritage-là, conduit à voir
différemment couleurs, histoires, rôles, votre vision en est transformée parce
qu’elle est nourrie de toutes ces couches de sédimentation. Donc, quand nous
parlons de cette évidence de liens entre Bach et Wagner, cela devient clair. Qui
plus est dans ces grands récits spirituels et métaphysiques que peuvent être Lohengrin, Parsifal ou même Tannhäuser.
La fin de Tannhäuser est une
épiphanie spirituelle absolue.
B. S. : Quels sont vos projets les plus
proches ?
R. P. : Nous venons de reprendre Samson de Rameau à l’Opéra-Comique, puis nous tournons et
enregistrons la Johannes Passion avec
douze concerts en tournée européenne qui commence à Notre-Dame de Paris, puis
en Italie (Scala de Milan), Espagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Allemagne,
Belgique. Ensuite, nous présentons un nouveau programme qui a pour titre Requiem pour Ophélie, mélange de façon
un peu culotée de Berlioz, de Thomas et de Fauré, dont son Requiem, puis je dirigerai le Mahler Chamber Orchestra, puis ce
seront les répétitions de la Passion
grecque de Bohuslav Martinu en version française, à Bordeaux dans le cadre
du Festival Pulsations du 20 juin au 4 juillet. Après, nous nous rendons à
Salzbourg avec Pygmalion pour un projet assez singulier que nous présentons au
Manège des Rochers autour de Zaïde de
Mozart, mélangé à beaucoup d’autres œuvres.
B. S. : Travaillez-vous souvent avec votre femme, Sabine Devieilhe ?
R. P. : Un peu plus qu’avant. Nous nous y refusions plus ou
moins, mais nous sommes mariés depuis longtemps, désormais, et nous avons deux
enfants. Si bien que maintenant nous commençons à nous produire plus souvent ensemble.
D’autant plus que nos répertoires nous le permettent de plus en plus. Ainsi
avons-nous pu faire Lakmé ensemble,
puis Mozart, cette année Berlioz, Fauré...
Propos recueillis par
Bruno Serrou
Paris, jeudi 27 février
2025
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