Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 16 mai 2025
Concert de l’Orchestre de Paris cette semaine était dirigé par le chef espagnol violoniste de 37 ans Roberto González-Monjas, qui se produisait avec l’orchestre pour la première fois. Des débuts qui se sont avérés sensationnels dans deux œuvres illustrissimes mais menées de main de maître, Roméo et Juliette de Tchaïkovski et Les Pins de Rome de Respighi, avec bande son d’oiseaux et cuivres du finale dispersés dans les hauteurs de la salle. En première partie, le double Concerto pour clavecins en ut mineur BWV 1060 de Bach dans sa version pour violon, hautbois et cordes en prélude au double Concerto pour violon, hautbois et orchestre au complet de Thierry Escaich qui reprend et amplifie à revers le matériau du concerto de Bach. Les deux solistes, Lisa Batiashvili et François Leleux, ont rivalisé en musicalité et en technique, mais les sonorités puissantes du hautbois ont eu tendance à écraser le lustre moelleux du violon. Entre les deux œuvres, une improvisation d’orgue trop puissante par Thierry Escaich qui a saturé l’espace de la Salle Pierre Boulez
Placé sous le signe de l’italianité, le concert de l’Orchestre de Paris cette semaine, tant on sait combien Jean-Sébastien Bach avait d’admiration pour ses confrères transalpins dont il se plaisait à adapter la création les transcendant par l’universalité de son génie, tandis que l’œuvre de 2014 emprunte son inspiration dans l’œuvre du Cantor au même programme, et que Tchaïkovski puise la sienne à Vérone par le biais d’un illustrissime chef-d’œuvre de Shakespeare, et la partition cent pour cent italienne chante la gloire de Rome. C’est avec Bach, le compositeur auquel la musique entière se réfère constamment depuis le XVIIIe siècle que le concert de l’Orchestre de Paris, s’est ouvert, avec ses cordes seules, dans une pièce doublement concertante adaptée par le cantor lui-même de son Concerto pour deux clavecins et orchestre en ut mineur BWV 1060, dans une reconstitution d’une première version pour violon et hautbois perdue datant du séjour de Bach à Köthen réalisée en 1920 par le musicologue allemand Max Schneider (1875-1967). Il s’agit en fait d’un vrai « cheval de bataille » du duo réuni par l’Orchestre de Paris à l’occasion de l’entrée du double concerto de Thierry Escaich pour la même association de solistes à son répertoire, la violoniste Lisa Batiashvili et le hautboïste François Leleux. L’Adagio rendu célèbre par sa présence dans le film de Stanley Kubrick Barry Lyndon aux côtés du Trio n° 1 pour violon, violoncelle et piano de Schubert, est un pur moment de grâce dans lequel violon et hautbois se fondent et se répondent avec infinie délicatesse, le chant des deux instruments fusionnant avec grâce, tandis que dans les deux mouvements vifs, ils rivalisent en virtuosité et sonorités mais l’instrument à anche est si puissant et coloré qu’il domine largement son compère à archet dont la musicalité et les timbres sont infiniment délicates et fines, mais l’entente entre les deux solistes est telle que l’on ne peut qu’admirer leur prestation, qui bien évidemment atteint son apnée dans le mouvement central, tandis que les cordes de l’Orchestre de Paris, menées par Eiichi Chijiiwa au pupitre de violon solo, sont d’un moelleux et d’une élégance qui participent largement à l’envoûtement de l’œuvre, sous la direction fluide et sobre de Roberto González-Monjas.
Créé à Hambourg le 7 décembre 2014 par Lisa Batiashvili, François Leleux et l’Orchestre Symphonique de la NDR dirigés par Alan Gilbert, le Double Concerto pour violon et hautbois de Thierry Escaich aura attendu plus de dix ans pour être programmé en France, à Paris, et confié à ses créateurs et dédicataires. Commande conjointe du NDR Symphonieorchester de Hambourg, du New York Phlharmonic Orchestra et de l’Orchestre Symphonique de la Radio Finlandaise ce concerto de vingt-deux minutes en trois mouvements enchaînés est écrit en plus des deux solistes pour bois et cuivres par deux, timbales, deux percussionnistes et cordes. Le compositeur organiste français se réfère au double concerto de Bach. Son auteur le présente comme un écho du double concerto de Bach BWV 1060R de 1736 auxquels les commanditaires de l’œuvre d’Escaich, Lisa Batiashvili et François Leleux souhaitaient offrir un équivalent contemporain. La forme est équivalente au modèle référent, enchaînant sa pause (à la différence de Bach) mouvements vif-lent-vif, et le matériau thématique commun, mais dans l’ordre inverse, celui du morceau initial dans le finale, et celui du troisième dans le premier, tandis que celui de l’Adagio est repris dans l’Andante. Les relations sonores entre les deux instruments sont ici plus équilibrées et fusionnelles, le compositeur veillant à une égalité entre le vent et l’archet, tandis que l’orchestre est bien davantage qu’un tissu sonore mais un partenaire à part entière ayant sa propre autonomie, plus coloré que celui de Bach en raison de sa diversité mise en relief par la percussion, mais ne formant jamais hiatus avec ses deux comparses.
Entre les deux œuvres concertantes, Thierry Escaich a endossé son costume d’organiste et de professeur d’improvisation au Conservatoire de Paris, s’installant au clavier de l’orgue symphonique de la Philharmonie pour une improvisation de huit minutes, genre dans lequel le compositeur se plaît tant qu’il a de son aveu même tendance à oublier le temps et l’espace. Ce qu’il a démontré dans toute son évidence, se laissant porter par l’instrument magnifique dont est dotée la Salle Pierre Boulez, se lançant dans un lent crescendo continu qui finit par atteindre des sommets de puissance tels que l’espace acoustique a fini par arriver à saturation, au point de susciter des débuts d’acouphènes plus ou moins marqués.
Le plus italien des compositeurs russes est assurément Piotr Ilyitch Tchaïkovski, qui, particulièrement épris de la musique de Mozart, est aussi le plus cosmopolite des compositeurs russes, avec sa sensibilité exacerbée, son sens de la longue mélodie aux respirations infinies, son attrait pour la péninsule, ses paysages, qui lui ont notamment inspiré ses Souvenirs de Florence et le Capriccio italien, et ses héros, comme Roméo et Juliette, Francesca da Rimini. Toutes œuvres dans lesquelles Tchaïkovski atteste d’une invention mélodique d’une richesse inépuisable rehaussée d’une science consommée de l’harmonie et du contrepoint, le tout paré d’un éclat orchestral si marqué qu’il en est immédiatement reconnaissable. Composé en octobre-novembre 1869, créé à Moscou avec succès le 16 mars 1870 sous la direction de Nikolaï Rubinstein, révisé une première fois cette même année 1870, puis une seconde fois en août 1880, Roméo et Juliette est bien plus qu’une ouverture-fantaisie, un véritable poème symphonique complet dans lequel le compositeur russe brosse en à peine plus d’une vingtaine de minutes tout la tragédie des jeunes amants de Vérone brossée par William Shakespeare, autour de deux thèmes centraux ponctués par celui de la mort, l’un décrivant la discorde et la haine opposant les Capulet et les Montaigu, l’autre l’amour des héros scindé en deux parties, la première représentant la passion de Roméo, la seconde la tendresse de Juliette. Dédiée à Mili Balakirev, cette partition sera la première de son auteur à être jouée hors des frontières russes en 1870. Sous l’impulsion à la fois onirique et résolue du chef espagnol, l’Orchestre de Paris a donné toute la dimension suggestive du poème symphonique de Tchaïkovski, mettant somptueusement en valeur l’orchestration sombre et colorée de Tchaïkovski (piccolo, deux flûtes, deux hautbois, cor anglais, deux clarinettes en la, deux bassons, quatre cors, deux trompettes en mi, deux trombones ténor, trombone basse, tuba, timbales, cymbales, grosse caisse, harpe, cordes (16, 14, 12, 10, 8)), le chef espagnol jouant à satiété des contrastes de la partition dont il fait un somptueux et déchirant livre d’images sonores douées de vie véritable digne reflet du drame aux déchirants contrastes de violence, de passion, de désespoir.
Si Tchaïkovski se situe volontiers sous l’influence
italienne, Ottorino Respighi (1879-1936) se revendique de la musique russe d’un
Stravinski, ainsi que de l’imaginaire musical italien. Essentiellement connu
pour son triptyque symphonique les
Fontaines de Rome (1916), les Pins de
Rome (1924) et Fêtes romaines (1928),
Respighi est comme tous les compositeurs italiens avant tout un lyrique.
Pourtant, la création, particulièrement les neuf opéras et cinq ballets de ce
musicien qui entretint des relations excessivement privilégiées avec le régime
fasciste de Benito Mussolini restent méconnus, à l’exception de la Fiamma (la Flamme, 1934), parmi les
premiers, et de la Boutique fantasque
(1919) d’après Rossini pour les Ballets russes parmi les seconds, le tout
marqué d’une large influence de Richard Wagner, mais aussi une rutilante
proximité avec l’orchestre et les flamboiements de Puccini. Chevaux de bataille
des associations de concerts parisiennes jusque dans les années 1970, le triptyque
romain (Fontaines de Rome, Pins de Rome,
Fêtes romaines) du compositeur
bolognais se font désormais plus rares. Les quatre mouvements constituant Pini di Roma, P 141 (Pins de Rome) (Les Pins de la villa Borghèse, Pins
près d’une catacombe, Les Pins du
Janicule et Les Pins de la Voie appienne)
ont été composés en 1923-1924 et créés
le 1 décembre 1924 au Teatro Augusto de Rome par l’Orchestre de l’Académie nationale
Sainte-Cécile sous la direction de Bernardino Molinari. Huit ans après Fontane di Roma P 106 et quatre ans
avant Feste Romane P 157, Respighi se
place dans la descendance des poèmes symphoniques de Richard Strauss à l’orchestration
foisonnante et au sens discursif affûté. Jouissant des sonorités merveilleusement
polychromes de l’Orchestre de Paris, Roberto González-Monjas peint à loisir le livre d’images brûlantes reflets de la
touffeur de la Ville Eternelle et ses sept collines où les pins parasols
rivalisent en ombrages indispensables à la protection des citoyens de la cité
impériale. Ainsi, les rondes des enfants dans les jardins de la Villa Borghèse
dans morceau initial, Allegretto vivace,
les soubresauts de la mélodie mélancolique du Lento des catacombes, les bruissements nocturnes de la nature dans
le second Lento du Janicule, enfin le
tempo de marche de l’arrivée triomphale des légions romaines sur les pavés de
la Via Appia en direction du Capitole, le tout richement orchestré (bois par trois, quatre cors en fa et en mi,
trois trompettes en si bémol, une trompette en ut hors scène, trois trombones,
six buccins ou bugles et saxhorns, tuba ou cimbasso, timbales, percussion,
célesta, piano, orgue (ce dernier tenu par Thierry Escaich), cordes [16, 14,
12, 10, 8]), et remarquablement servi par l’ensemble de l’Orchestre de Paris
aux sonorités particulièrement flatteuses et envoûtantes, renforcés pour un grandiose
finale en apothéose de quatre sections de cuivres réparties dans la salle
autour de l’orchestre.
Bruno Serrou
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