vendredi 30 mai 2025

Une Sächsische Staatskapelle Dresden d’anthologie brillamment dirigée par Tugan Sokhiev avec Sol Gabetta subtile magicienne

Philharmonie de Paris. Grande Salle Pierre Boulez. Mardi 27 mai 2025 

Tugan Sokhiev, Sächsische Staatskapelle Dresden
Photo : (c) Oliver Killig / Staatskapelle Dresden

C’est toujours avec plaisir que l’on retrouve à la Philharmonie de Paris l’excellent chef russe Tugan Sokhiev, ex-directeur musical de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Cette fois avec l’une des phalanges les plus anciennes et prestigieuses au monde, la Sächsische Staatskapelle Dresden (Orchestre de la Staatskapelle saxonne de Dresde) fondée en 1548, dans un programme russo-autrichien, le Concerto pour violoncelle et orchestre n° 1 de Dimitri Chostakovitch avec Sol Gabetta qui, à l’instar de Sokhiev mais pour de toute autres raisons, chante ici dans son jardin tant elle joue cette œuvre souvent et partout. Mais le moment attendu de la soirée était la Symphonie n° 7 d’Anton Bruckner, qui, abordée dans l’éther, a rapidement sonné vaillamment, avec une première partie de mouvement initial un rien haché, mais qui s’est vite déployé avec brio, l’orchestre exposant des sonorités de braise, souples, félines, aux textures fines et transparentes, la rythmique subtilement contrastée, avec des cordes feutrées et ductiles, des cuivres fabuleusement onctueux et brûlants. À noter que le cymbalier aura été du voyage, la faute jubilatoire du copiste ayant été respectée dans l’Adagio

Sol Gabetta, Tuganh Sokhiev, Sächsische Staatskapelle Dresden
Photo : (c) Charles d'Hérouville / Philharmonie de Paris

Orchestre wagnérien (au point que Karajan le choisit pour enregistrer en studio Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg et Marek Janowski le Ring), et straussien par excellence, la célèbre phalange saxonne, faisant honneur à son chef invité, a inscrit cette fois une œuvre d’un compositeur russe dont il est un éminent interprète, le Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre en mi bémol majeur op. 107 de Dimitri Chostakovitch, dont elle connaît aussi les arcanes acquises au contact de Kurt Sanderling, avec pour soliste la franco-argentine Sol Gabetta, qui connaît parfaitement cette partition, qui est l’œuvre concertante la plus célèbre de Chostakovitch. Composée durant l’été 1959, créée le 4 octobre de la même année par son dédicataire, le violoncelliste Mstislav Rostropovitch, et l’Orchestre Philharmonique de Leningrad dirigé par Evgueni Mravinski, cette partition se situe dans le prolongement de la Symphonie concertante op. 125 de Serge Prokofiev. L’une des particularités de ce concerto, qui s’ouvre sur le motif DSCH (ré (D) mi bémol (Es), do (C), si (H), Dimitri Schostakovitch selon la graphie allemande), est l’alliage du violoncelle et du cor, seul cuivre de l’orchestre, tandis que le célesta est le plus sollicité des pupitres de percussion. Autre fait prégnant, la longue cadence du soliste qui constitue à elle seule le troisième des quatre mouvements. Extrêmement attentif à sa soliste, Tugan Sokhiev n’en a pas moins sollicité la palette somptueusement contrastée de son orchestre, tandis que Sol Gabetta a donné de cette œuvre qu’elle domine depuis de nombreuses années une interprétation particulièrement sensible et radieuse tirant de son archet souple et précis un chant et des rythmes d’une extrême mobilité, clairs et déterminés donnant à son violoncelle des sonorités solaires, où elle glisse subrepticement des dards rageurs, secs et énergiques dans les allegros extrêmes, mais aussi un lyrisme ardent dans le Moderato - le dialogue de a soliste avec ses comparses des pupitres de violoncelles est un moment de grâce pure -, et assombrit le caractère singulier de la Cadenza qui constitue le troisième mouvement, tandis que l’orchestre onctueux de la Staatskapelle a anoblit les timbres de l’orchestration de Chostakovitch de ses cordes onctueuses et de ses pupitres de vents, à commencer par le cor. En bis, Sol Gabetta s’est adjoint le célesta (Nathan Raskin) avec qui elle a offert la berceuse « Nana », cinquième des sept Chansons populaires espagnoles que Manuel de Falla composa à Paris en 1915.

Tugan Sokhiev, Sächsische Staatskapelle Dresden
Photo : (c) Charles d'Hérouville / Philharmonie de Paris

Donnée dans sa version originale de 1883 révisée en 1885 dans son édition réalisée par Leopold Nowak de 1954, avec la faute de copiste pourtant notée « non valable » qui fait incidemment survenir un hallucinant coup de cymbales au point culminant du mouvement lent, la Symphonie n° 7 en mi majeur WAB 107 par la Staatskapelle sxonne de Dresde a été un pur enchantement. Vision puissante, sensible, d’une profondeur ressentie de l’intérieur, l’exécution s’est imposée par sa puissance digne du grand Wagner célébré avec admiration par le compositeur autrichien. Dès les premières mesures du mouvement initial exposées aux violoncelles et au premier cor, cette conception de la Septième de Bruckner s’est avérée d’une beauté stupéfiante, malgré des passages légèrement hachés, le ton noble et altier, éclairant de l’intérieur la structure en arche immense qui aboutit à une coda d’une ampleur extrême où sonnent pour la première fois dans la symphonie, à la toute fin du morceau, quatre tubas wagnériens aux sonorités plus pleines et charnues que les quatre cors dont ils sont le prolongement et les intermédiaires avant les posaunen (trombones). En effet, dédiée au roi Louis II de Bavière, qui, rappelons-le, fut le protecteur de Richard Wagner, cette symphonie, qui rend hommage au maître vénéré de Bruckner, est toute emplie des sonorités de l’Enchanteur de Bayreuth, où le maître autrichien s’était rendu pour la première fois en 1882 afin d’assister à la création de Parsifal alors qu’il était en pleine genèse de cette Septième. Le sublime Adagio, marqué « très solennel », est abordé dans un climat de mystère évanescent, avec des cordes d’une exquise douceur qui exposent le thème initial avec une délicatesse prodigieuse, à l’instar du long crescendo d’une tendresse et d’une nostalgie élégiaque, si bien que, à son apogée, lorsqu’intervient soudain timbales, cymbales et triangle, le retour à la réalisé est si violent et dramatique que l’atmosphère paisible semble définitivement rompue. C’est sans compter sur le sens du drame qu’a l’éminent chef d’opéra Sokhiev, qui retrouve rapidement la sérénité pour conclure dans un climat apaisé. Abordé sans précipitation, conformément à l’indication du compositeur, le Scherzo est mû avec allant mais gorgé de délicates inflexions. Le finale, « mouvementé, mais pas trop rapide », de Sokhiev et de l’éblouissante Staatskapelle de Dresde est saisissant de grandeur et de puissance, construit telle une fastueuse cathédrale sonore à l’architecture immense et majestueuse, marquant l’auditeur jusqu’au plus profond de l’âme et du corps tel un hymne solennel à l’univers entier et à la Création.

Bruno Serrou

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