Philharmonie de Paris. Grande Salle Pierre Boulez. Mardi 27 mai 2025
C’est
toujours avec plaisir que l’on retrouve à la Philharmonie de Paris l’excellent
chef russe Tugan Sokhiev, ex-directeur musical de l’Orchestre National du
Capitole de Toulouse. Cette fois avec l’une des phalanges les plus anciennes et
prestigieuses au monde, la Sächsische Staatskapelle Dresden (Orchestre de la
Staatskapelle saxonne de Dresde) fondée en 1548, dans un programme
russo-autrichien, le Concerto pour violoncelle et orchestre n° 1 de Dimitri Chostakovitch avec Sol Gabetta
qui, à l’instar de Sokhiev mais pour de toute autres raisons, chante ici dans
son jardin tant elle joue cette œuvre souvent et partout. Mais le moment
attendu de la soirée était la Symphonie n° 7 d’Anton Bruckner, qui, abordée dans l’éther, a rapidement sonné
vaillamment, avec une première partie de mouvement initial un rien haché, mais
qui s’est vite déployé avec brio, l’orchestre exposant des sonorités de braise,
souples, félines, aux textures fines et transparentes, la rythmique subtilement
contrastée, avec des cordes feutrées et ductiles, des cuivres fabuleusement
onctueux et brûlants. À noter que le cymbalier aura été du voyage, la faute
jubilatoire du copiste ayant été respectée dans l’Adagio
Orchestre wagnérien (au point que
Karajan le choisit pour enregistrer en studio Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg et Marek Janowski le Ring), et straussien par excellence, la
célèbre phalange saxonne, faisant honneur à son chef invité, a inscrit cette fois une œuvre
d’un compositeur russe dont il est un éminent interprète, le Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre
en mi bémol majeur op. 107 de Dimitri Chostakovitch, dont elle connaît aussi
les arcanes acquises au contact de Kurt Sanderling, avec pour soliste la
franco-argentine Sol Gabetta, qui connaît parfaitement cette partition, qui est l’œuvre concertante la plus célèbre de
Chostakovitch. Composée durant l’été 1959, créée le 4 octobre de la même année
par son dédicataire, le violoncelliste Mstislav Rostropovitch, et l’Orchestre
Philharmonique de Leningrad dirigé par Evgueni Mravinski, cette partition se
situe dans le prolongement de la Symphonie
concertante op. 125 de Serge
Prokofiev. L’une des particularités de ce concerto, qui s’ouvre sur le motif
DSCH (ré (D) mi bémol (Es), do (C), si (H), Dimitri
Schostakovitch selon la graphie allemande), est l’alliage du violoncelle et du
cor, seul cuivre de l’orchestre, tandis que le célesta est le plus sollicité
des pupitres de percussion. Autre fait prégnant, la longue cadence du soliste
qui constitue à elle seule le troisième des quatre mouvements. Extrêmement
attentif à sa soliste, Tugan Sokhiev n’en a pas moins sollicité la palette
somptueusement contrastée de son orchestre, tandis que Sol Gabetta a donné de
cette œuvre qu’elle domine depuis de nombreuses années une interprétation particulièrement
sensible et radieuse tirant de son archet souple et précis un chant et des
rythmes d’une extrême mobilité, clairs et déterminés donnant à son violoncelle des
sonorités solaires, où elle glisse subrepticement des dards rageurs, secs et
énergiques dans les allegros extrêmes, mais aussi un lyrisme ardent dans le Moderato - le dialogue de a soliste avec
ses comparses des pupitres de violoncelles est un moment de grâce pure -, et
assombrit le caractère singulier de la Cadenza
qui constitue le troisième mouvement, tandis que l’orchestre onctueux de la Staatskapelle
a anoblit les timbres de l’orchestration de Chostakovitch de ses cordes
onctueuses et de ses pupitres de vents, à commencer par le cor. En bis,
Sol Gabetta s’est adjoint le célesta (Nathan Raskin) avec qui elle a offert la
berceuse « Nana »,
cinquième des sept Chansons populaires
espagnoles que Manuel de Falla composa à Paris en 1915.
Donnée dans sa version originale
de 1883 révisée en 1885 dans son édition réalisée par Leopold Nowak de 1954,
avec la faute de copiste pourtant notée « non valable » qui fait
incidemment survenir un hallucinant coup de cymbales au point culminant du
mouvement lent, la Symphonie n° 7 en mi
majeur WAB 107 par la Staatskapelle sxonne de Dresde a été un pur enchantement. Vision
puissante, sensible, d’une profondeur ressentie de l’intérieur, l’exécution s’est
imposée par sa puissance digne du grand Wagner célébré avec admiration par le
compositeur autrichien. Dès les premières mesures du mouvement initial exposées
aux violoncelles et au premier cor, cette conception de la Septième de Bruckner s’est avérée d’une beauté stupéfiante, malgré
des passages légèrement hachés, le ton noble et altier, éclairant de l’intérieur
la structure en arche immense qui aboutit à une coda d’une ampleur extrême où
sonnent pour la première fois dans la symphonie, à la toute fin du morceau,
quatre tubas wagnériens aux sonorités plus pleines et charnues que les quatre
cors dont ils sont le prolongement et les intermédiaires avant les posaunen
(trombones). En effet, dédiée au roi Louis II de Bavière, qui, rappelons-le,
fut le protecteur de Richard Wagner, cette symphonie, qui rend hommage au
maître vénéré de Bruckner, est toute emplie des sonorités de l’Enchanteur de
Bayreuth, où le maître autrichien s’était rendu pour la première fois en 1882
afin d’assister à la création de Parsifal
alors qu’il était en pleine genèse de cette Septième.
Le sublime Adagio, marqué « très
solennel », est abordé dans un climat de mystère évanescent, avec des
cordes d’une exquise douceur qui exposent le thème initial avec une délicatesse
prodigieuse, à l’instar du long crescendo d’une tendresse et d’une nostalgie élégiaque,
si bien que, à son apogée, lorsqu’intervient soudain timbales, cymbales et
triangle, le retour à la réalisé est si violent et dramatique que l’atmosphère
paisible semble définitivement rompue. C’est sans compter sur le sens du drame
qu’a l’éminent chef d’opéra Sokhiev, qui retrouve rapidement la sérénité pour
conclure dans un climat apaisé. Abordé sans précipitation, conformément à
l’indication du compositeur, le Scherzo
est mû avec allant mais gorgé de délicates inflexions. Le finale,
« mouvementé, mais pas trop rapide », de Sokhiev et de l’éblouissante
Staatskapelle de Dresde est saisissant de grandeur et de puissance, construit
telle une fastueuse cathédrale sonore à l’architecture immense et majestueuse,
marquant l’auditeur jusqu’au plus profond de l’âme et du corps tel un hymne
solennel à l’univers entier et à la Création.
Bruno Serrou
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