Paris. IRCAM. Espace de Projection. Vendredi 23 mai 2025
Donnée en ouverture du festival ManiFeste de l’IRCAM, L’Ombre d’Edith Canat de Chizy et Blanca Li d’après un conte d’Andersen est le premier spectacle de réalité augmentée associant technologie audiovisuelle, danse, musique créatrice contemporaine et poésie à s’imposer comme une expérience véritablement créatrice. Une fois le casque électronique qui superpose en temps réel contenu virtuel et environnement existant directement dans les yeux et les oreilles de chaque spectateur, tout devient enchantement, rêve et poésie. Dix danseurs et danseuses et un percussionniste (Florent Jodelet, magnifique) se meuvent à travers l’espace de l’Espace de Projection de l’IRCAM, les trois cent spectateurs que contient la salle se déplaçant au centre à volonté accompagnés par un adorable chat virtuel au milieu d’immeubles haussmanniens, d’un planétarium et de ciels étoilés ou parcourus de nuages où volent des pigeons nocturnes (?), effleurés par des personnages grandeur nature ou gigantesques, dont la dimension onirique est magnifiée par la musique surnaturelle à la fois en son direct et en son augmenté d’Edith Canat de Chizy diffusée directement par les casques et par des haut-parleurs précis et analytiques de l’IRCAM disséminés à travers la salle
Pour qui connaît l’œuvre d’Edith Canat de Chizy, première compositrice membre de l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France, et sa création, uniquement acoustique, il paraîtra de prime abord étonnant de la voir se tourner vers l’univers de la recherche électroacoustique et la réalité virtuelle réalisée au sein de l’IRCAM, où elle a découvert la réalisation électroacoustique à l’occasion de la genèse de ce ballet. La réussite avérée de cette production incitera sûrement la compositrice à développer son expérience de la musique avec électronique en temps réel. Car, à soixante-quinze ans, la compositrice française démontre combien cet univers lui convient. Son année de travail pour la réalisation de ce projet entourée des équipes de l’institut de recherche et de coordination acoustique/musique conçu voilà un demi-siècle par Pierre Boulez l’a assurément comblée, et il est certain que si l’occasion se présente - ce qui est peut-être déjà le cas -, elle retournera volontiers dans les studios situés sous la Place Igor Stravinsky. Le thème sur laquelle s’appuie cette partition a il est vrai de quoi la séduire, puisqu’il s’agit d’un ballet inspiré d’un conte de Hans Christian Andersen, L’Ombre à laquelle son savant de propriétaire donne vie et qui devient autonome au point de se faire passer pour un homme au sein de la société. L’Ombre dépasse son maître, tente de l’asservir et finit par le tuer lorsque ce dernier tente de lui résister. Cent quarante cinq collaborateurs ont été requis pour la réalisation de ce spectacle de soixante minutes (quatre vingt trois côté production, technique et administration inclues, quarante-huit côté IRCAM, dix danseurs de la Compagnie de Blanca Li, la compositrice, la chorégraphe et deux percussionnistes alternant).
Les spectateurs, trois cents au maximum dans l’Espace de Projection où était donné le ballet en réalité augmentée, sont invités à le regarder à travers un casque de réalité mixte donnant le sentiment de déambuler au cœur d’un univers fantastique au contact direct des danseurs de la Compagnie de la chorégraphe franco-espagnole et de leurs avatars, des images et de la musique immersive qui les fait participer étroitement à l’action, qui se situe sur une place, qui ressemble à celle où est implanté l’IRCAM, entourée d’immeubles haussmanniens. Seul hiatus relevé par qui veut chercher la petite bête, la présence dans un ciel nocturne étoilé de pigeons, volatiles qui dorment aux mêmes heures que les poules, alors que des chauves-souris auraient eu toute leur place… Sinon, le public qui vit littéralement ce spectacle hybride est immédiatement séduit puis fasciné par le propos et par ce qu’il voit et entend à travers le casque qui le fait pénétrer dans un univers fantastique où l’existant et le perçu virtuel se confondent, plongé dans des mondes réalistes, puis fantastiques et futuristes, sur les toits d’une ville, dans un grenier couvert de livres gigantesques, au cœur d’un alphabet colorés, sous une pluie de parapluies tombant du ciel, ou la menace d’un géant lançant des couteaux, les images ainsi projetées associant le cinéma coloré de Pedro Almodovar et celui plus oppressant de Murnau.
Au début de la représentation, le public ne sait que faire du casque qui lui enserre la tête malgré le soin de la pose effectuée avec le concours d'un spécialiste avant de pénétrer dans la salle après une brève explication portant principalement à rassurer le récipiendaire, qui a tendance au début à le retirer. Puis dès que le spectacle commence, il est immédiatement séduit par ce qu’il voit et entend, et finit très vite par déambuler dans l’espace, d’abord inquiet de voir tous les personnages entrer à sa contact puis le traverser, et se promener tranquillement dans ses jambes pour traverser la pièce un petit chat marchant sereinement. La musique d’Edith Canat de Chizy accompagne plus qu’elle illustre le rêve éveillé qui confine à l’onirisme, accentuant l’enchantement d’autant plus que la partie instrumentale est assurée par le brillant percussionniste Florent Jodelet, qui alterne avec son jeune confrère Arthur Bechet.
Bruno Serrou
Après Paris et Cannes, ce spectacle sera présenté à Madrid et à Taïwan
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