dimanche 25 mai 2025

Magistral récital Sunwook Kim au Théâtre des Champs-Elysées dans le cadre de Piano****

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Jeudi 22 mai 2025 

Sunwook Kim
Photo : (c) Bruno Serrou

Programme particulièrement dense ce soir au Théâtre des Champs-Elysées qui recevait Sunwook Kim dans le cadre des concerts Piano****. Le pianiste Sud-Coréen a brillé dans un programme ouvert sur la dramatique Sonate n° 59 de Joseph Haydn suivie par l’impressionnant livre d’images que sont les Danses des Compagnons de David de Robert Schumann alternant une fantastique diversité de sentiments contradictoires, et se concluant sur la Sonate n° 21 opus posthume de Franz Schubert moins poétique, mélancolique et introvertie que ce qu’en avait offert un mois plus tôt dans le même cadre Stephen Bishop, mais tendue comme un arc vers le tragique 

Sunwook Kim
Photo : (c) Bruno Serrou

Vainqueur des prestigieux Concours internationaux de piano Clara Haskil de Vevey (Suisse) en 2005 et de Leeds (Grande-Bretagne) en 2006, dont il est à 18 ans le plus jeune des lauréats, et premier asiatique à le remporter, Sunwook Kim est à 37 ans l’un des pianistes les plus brillants de sa génération. Il reste pourtant encore inexplicablement en manque de notoriété en France, comme l’atteste le nombre de sièges demeurés inoccupés lors du magistral récital qu’il a donné cette semaine au Théâtre des Champs-Elysées dans le cadre de Piano Quatre Etoiles d’André Furno. Le pianiste Sud-Coréen a ouvert son programme sur la cinquante-neuvième des soixante-deux sonates pour piano de Joseph Haydn (1732-1809). Composée en 1790, publiée à Vienne en 1791, dédiée à Maria Anna (« Nanette ») Jerlischeck, gouvernante des Esterhazy et future épouse du second violon de l’orchestre du prince Esterhazy et commerçant autrichien Johann Tost (v.1755-1831), les trois mouvements de la Sonate n° 59 en mi bémol majeur Hob.XVI:49 témoigne de la profonde affection que le compositeur vouait à Maria Anna (Marianne) von Genzinger (1754-1793) dans ses dernières années comme maître de chapelle des Princes Esterhazy. Porteuse des élans de l’opus 10 (1798) du disciple Beethoven dans l’Allegro initial finement ciselé par Sunwook Kim, l’œuvre a pour moment-phare l’Adagio cantabile en si bémol mineur à la ferveur romantique qui dit combien Haydn était empli de l’amour qu’il vouait à son amie intime et confidente Maria Anna, tandis que dans le finale le compositeur semble pressé d’en finir avec cette confidence sentimentale. Le tout a été admirablement restitué par l’interprétation de Sunwook Kim, fondant expressivité tendre et douloureuse et objectivité classique, jouant de façon concentrée et nuancée, sans le moindre artifice, jusques et y compris dans les croisements de mains.

Sunwook Kim
Photo : (c) Bruno Serrou

Mêmes impressions de concentration, d’expressivité, de jeu, ajoutés cette fois d’une infinie variété de couleurs et d’intentions avec les fantastiques Davidsbündlertänze (Danses des Compagnons de David) op. 6 de Robert Schumann (1810-1856) peintes avec une densité et une variété de timbres, de nuances et d’intentions d’une richesse et d’une diversité saisissantes. Le cycle de deux fois neuf pièces contant les relations de deux personnages aux caractères opposés dont son auteur se déclarait investi, le musicien extraverti et tempétueux Florestan et le poète délicat et sensible Eusebius, dédié au fils de Wolfgang von Goethe, Davidsbündlertänze op. 6 a été composé en 1837 et créé le 14 août de la même année - il sera remanié en 1850-1851 et donné pour la première fois en public le 15 mars 1869, à Budapest, par Johannes Brahms. L’œuvre est emplie des sentiments amoureux de Robert Schumann pour Clara Wieck, avec qui il s’était fiancé deux mois avant la première exécution privée et dont il cite la devise dans la première pièce. Il y évoque ses projets de mariage tout en imprégnant ces pages de contrastes saisissants où s’entremêlent intimement ombre et lumière, souffrance et bonheur, vaillance et angoisse, le conflit des deux pseudonymes que s’était attribués le compositeur, Florestan, le coureur de tempêtes exubérant et crâne, et Eusebius, le doux jeune homme qui reste modestement à l’arrière-plan gouvernant l’œuvre entière. Sous les doigts magnétiques de Sunwook Kim, les miniatures schumanniennes ont constitué autant de pages d’un livre d’images dont la narration a été si prenante que l’auditeur a eu l’impression de traverser une multitude de paysages-caractères d’une densité et d’une variété singulières, au point que le temps et l’espace ont semblé se fusionnent pour se disperser soudain aux quatre vents, tant qu’il est très vite apparu impossible de s’extraire de ce moment de pure féerie, jusqu’ç ce que l’amour et le rêve se fondent l’un dans l’autre, dans un chant nocturne cadencé par les douze coups de minuit s’enfonçant dans les profondeurs du do grave du clavier.


Sunwook Kim
Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie du récital était entièrement occupée par l’ultime sonate de Franz Schubert (1797-1828), la Sonate n° 21 en si bémol majeur D. 960, op. Posthume composée en septembre 1828, à l’instar des Sonates D. 958 et 959, publiée en 1839 avec une dédicace à Robert Schumann ajoutée par l’éditeur Anton Diabelli alors que son auteur pensait à Johann Nepomuk Hummel (1778-1837), proche de Beethoven. A l’instar de Stephen Bishop le 12 avril dernier dans cette même salle du Théâtre des Champs-Elysées et dans le même cadre de la saison Piano Quatre Etoiles, Sunwook Kim a respecté le plus possible les da capo, mais à contrario de son aîné américano-croate, le cadet sud-coréen a interprété l’œuvre de façon moins douloureuse et un peu plus distanciée tout en se faisant d’une nostalgie mâle et tendrement douloureuse, atteignant ainsi de façon plus apaisée une densité d’une grande humanité, d’une force intérieure ayant la consistance d’une douleur interne, d’un désespoir pudique et noble, tandis que le pianiste sud-coréen multipliait à satiété les variations de climats, de couleurs et de lumière de chacun des quatre mouvements de la sonate, dès la mélodie initiale du Molto moderato qui ouvre l’œuvre qui, sous les doigts de Kim à peine assis surgit d’un rêve avant de s’affirmer avec une nostalgie plus ou moins pondérée qui, amplifiée jusqu’au drame intime par un Andante sostenuto au climat nocturne venu d’outre-tombe, emporte la partition jusqu’aux deux tiers de l’Allegro final, lequel, après la rémission poétique du Scherzo se présentant telle une bienheureuse respiration, conclut l’œuvre dans un radieux Presto qui parachève la série des vingt-et-une sonates de Schubert moins de deux mois avant sa mort. Ce qu’offre à écouter Sunwook Kim est si intense et d’une humanité si touchante que l’auditeur n’aura à aucun moment éprouvé l’impression de « divines longueurs » trop souvent associée aux sonates du Viennois, le temps passant au contraire trop rapidement tant l’interprétation était riche et brillamment articulée.

Bruno Serrou

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