mercredi 28 mai 2025

Bizet 150 : "L’Arlésienne" et "Le Docteur Miracle", succulent diptyque original de Georges Bizet proposé par le Théâtre du Châtelet dans le cadre du Festival Palazzetto Bru Zane de Paris

Paris. Théâtre du Châtelet. Lundi 26 mai 2025 

Georges Bizet (1838-1875), L'Arlésienne
Photo : (c) Thomas Amouroux

Retour lundi soir au Théâtre du Châtelet où j’ai passé les dix plus belles années de ma vie professionnelle. J’y ai assisté à un spectacle de fête foraine assez plaisant réunissant deux partitions de Georges Bizet dans le cadre de son cent-cinquantenaire et du Festival Palazzetto Bru Zane 2025, un diptyque constitué d’un drame et d’une comédie, L’Arlésienne et Le Docteur Miracle, finement dirigés par Sora Elisabeth Lee à la tête d’un Orchestre de Chambre de Paris enthousiasmant, et mis en scène par Pierre Lebon, signataire également de décors inventifs et de seyants costumes. Le récitant de L’Arlésienne, Eddie Chignara, a trop tendance à crier malgré ses micros, tandis que la distribution vocale du Docteur Miracle est enlevée et volubile, avec les sémillantes Dima Bawab (Laurette) et Héloïse Mas (Véronique), et les facétieux Marc Mauillon (Silvio/Pasquin/le Dr Miracle) et Thomas Domié (le Podestat de Padoue), tous dignes de la commedia dell’arte 

Georges Bizet (1838-1875), Le Docteur Miracle
Photo : (c) Thomas Amouroux

En cette année du cent-cinquantenaire de la mort prématurée de Georges Bizet (1838-1875), les productions de Carmen, l’opéra qui l’aura rendu universellement célèbre, ne manquent pas, que ce soit sur le territoire français comme dans le monde. Ses deux autres partitions les plus jouées, la Symphonie en ut pour le répertoire symphonique et les Pêcheurs de perles pour le lyrique, ont également leur droit de citer en chacun de leur domaine. Pour le reste, nada, ou presque. Il faut dire que disparu à moins de 37 ans, le temps lui a été particulièrement compté, et n’est pas aussi productif qu’un Mozart ou qu’un Schubert qui veut… Directeur du Théâtre du Châtelet depuis 2023, Olivier Py, qui connaît bien Carmen pour l’avoir mis en scène en divers lieux, a programmé par le biais du Festival Palazzetto Bru Zane deux œuvres moins fréquentées présentées sous forme de diptyque, l’une, L’Arlésienne, étant fameuse en raison de son personnage central que personne n’a jamais vu et pour les deux suites d’orchestre qui en ont été tirées, et la première partition scénique  de Bizet, Le Docteur Miracle, dont la production a été confiée à l’un des anciens assistants de Py, Pierre Lebon, qui signe à la fois la mise en scène, les décors et les costumes en plus d’être de la distribution dans chacun des deux ouvrages, en tant que danseur dans le premier et comme comédien dans le second.

Georges Bizet (1838-1875), L'Arlésienne 
Photo : (c) Thomas Amouroux

Principalement connu pour ses deux suites en quatre mouvements, la première réalisée en 1872 par le compositeur, la seconde en 1879 par son ami Ernest Guiraud (1837-1892), L’Arlésienne est une musique de scène pour le drame éponyme en trois actes d’Alphonse Daudet (1840-1897) créée à Paris au Théâtre de Vaudeville le 1er octobre 1872. Fruit d’une commande de Léon Carvalho (1825-1897), directeur du lieu de la création et commanditaire des deux précédents ouvrages scéniques de Bizet, Les Pêcheurs de perles (1863) et La Jolie Fille de Perth (1867), l’œuvre compte une ouverture suivie de vingt-six numéros constitués de seize courts mélodrames dont deux avec chœurs, six chœurs, trois entractes, une pastorale, une farandole et un intermezzo. Le soir de la création, l’orchestre était formé de vingt-six musiciens, les figurants constituaient le chœur, et le tout était dirigé par le compositeur. La pièce connut un échec retentissant, et ne dépassa pas la huitième représentation. Le Châtelet en propose une adaptation sous forme de conte réalisée par Hervé Lacombe qui se déroule dans un décor impressionnant et d’une parfaite cohérence autour d’un grand moulin fantomatique dont les ailes évoquent le temps qui s’écoule au sein de trois générations d’une famille de paysans provençaux, dont celle du jeune Frédéri (Jan dans le conte) que hante la figure d’une jeune Arlésienne volage. L’on y retrouve aussi des allusions aux Lettres de mon Moulin éditées en 1869 à la source de la pièce, La Chèvre de Monsieur Seguin, Le Secret de Maître Cornille, tandis que l’espace scénique est traversé de bergers, d’Arlésiens et Arlésiennes, mais le spectateur éprouve des difficultés à suivre les péripéties des personnages et leur évolution psychologique qui conduit à la fatale décision de  Frédéri. Ce dernier en effet est sur le point d’épouser la jeune Arlésienne rencontrée aux arènes de la cité camarguaise, mais le gardian Mitifio déclare être l’amant de la jeune femme et produit des lettres qu’elle lui a écrites. Voyant son fils sombrer dans le désespoir, sa mère Rose entreprend de détourner son attention en agissant de telle sorte qu’il en oublie son Arlésienne en l’incitant à épouser une séduisante jeune femme qu’il connaît depuis l’enfance. Voyant ses parents inquiets, Frédéri décide de donner le change en se faisant joyeux, mais rongé par le chagrin il finit par se suicider. Pierre Lebon met en parallèle la déliquescence de Frédéri et la prise de conscience de son jeune frère, l’innocent Jeannet, tandis que le choix de la narration réalisé à la façon d’une pantomime chorégraphique donne au drame un tour de comédie de cabaret tandis que le conteur, Eddie Chignara dénommé Balthazar, déroule dans les micros dont son visage est doté réglés trop fort le texte d’Hervé Lacombe synthétisant l’action de la pièce de Daudet. Dans la fosse, les vingt-six instrumentistes requis par la partition, dont un remarquable saxophoniste qui amplifie la sombre nostalgie de l’œuvre, donne toute la forcce évocatrice dont la partition de Bizet est porteuse, l’Orchestre de Chambre de Paris, sous l’impulsion inspirée de Sora Elisabeth Lee, donne à entendre toutes les nuances et facettes de la musique, dont les joyeuses volées de cloches du Carillon (n° 18), la festive Farandole (n° 21) pour laquelle Bizet emprunte au répertoire populaire provençal, la justesse des tempi de la Pastorale (n° 7, entracte et chœur) avec un glorieux duo de flûtes de la Sicilienne, le mélodrame sous les yeux énamourés des vieillards sont des moments de grâce pure, tandis que l’on se plaît à écouter des moments plus rarement entendus qui associent le chœur à quatre voix et l’orchestre.

Georges Bizet (1838-1875), Le Docteur Miracle. Pierre Lebon (l'Assistant du Dr Miracle)
Photo : (c) Thomas Amouroux

Première œuvre scénique de Georges Bizet, Le Docteur Miracle a le caractère d’une opérette, conformément à ce qu’indique le sous-titre du livret de Léon Battu (1828-1857) et Ludovic Halévy (1834-1908), ce dernier cosignera plus tard celui de Carmen, même si l’ouvrage peut être considéré comme un opéra-comique, comme précisé sur la partition. Tiré de la pièce de théâtre irlandaise Saint Patrick’s Day (1775) de Richard Brinsley Sheridan (1751-1816) donnée pour la première fois à Paris le 9 avril 1857 Théâtre des Bouffes Parisiens, cette œuvre en un acte résulte d’un concours d’opéra-comique organisé par Jacques Offenbach en août 1856 désireux d’élargir le répertoire du théâtre qu’il dirige. Agé de 18 ans, tout juste récipiendaire d’un second Prix de Rome, Bizet est des six finalistes sélectionnés parmi les soixante dix huit candidats qui ont dû composer sur ce livret avec lequel il remporte le premier prix, ex-aequo avec Charles Lecoq. Les deux partitions sont créées sous la direction d’Offenbach les 8 (Lecoq) et 9 (Bizet) avril 1857 aux Bouffes du Nord, théâtre qui reprend chacune d’elles dix fois avant qu’elles ne sombrent dans l’oubli. Celle de Bizet réapparaîtra près d’un siècle plus tard, en 1951, au Conservatoire National de Paris. L’intrigue est des plus simples. Laurette, fille du podestat de Padoue, aime le capitaine Silvio, mais son père s’oppose à leur mariage et, pour veiller sur sa progéniture, prend un nouveau domestique, qui déteste autant les militaires que les… omelettes. Le podestat sort avec son épouse Véronique pour digérer une omelette et laisse sa fille en tête à tête avec le capitaine qui, prêt à tout pour convoler avec son aimée, est parvenu à adopter un air assez stupide pour se faire passer pour un domestique répondant au nom de Pasquin. Mis à la porte, il se venge en écrivant au podestat qu’il a mis dans sa dernière omelette une forte dose de poison. Aussitôt est convoqué le docteur Miracle, qui sauvera le podestat moyennant sa fille ou quinze mille ducats. Dupé, ce dernier opte pour le don de sa fille en mariage au docteur Miracle qui s’avère être le capitaine Silvio… Musicalement, l’œuvre présente une succession d’airs d’une énergie et d’un élan d’une fraîcheur et d’une souplesse juvéniles, dès l’ouverture menée avec une réjouissante mobilité par Sora Elisabeth Lee sollicitant avec subtilité un Orchestre de Chambre de Paris aux sonorités et à la vitalité réjouissantes, ménageant avec un égal bonheur le clinquant et la tendre effusion. La scénographie de théâtre de tréteaux conçue par Pierre Lebon, la maison du podestat résultant d’un agglomérat de praticables et de trappes, est en parfaite adéquation avec le spectacle dont elle souligne la faconde de commedia dell’arte tant elle offre aux cinq protagonistes, tous vêtus de rouge-théâtre, une infinité de possibilités de mouvements et de jeux. Les quatre chanteurs solistes sont les mêmes que ceux qui constituaient le chœur de L’Arlésienne. Dima Bawab est une Laurette toute de charme et de délicatesse dont la voix se déploie à l’envi dans la romance « L’amour vient », tandis qu’Héloïse Mas brosse une Véronique judicieusement cupide et crâne de sa voix charnue, Marc Mauillon est un capitaine polymorphe qui se glisse dans chacun de ses travestissements avec une aisance suprême pour se rire de l’excellent Podestat de Thomas Dolié, tandis que l’omnipotent Pierre Lebon est un assistant du Docteur Miracle fort manipulateur.

Bruno Serrou

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