Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mercredi 21 mai 2025
À moins de deux mois de ses 98 printemps, le chef suédois Herbert Blomstedt, qui se déplace lentement, soutenu par le premier violon invité de l’Orchestre de Paris, Sarah Nemtanu, a toujours l’élan, la dynamique en dépit de sa lente gestique, l’écoute, le sens de la narration de sa première maturité, dans un programme qu’il maîtrise à la perfection, inscrivant pour la première fois une des quatre symphonies de son compatriote Franz Berwald au répertoire de la phalange parisienne, la Deuxième en ré majeur dite « Sinfonie capricieuse », sonnant clair et d’un classicisme enchanteur, précédant l’un des opus favoris de l’Orchestre de Paris, une Symphonie n° 1 en ut mineur op. 68 de Johannes Brahms de feu, dansant continuellement sur ses rythmes de basse conquérants, suscitant des sonorités foisonnantes aux amples contrastes de braise. La disposition des cordes a différé de la coutume de la formation parisienne, avec premiers et seconds violons se faisant face séparés par les violoncelles et les altos. Un regret néanmoins, les contrebasses étaient côté cour, engendrant un léger déséquilibre qui aurait disparu si elles avaient été à jardin, alors que l’orchestre a été éblouissant de bout en bout
Hôte régulier de l’Orchestre de Paris, qui l’invite
quasi chaque année, Herbert Blomstedt est, à deux ans de son centenaire, le
chef le plus âgé à s’être produit à la tête de la phalange parisienne depuis sa
fondation. Moins glorifié que ses confrères les plus illustres de sa
génération, mais reconnu du grand public mélomane pour ses intégrales des
symphonies de Carl Nielsen, Jean Sibelius et de la musique orchestrale de Paul Hindemith,
ainsi que pour ses affinités avec Franz Berwald, Felix Mendelssohn-Bartholdy, Johannes
Brahms et Anton Bruckner, mais aussi pour ses interprétations de Ludwig van Beethoven
et de Richard Strauss, c’est dans la création de son compatriote Berwald et de
l’Allemand Brahms qu’il s’est produit à Paris cette semaine. Très rarement programmé
en France, d’origine allemande Franz Berwald (1796-1868) est l’un des rares
compositeurs de nationalité suédoise du XIXe siècle. Fils de
violoniste, enfant prodige, il intègre l’Orchestre royal de l’Opéra de
Stockholm à 15 ans, naviguant entre les postes de violoniste et d’altiste, et
compose sa première œuvre en 1818. Onze ans plus tard, il s’installe à Berlin,
où il espère faire carrière, sans y parvenir, ce qui le conduit à se
reconvertir à l’orthopédie et à ouvrir en 1835 un institut où il utilise ses
propres appareils. Malgré ses succès professionnels berlinois, il s’installe à
Vienne où il se fait reconnaître comme compositeur. Plusieurs de ses œuvres jouées,
il décide de retourner à Stockholm au bout d’un an, puis se rend à Paris où il
séjourne jusqu’en 1849. Deux ans plus tôt, il devient membre du Mozarteum de Salzbourg,
et devient en 1850 verrier dans le nord de la Suède, ne se consacrant à la
composition que durant ses loisirs. Son œuvre ne sera reconnue qu’après sa
mort, malgré l’intérêt que lui portèrent un certain nombre de ses confrères,
particulièrement Franz Liszt. Auteur de deux opéras, de quatre quatuors à
cordes, d’un Septuor pour cordes et instruments à vent, de pièces pour piano, de
trois concerto (violon, basson, piano), de poèmes symphoniques, il est
principalement connu pour ses quatre symphonies composées en 1842 et 1845.
Révélé au disque dans les années 1960, il n’avait jamais été programmé par l’Orchestre
de Paris fondé en 1967… Il aura fallu attendre ce mercredi et la présence de
son compatriote Herbert Blomstedt, dirigeant assis sur l’estrade du chef, pour
qu’il apparaisse enfin à l’affiche, avec sa Symphonie
n° 2 en ré majeur dite « Sinfonie
Capricieuse » d’une durée de moins de trente minutes. Malgré sa
gestique lente et peu marquée vue de dos, Herbert Blomstedt donne de cette œuvre
en trois mouvements vif-lent-vif composée en 1842 révisée en 1909 par Ernst
Ellberg puis en 1971 par Nils Castegren, une interprétation dynamique, avec des
mouvements extrêmes une puissance lapidaire et foudroyante dont les très difficiles
répétitions, hachures, ruptures sont intégrées avec une logique coulant avec
infiniment de naturel, tandis que l’Andante
central d’une luminosité voilée touche par sa dimension intensément poétique.
Côté orchestre, les musiciens ont brillé par la beauté de leurs timbres,
particulièrement les violoncelles ambrés, les bois virevoltants, les cuivres de
velours (les cors) et de bronze (trompettes, trombones).
Si la
symphonie de Berwald faisait sa première apparition à l’affiche de l’Orchestre
de Paris, ce n’était pas le cas de la Symphonie
n° 1 en ut mineur op. 68 de Johannes Brahms (1833-1897), l’un des « hits »
de la phalange qui la reprend régulièrement, les archives comptant plus de
trente-cinq programmations en cinquante-huit ans. Fruit d’une genèse longue et particulièrement
difficile - esquissée en 1854, composée en 1874-1876 -, cette œuvre bouillonnante
a été emportée avec luxuriance par un Herbert Blomstedt qui aura réussi à
transcender les souffrances d’un corps touché par l’âge, en proposant à 98 ans
une interprétation énergique et
virevoltante à couper le souffle et à qui l’Orchestre de Paris a donné la
pareille en répondant comme un seul homme à la moindre de ses sollicitations,
magnifique de cohésion, de cantabile.
Comme sur-vitaminés, tous les pupitres seraient à citer, tant la virtuosité et
la fusion ont été absolues, violon solo invité en tête (Sarah Nemtanu). Le chef
suédois a remarquablement mis en évidence le fait que chacun des mouvements de
la symphonie ne semble jamais naître mais être là de toute éternité, l’auditeur
ayant le sentiment d’immiscer son oreille au milieu d’un discours dont il n’a
pas entendu le début mais qui le saisi dès l’abord. Juste un petit regret, le fait que les contrebasses aient été placée derrière les premiers violons et non pas derrière les seconds violons, côté cour, ce qui aurait eu pour résultat un juste équilibre entre cordes aiguës et cordes graves...
Bruno
Serrou
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