dimanche 28 septembre 2025

L’Orchestre de Paris et Daniel Harding ont donné un premier acte de « Die Walküre » de Wagner d’une intense humanité

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Jeudi 25 septembre 2025

Orchestre de Paris, Daniel Harding, Miina-Liisa Värelä, Jamez McCorkle, Stephen Milling
Photo : (c) Bruno Serrou

Huit mois après l’extraordinaire prestation de l’Orchestre National de France à la Philharmonie de Paris lors d’un concert-hommage à Pierre Boulez dans ce même acte (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2025/01/boulez-100-lorchestre-national-de.html), l’Orchestre de Paris  vient de proposer cette semaine sa propre vision de l’acte I de Die Walküre de Richard Wagner avec une toute autre distribution. Dirigée par Daniel Harding, l’un de ses ex-directeurs musicaux, la phalange symphonique de la Philharmonie a brillé de tous ses feux dans une approche plus intériorisée et intimiste que celle de l’ONF dirigé par le jeune Thomas Guggles. Les deux phalanges françaises ont donné l’intégrale du Ring au Théâtre du Châtelet dans les années 1990-2005, et rivalisent dans ce cycle en élan, délectables sonorités, riche nuancier, en épique intensité (sublime violoncelle de Stéphanie Huang). Le Siegmund de ce concert, Jamez McCorkle, n’a pas toute la puissance du rôle et son timbre voilé ne lui permet pas d’incarner un personnage solaire, mais tout chez lui est intensité intérieure, humanité. La totalité des notes est là, sans efforts, juste un peu couvertes dans quelques mesures sur la fin, mais l’on ne peut qu’être touché par la force de son incarnation. La Sieglinde de Miina Liisa Värelä est héroïque, chantant avec vaillance sans jamais forcer sa voix chaude et nuancée, attestant une ardeur conquérante. Le Hunding de Stephen Milling est tout simplement impressionnant. En première partie une ouverture d’une beauté pétrifiante de La Khovanstchina de Modest Moussorgski et le poème symphonique Tapiola de Jean Sibelius d’un onirisme et d’une clarté exemplaires 

Miina-Liisa Värelä (Sieglinde), Jamez McCorkle (Siegmund), Stephen Milling (Hunding)
Orchestre de Paris
Photo : (c) Bruno Serrou

Moins dramatique et bouillonnante que ce qu’en ont offert l’Orchestre National de France et Thomas Guggels en janvier dernier, la conception de Daniel Harding et l’Orchestre de Paris ont donné du premier acte de Die Walküre s’est avérée plus intériorisée, lyrique et ardente. La connaissance de l’œuvre est d’une évidence telle que le drame tout entier découle de la musique sans nécessiter l’appoint de la moindre source visuelle, cela dès l’orage initial qui conduit les jumeaux Wälsung, Siegmund et Sieglinde, à se retrouver dans la demeure de leur ennemi juré, Hunding. Dès les premières notes de l’orchestre, l’auditeur est embarqué par la vague symphonique qui ne le lâchera pas, jusqu’à l’ultime accord d’un optimisme conquérant. L’Orchestre de Paris a sonné une heure et cinq minutes durant de tous ses feux, sans jamais couvrir les chanteurs ni même à forcer à se dépasser, tous les pupitres de la phalange parisienne s’exprimant une précision et une virtuosité confondantes dans une partition connue il est vrai de ses musiciens les plus âgés qui l’ont notamment jouée dans la fosse du Théâtre du Châtelet sous la direction de Christoph Eschenbach voilà vingt ans. Mais la vision du chef britannique est plus onirique et contrastée que celle de son aîné allemand (l’Hymne au Printemps saisit par sa poésie enchanteresse), et il bénéficie en outre d’une distribution d’une autre dimension que l’ONF en début d’année mais tout aussi enthousiasmante, avec un Siegmund solide au chant lyrique et au timbre élégant, le ténor états-unien pianiste de formation Jamez McCorkle, rôle qu’il a abordé pour la première fois voilà quelques semaines à l’Opéra de Santa Fe, aux Etats-Unis, après s’être illustré en mai dernier à l’Opéra de Bordeaux dans le rôle de Florestan du Fidelio de Beethoven (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2025/05/fidelio-de-beethoven-le-grand-theatre.html). Sa voix est claire, sûre et endurante, chantant, sans jamais forcer comme s’il s’agissait d’un cycle de lieder, pénétrant avec intériorité le rôle du jumeau Wälse (son Nothung tout en retenue mais aussi en certitude est saisissant), à l’instar de sa sœur-amante Sieglinde, la soprano finlandaise Miina-Liisa Värelä, à la voix rayonnante au nuancier aussi large et impressionnant que son ambitus vocal et la vérité de son jeu, tandis que le (trop) court rôle de Hunding, mari de Sieglinde, est tenu par l’impressionnante basse danoise Stephen Milling, qui a le timbre sombre et la voix ample d’un Fafner possédant les atouts vocaux d’un excellent Gurnemanz.

Miina-Liisa Värelä (Sieglinde), Jamez McCorkle (Siegmund), Stephen Milling 'Hunding)
Daniel Harding, Orchestre de Paris
Photo : (c) Bruno Serrou

La première partie du concert s’était ouverte sur l’ouverture du chef-d’œuvre lyrique de Modest Moussorgski, le lumineux et fluide prélude de La Khovanstchina (1872-1880), sous-titré « Lever du jour sur la Moskova », dans lequel le compositeur fusionne l’optimisme de la nature de la Russie éternelle et les élans lugubres et menaçants qui conduisent les protagonistes de l’ouvrage dans la terreur et la mort. Daniel Harding a mis en valeur les couleurs chaudes et feutrées des pupitres de bois et des cordes, tout comme il le fera dans Tapiola, poème symphonique opus 112 de Jean Sibelius qui dépeint le dieu de la forêt Tapio de la mythologue finlandaise qui gouverne l’épopée Kalevala transcrite par le médecin botaniste folkloriste Elias Lönnrot (1802-1884). Les cinq parties de Tapiola qui requièrent un effectif instrumental assez fourni (bois par trois, quatre cors, trompettes et trombones par trois) ont été composées en 1926 pour Walter Damrosch et son Orchestre Philharmonique de New York qui en donneront la création le 26 décembre 1926. Daniel Harding et l’Orchestre de Paris en ont donné avec sensibilité et un sens de la suggestion communicatif tout le mystère, la densité et la variété sylvestre, forêt, lacs et faune, les bois de l’Orchestre de Paris s’en donnant à cœur joie, rivalisant en envoûtement sonore et en panache.  

Bruno Serrou

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