Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Jeudi 25 septembre 2025
Huit mois après l’extraordinaire prestation de l’Orchestre National de France à la Philharmonie de Paris lors d’un concert-hommage à Pierre Boulez dans ce même acte (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2025/01/boulez-100-lorchestre-national-de.html), l’Orchestre de Paris vient de proposer cette semaine sa propre vision de l’acte I de Die Walküre de Richard Wagner avec une toute autre distribution. Dirigée par Daniel Harding, l’un de ses ex-directeurs musicaux, la phalange symphonique de la Philharmonie a brillé de tous ses feux dans une approche plus intériorisée et intimiste que celle de l’ONF dirigé par le jeune Thomas Guggles. Les deux phalanges françaises ont donné l’intégrale du Ring au Théâtre du Châtelet dans les années 1990-2005, et rivalisent dans ce cycle en élan, délectables sonorités, riche nuancier, en épique intensité (sublime violoncelle de Stéphanie Huang). Le Siegmund de ce concert, Jamez McCorkle, n’a pas toute la puissance du rôle et son timbre voilé ne lui permet pas d’incarner un personnage solaire, mais tout chez lui est intensité intérieure, humanité. La totalité des notes est là, sans efforts, juste un peu couvertes dans quelques mesures sur la fin, mais l’on ne peut qu’être touché par la force de son incarnation. La Sieglinde de Miina Liisa Värelä est héroïque, chantant avec vaillance sans jamais forcer sa voix chaude et nuancée, attestant une ardeur conquérante. Le Hunding de Stephen Milling est tout simplement impressionnant. En première partie une ouverture d’une beauté pétrifiante de La Khovanstchina de Modest Moussorgski et le poème symphonique Tapiola de Jean Sibelius d’un onirisme et d’une clarté exemplaires
Moins dramatique et bouillonnante que ce qu’en ont offert l’Orchestre
National de France et Thomas Guggels en janvier dernier, la conception de Daniel
Harding et l’Orchestre de Paris ont donné du premier acte de Die Walküre s’est avérée plus intériorisée,
lyrique et ardente. La connaissance de l’œuvre est d’une évidence telle que le
drame tout entier découle de la musique sans nécessiter l’appoint de la moindre
source visuelle, cela dès l’orage initial qui conduit les jumeaux Wälsung, Siegmund
et Sieglinde, à se retrouver dans la demeure de leur ennemi juré, Hunding. Dès les
premières notes de l’orchestre, l’auditeur est embarqué par la vague symphonique
qui ne le lâchera pas, jusqu’à l’ultime accord d’un optimisme conquérant.
L’Orchestre de Paris a sonné une heure et cinq minutes durant de tous ses feux,
sans jamais couvrir les chanteurs ni même à forcer à se dépasser, tous les
pupitres de la phalange parisienne s’exprimant une précision et une virtuosité
confondantes dans une partition connue il est vrai de ses musiciens les plus
âgés qui l’ont notamment jouée dans la fosse du Théâtre du Châtelet sous la
direction de Christoph Eschenbach voilà vingt ans. Mais la vision du chef
britannique est plus onirique et contrastée que celle de son aîné allemand (l’Hymne au Printemps saisit par sa poésie
enchanteresse), et il bénéficie en outre d’une distribution d’une autre
dimension que l’ONF en début d’année mais tout aussi enthousiasmante, avec un Siegmund
solide au chant lyrique et au timbre élégant, le ténor états-unien pianiste de
formation Jamez McCorkle, rôle qu’il a abordé pour la première fois voilà
quelques semaines à l’Opéra de Santa Fe, aux Etats-Unis, après s’être illustré en
mai dernier à l’Opéra de Bordeaux dans le rôle de Florestan du Fidelio de Beethoven (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2025/05/fidelio-de-beethoven-le-grand-theatre.html).
Sa voix est claire, sûre et endurante, chantant, sans jamais forcer comme s’il
s’agissait d’un cycle de lieder, pénétrant avec intériorité le rôle du jumeau Wälse
(son Nothung tout en retenue mais aussi
en certitude est saisissant), à l’instar de sa sœur-amante Sieglinde, la
soprano finlandaise Miina-Liisa Värelä, à la voix rayonnante au nuancier aussi
large et impressionnant que son ambitus vocal et la vérité de son jeu, tandis
que le (trop) court rôle de Hunding, mari de Sieglinde, est tenu par l’impressionnante
basse danoise Stephen Milling, qui a le timbre sombre et la voix ample d’un
Fafner possédant les atouts vocaux d’un excellent Gurnemanz.
La première partie du concert s’était ouverte sur l’ouverture du chef-d’œuvre
lyrique de Modest Moussorgski, le lumineux et fluide prélude de La Khovanstchina (1872-1880), sous-titré
« Lever du jour sur la Moskova », dans lequel le compositeur fusionne
l’optimisme de la nature de la Russie éternelle et les élans lugubres et menaçants
qui conduisent les protagonistes de l’ouvrage dans la terreur et la mort. Daniel
Harding a mis en valeur les couleurs chaudes et feutrées des pupitres de bois
et des cordes, tout comme il le fera dans Tapiola,
poème symphonique opus 112 de Jean Sibelius qui dépeint le dieu
de la forêt Tapio de la mythologue finlandaise qui gouverne l’épopée Kalevala transcrite par le médecin botaniste
folkloriste Elias Lönnrot (1802-1884). Les cinq parties de Tapiola qui requièrent un effectif instrumental assez fourni (bois
par trois, quatre cors, trompettes et trombones par trois) ont été composées en
1926 pour Walter Damrosch et son Orchestre Philharmonique de New York qui en
donneront la création le 26 décembre 1926. Daniel Harding et l’Orchestre de
Paris en ont donné avec sensibilité et un sens de la suggestion communicatif
tout le mystère, la densité et la variété sylvestre, forêt, lacs et faune, les
bois de l’Orchestre de Paris s’en donnant à cœur joie, rivalisant en
envoûtement sonore et en panache.
Bruno Serrou
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