Chambord (Loir-et-Cher). Château. Jardins à la française et cour intérieure du château de Chambord. Vendredi 10 et samedi 11 juillet 2025
Voilà quatorze ans, le Château de
Chambord, qui, sous le règne de son initiateur François Ier, roi de
France, qui y accueillit quantité d’artistes et d’intellectuels de son temps dont
Leonardo da Vinci est le plus célèbre, confiait à la pianiste Vanessa Wagner la
création et la direction artistique d’un festival de musique, dont la première
édition eut lieu en juillet 2013. Depuis lors, le succès de la manifestation ne
se dément pas, attirant mélomanes, régionaux et autochtones, mais aussi touristes
de passage poussés par la curiosité et l’occasion qui leur est donnée de
profiter d’un cadre majestueux dans des conditions optimales
Deux semaines durant, le Festival
Chambord en Musiques offre à entendre près de trois cents artistes dans des
concerts de tous formats et d’un large répertoire courant de la Renaissance à
aujourd’hui, de la musique symphonique au récital, en passant par des spectacles
musicaux et la musique de chambre, de la Renaissance à nos jours, présentés
sous des chapiteaux plantés dans les cours du château et dans ses jardins à la
française.
La Première soirée que j’ai passée dans ce cadre somptueux qui reçoit chaque année plus d’un million de visiteurs venant du monde entier, faisait plonger dans l’époque de l’érection du château commencée en 1524, au cœur de la Renaissance flamboyante où les artistes italiens étaient les hôtes privilégiés du roi bâtisseur sacré à Reims le 22 janvier 1515 - et inspirateurs de l’architecture de Chambord selon les plans de Leonardo da Vinci et de Domenico Bernabei da Cortona dit Il Boccador. C’est en effet un spectacle de tréteaux Renaissance que le subtile ensemble Doulce Mémoire de Denis Raisin Dadre a présenté dans les jardins à la française sur la façade ouest du château.
Il s’est agi d’une charmante pantalonnade (le vieux et riche marchand Pantalon en est d’ailleurs l’anti-héros) intitulée La Roulotte d’Arlequin donné dans les jardins du château mêlant musique du Seicento italien du Bolognais Adriano Banchieri (1568-1634), particulièrement la comédie madrigalesque La Piazza Senile (La Folie du grand âge) créée en 1603 avec ses personnages hauts en couleurs tenus par neuf joyeux compères de Doulce Mémoire, équipe d’instrumentistes, de chanteurs, de comédiens et de danseurs basés à Tours soudés par trente-six ans d’expression commune dans un répertoire empli de l’univers des Vinci, Michel-Ange, Rabelais, François Ier, tandis que les intermèdes étaient remplacés par des chansons à la mode dans les années 1960, le tout mis en scène avec truculence par Philippe Vallepin. L’action se situe dans les environs de Venise, où habite le riche vieillard Pantalone, amoureux de la jeune courtisane Lauretta. S’entretenant avec son serviteur Burattino, il apprend que le seigneur Fulvio vient chanter des sérénades à sa fille Doralice. Furieux, Pantalone va trouver le vieux docteur Gratiano à qui il a promis sa fille et décide de célébrer leurs noces sans attendre. La passion des deux amants et les manigances d’un valet rusé finissent par l’emporter sur les deux vieillards qui sont ridiculisés.
Philippe Vallepin situe l’action de La Roulotte d'Arlequin conformément
au déroulé d’un spectacle du XVIe siècle (ou Cinquecento italien), depuis le montage du tréteau jusqu’à son
démontage, les protagonistes s’exprimant dans des costumes colorés d’Audrey
Gendre. Six chanteurs (les sopranos Véronique Bourin et Camille Fritsch, les
ténors Hugues Primard et Almeno Gonçalves, le baryton Matthieu Le Levreur et le
baryton-basse Antoine Pluche aux talents polymorphes, ainsi que les musicien
Cédric Piromalli (pianino, épinette), et Martin Billé (luth, guitares), tous
dirigés par le flûtiste, musicologue fondateur de Doulce Mémoire.
La seconde soirée passée au Festival Chambord en Musiques, était fort différente, tenant du récital classique réunissant néanmoins un aéropage de cinq pianistes sous la houlette de Vanessa Wagner, directrice artistique et fondatrice de la manifestation. Autour d’elle quatre jeunes pianistes au talent déjà reconnu par les professionnels que leur aînée a invités à partager avec elle les deux Yamaha, un piano de concert et un trois-quarts de queue, installés l’un derrière l’autre sur la scène, Jodyline Gallavardin, élève de Marie-Josèphe Jude, Dana Ciocarlie et Rena Shereshevskaya « Révélation musicale de l’année 2023 » et Prix du Syndicat de la critique, Victor Demarquette, autre élève de Rena Shereshevskaya, ainsi que de Jean-Bernard Pommier fils du violoncelliste Henri Demarquette avec qui il forme un brillant duo, Gabriel Durliat, élève d’Hortense Cartier-Bresson, Jean-Frédéric Neuburger, également compositeur formé auprès de Thierry Escaich et de Guillaume Connesson, et Charles Heisser, fils des pianistes Jean-François Heisser et Marie-Josèphe Jude, musicien polyvalent s’illustrant autant dans l’univers classique, l’improvisation, le jazz et la composition qu’il se plaît à réunir dans ses propres récitals.
C’est ce dernier qui a ouvert la soirée avec une pièce pour la seule main gauche le Prélude n° 6 de Frederic Mompou (1893-1987), l’un des compositeurs favoris de son père, soirée qui allait se conclure à dix mains avec un jubilatoire Galop-Marche d’Albert Lavignac (1846-1916). Le tout dans un lieu magique, la cour intérieure du somptueux château de François Ier qui aura fait le plein de public. Jouant seuls ou à deux, sur un ou deux claviers, les pianistes ont alterné solos et duos d’Edvard Grieg, Jean-Philippe Rameau (Tendres plaintes), Antonin Dvorak, Gabriel Fauré (Dolly), chacun dans leur répertoires privilégiés.
Notamment un virtuose mouvement de la Sonate n° 3 de Serge Prokofiev par
Demarquette, un lied onirique de Franz Schubert dans son arrangement pour piano
seul de Franz Liszt Aus dem Wasser zu singen par Jodyline Gallavardin, ou une impressionnante improvisation
de Charles Heisser commençant sur une page de Mompou suivie de la première Arabesque de Debussy pour aboutir dans trois Etudes Chopin après être passé par Thelonious Monk, Keith Jarrett et lui-même, tandis
que Gabriel Durliat s’illustrait dans une Pièce lyrique de Grieg et deux Dandes hongroises de Brahms, et Vanessa Wagner dans
le répertoire qu’elle défend avec conviction et poésie rendant ces morceaux
plus intenses qu’ils le sont a priori, des pages pour piano du minimaliste états-unien
Philip Glass, plus particulièrement ses Etudes.
Bruno Serrou
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