Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mardi 20 mai 2025
Splendide et impressionnant concert Pygmalion sous la direction d’une énergie épique de son fondateur Raphaël Pichon lundi soir à la Philharmonie de Paris autour du thème de la mort dans le romantisme français, de Tristia d’Hector Berlioz au Requiem de Gabriel Fauré en passant par Hamlet d’Ambroise Thomas couronné par un air d’Ophélie « À vos yeux mes amis » époustouflant de virtuosité chanté par une éblouissante Sabine Devieilhe qui n’en a pas pour autant oublié le beau chant teinté d’un lyrisme déchirant. Thomas était encadré par deux extraits de Tristia, dont la Marche funèbre s’enchaînait directement avec l’Introit & Kyrie du Requiem de Fauré dans sa version de 1900, auquel les interprètes ont donné une tension dramatique et une angoisse humaine inattendue mais sensible et envoûtante, avec même un violon solo pleurant dans le Sanctus, la seule plage de béatitude se trouvant dans l’In Paradisum final. Sabine Devieilhe chantant dans les hauteurs et Stéphane Degout toujours aussi impressionnant et d’une expressivité à fleur de peau, à l’instar du chœur et de l’orchestre Pygmalion, particulièrement brillants et d’une justesse à toute épreuve
Chef d’orchestre et de chœur des plus inspirés et ouvert de sa génération, contreténor, violoniste, claveciniste, Raphaël Pichon s’est rapidement imposé comme l’un des musiciens les plus ouverts, créatifs et puissamment originaux de sa génération. Particulièrement à la tête de son remarquable ensemble Pygmalion, qui regroupe un chœur et un orchestre d’instruments d’époque de très haut niveau qu’il a fondé en 2006 pour explorer un vaste répertoire, du XVIIe siècle à nos jours, de Claudio Monteverdi à Oscar Strasnoy (voir interview http://brunoserrou.blogspot.com/2025/05/interview-raphael-pichon-directeur.html). Se produisant régulièrement à la Philharmonie de Paris avec son ensemble Pygmalion constitué d’un chœur et d’un orchestre, le chef parisien s’intéresse à un très large répertoire qu’il défend avec autant de talent que de conviction et d’ouverture d’esprit. Cette fois, il a proposé un programme entièrement français, associant trois des compositeurs les plus représentatifs du romantisme, aux noms illustres mais la création de l’un des membres du trio est moins présente à l’affiche que ses comparses, Ambroise Thomas.
Raphaël Pichon a choisi d’imbriquer
les deux conceptions d’Hamlet les
plus représentatives du répertoire français inspiré de William Shakespeare (1564-1616),
réalisant « une vision » d’Hamlet homogène, sur le papier plus que
dans l’esprit, réunissant des passages les plus représentatifs des deux œuvres à
partir desquelles il a conçu un drame musical en quatre parties, les deux
volets extrêmes du triptyque Tristia op.
18 H 119B d’Hector Berlioz (1803-1869) encadrant huit extraits de l’opéra
en cinq actes Hamlet d’Ambroise
Thomas (1811-1896). Ainsi, a-t-il enchaîné deux méditations d’Hamlet mettant en
regard la pensée intime de celui de Berlioz composé en 1831 pour chœur mixte à
six parties et petit orchestre qui puise dans un poème de Thomas Moore traduit
en français par Louise Swanton Belloc (1796-1881), à l’abattement de celui de Thomas
qui, sur un livret de Michel Florentin Carré et Jules Paul Barbier d’après la
pièce d’Alexandre Dumas père (1802-1870) adaptée de Shakespeare en 1847 puise
dans la scène du cimetière du cinquième acte de la pièce, l’air d’Hamlet « Ô
séjour du néant ! » de l’opéra étant chantée avec une intériorité déchirante
par Stéphane Degout, tandis que la scène suivante est centrée sur Ophélie, mais
le volet que lui consacre Berlioz est absent, qui songe ici au comportement d’Hamlet
qui lui paraît incompréhensible, « La fatigue alourdit mes pas »,
méandres qu’interprète avec infiniment de justesse Sabine Devieilhe. S’enchaînent
cinq autres extraits présentés à rebours de l’ouvrage de Thomas, avant qu’apparaisse
l’air d’Ophélie du quatrième acte, « A
vos jeux, mes amis… Doute de la lumière » dans lequel Sabine Devieilhe
saisit par l’aisance de ses colorature vaillamment chantés, sans effort
apparent et sans la moindre perte de carnation, voix toujours pleine de panache
et d’une saisissante musicalité. La Marche
funèbre pour la dernière scène d’Hamlet Pygmalion et Raphaël Pichon ont
conclu cette première partie sur la Marche
funèbre de Berlioz qui date du milieu des années 1840, qui associe un grand
orchestre doté d’une riche partie de percussion (timbales, six tambours,
cymbales, grosse caisse, tam-tam) à un chœur dont l’expression se limite au seul
mot Ah !, l’œuvre culminant sur
un tir de mousquets hors scène avant le silence, symbole du néant où Hamlet
sombre, ne s’instaure. Le chœur Pygmalion toujours aussi impressionnant de
couleurs, d’intensité, d’homogénéité et de présence, et l’orchestre auquel il
est indissociablement lié ont excellé dans ces pages, les instrumentistes ne
faisant aucun écart de justesse et d’intonation, mais donnant au contraire une
platine, une chair, une chaleur sonore ombrée particulièrement envoûtante.
Les mêmes caractéristiques ont enluminé le Requiem en ré mineur op. 48 de Gabriel Fauré donné en seconde partie de soirée. Six mois après la version du Chœur et de l’Orchestre de Paris et de son directeur musical Klaus Mäkelä à l’occasion du centenaire de la mort de son auteur (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/11/lorchestre-de-paris-et-son-chur-diriges.html). Chef-d’œuvre de la musique française sacrée, cette partition s’inspire des musiques anciennes enseignées à l’école de Louis Niedermeyer (1802-1861), de Grégoire le Grand à Palestrina, faisant notamment abstraction du Dies Irae remplacé par le motet de l’élévation Pie Jesu à l’instar du rite dit « parisien », Tandis que Fauré fusionne la communion Lux aeterna et les deux antiennes des obsèques In Paradisum et Chorus angelorum. La version originale, achevée en janvier 1888, ne compte que cinq parties avec chœur à six voix et soprano garçon, l’orchestration réunissant harpe, orgue, timbales et excluant les bois, les cuivres et les violons (à l’exception d’un seul), ce qui donne à l’œuvre de sombres couleurs funèbres. Cinq ans plus tard, Fauré adjoint l’Offertoire et le Libera me, ajoutant le baryton solo, les cuivres (quatre cors, deux trompettes, trois trombones), deux bassons et les violons, arrangement qui restera inédite du vivant du compositeur. C’est cette version pour grand orchestre destinée au concert réalisée en 1900 et créée à Lille le 6 avril de la même année, qu’a choisi Pichon, à l’instar de Klaus Mâkelä. La partie vocale est inchangée, bien que la voix de soprano puisse être indifféremment confiée à une femme ou à un enfant, mais les pupitres de bois (flûtes, clarinettes et bassons par deux), cuivres (quatre cors, deux trompettes, trois trombones) et cordes (quinze violons à partie unique, douze altos, dix violoncelles, huit contrebasses) sont étoffées. D’une extrême cohésion, le Chœur Pygmalion composé de trente-quatre chanteurs, contrairement au Chœur de l’Orchestre de Paris trop étoffé avec ses quelques cent-cinquante chanteurs, ont donné de leur importante partie une lecture particulièrement expressive ne craignant pas la théâtralité, sous l’impulsion il est vrai élancée et dramatique de son directeur-fondateur, le deux solistes séparés dans l’espace, la soprano solo s’exprimant dans les hauteurs côté jardin au-dessus de l’orchestre dans un Pie Jesu divinement chanté par Sabine Devieilhe, tandis que Stéphane Degout était placé à cour à côté des violoncelles pour d’admirables Offertoire et Libera me. Tout en restant à distance de l’effroi suscité par la mort qui se retrouve plus ou moins souvent dans les exécutions de l’œuvre, la conception de Raphaël Pichon s’est avérée plutôt tragique et inquiète, ne craignant pas une certaine fébrilité, tout en ménageant de magnifique plages de sérénité et de foi en la résurrection des morts, plus particulièrement l’In Paradisum final, seule plage de réelle béatitude.
Bruno Serrou
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