lundi 7 octobre 2024

Théâtre des Champs-Elysées, les Wiener Philharmoniker et Daniele Gatti ont donné à la musique russe du XXe siècle un moelleux de bon aloi

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Samedi 5 octobre 2024 

Daniele Gatti, Wiener Philkharmoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est avec un programme de musique russe du XXe siècle que les Wiener Philharmoniker, hôtes privilégiés du Théâtre des Champs-Elysées, se sont produits samedi sous la direction de Daniele Gatti, directeur musical de la Staatskapelle de Dresde depuis septembre

Daniele Gatti, Wiener Philharmoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

Les deux œuvres russes programmées étaient néanmoins fort éloignées l’une de l’autre, malgré leur relative proximité dans le temps puisque écrites à un quart de siècle de distance. La première raffinée et rythmiquement enlevée dans l’esprit chorégraphique, composée en 1927-1928 représentative de la période néoclassique du Russe exilé Igor Stravinski (1882-1971), l’autre plus brute de fonderie, écrit à la gloire d’un régime dictatorial qui avait conduit l’aîné à l’exil, son auteur étant le plus célèbre des compositeurs de l’ère soviétique qui eût néanmoins maille à partir avec lui toute sa vie durant, Dimitri Chostakovitch (1908-1975).

Daniele Gatti, Wiener Philharmoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

Ecrit pour orchestre à cordes (huit premiers et huit seconds violons, six altos, huit violoncelles et quatre contrebasses), le ballet Apollon Musagète d’Igor Stravinski s’est avéré un choix judicieux, tant il a permis au public de jouir des sonorités d’une ductilité suprême des pupitres d’archets, avec pour konzermeister la brillante violoniste bulgare Albena Danailova, première femme à ce poste au sein d’une phalange qui n’intégra la gente féminine qu’à partir de 1998. Commande de la Fondation Coolidge pour le Festival de musique contemporaine de la Library of Congress de Washington DC, composé à Nice et en Savoie, ce ballet d’une demie heure en trois parties (Prologue, Naissance d’Apollon, Apollon et les Muses) a été créé le 27 avril 1968 par les Ballets Russes dans une chorégraphie de George Balanchine avec en soliste Serge Lifar et un ensemble instrumental dirigé par Hans Kindler. « J’écartai tout d’abord l’orchestre courant à cause de l’hétérogénéité de sa composition, écrira Stravinski. J’écartai aussi les ensembles d’harmonie dont les effets sonores ont été vraiment trop exploités ces derniers temps, et je m’arrêtais aux archets. » Gatti en a donné une lecture élégante, presque suave s’il n’y avait eu une rythmique souple et vivante suggérant habilement la danse classique, suggérant la présence de muses en tutu s’exprimant avec souplesse au sein du nouveau décor de concerts d’orchestre du Théâtre des Champs-Elysées utilisé depuis le mois dernier.

Daniele Gatti, Albena Danailova, Wiener Philharmoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est sur la Symphonie n° 10 en mi mineur op. 93 de Dimitri Chostakovitch que se concluait ce concert. Commencée peu après la mort de Serge Prokofiev et de Joseph Staline (le compositeur écrit dans ses Mémoires qu’il y est question de ce dernier, alors qu’il avait déclaré lors de la création qu’il avait voulu y exprimer les sentiments et passions humains), achevée en octobre de la même année, créée à Leningrad le 17 décembre 1953 sous la direction d’Evgueni Mravinski, cette Dixième Symphonie s’ouvre sur un ample Moderato sombre et pessimiste qui lui instille un ton d’accablement. Les thèmes longuement étirés et la tension croissante qui perdure jusqu’au point culminant final ramènent au climat de la Huitième Symphonie composée dix ans plus tôt mais en plus élémentaire. Daniele Gatti, qui a disposé la phalange à l’autrichienne (premiers et seconds violons se faisant face et encadrant violoncelles et altos), a abordé  ce mouvement dramatique avec ductilité, gommant avec a propos aspérités et grincements pour exalter opportunément les chaudes sonorités de l’orchestre viennois. Ainsi, le chef italien attise des couleurs brûlantes et épanouies, ce qui permet de gouter l’onirisme volubile des solos de clarinette puis de flûte, enfin des deux piccolos, enfin des cuivres, rutilants. Il affine ainsi le côté musique de propagande, s’attardant pour les magnifier sur les moments où le compositeur laisse couler son souffle épique. Les Wiener Philharmoniker répondent avec malléabilité aux sollicitations de leur chef invité qui tend à donner à cette messe de gloire à la révolution soviétique un tour quasi brucknérien.

Bruno Serrou

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