jeudi 3 octobre 2024

L’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä dans une Symphonie n° 9 de Mahler impressionnante de virtuosité mais spirituellement perfectible

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 2 octobre 2024 

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Magistrale leçon d’orchestre mercredi soir à la Philharmonie de Paris de la part de l’Orchestre de Paris et de son directeur musical Klaus Mäkelä dans la Neuvième Symphonie en ré majeur de Gustav Mahler, virtuose, sonnant admirablement, d’une luminosité chatoyante, mais d’une fraîcheur excessive car il y manque encore douleur, profondeur désespérée, introspection, notion d’Eternité 

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Profondément marqué par la déchirante Neuvième de Mahler donnée Salle Pleyel voilà quatorze ans le 20 octobre 2010 par Claudio Abbado et « son » Orchestre du Festival de Lucerne, un Abbado rayonnant, toujours svelte et le geste élégant, écrivais-je à l’époque, mais qui se montre trop retenu dans le Rondo-Burlesque, sans doute pour mieux préparer l’hallucinant tourbillon de désespoir qui clôt le morceau. Le chef italien avait offert un Adagio final déchirant se concluant sur un Adagissimo faisant entrer de plein pied dans la douleur éternelle. Tandis que le dernier accord des cordes s’éteignait doucement dans un halo de lumière céleste, Abbado suspendit le temps en maintenant ses bras levés près de trois minutes durant, jusqu'à ce qu'un imbécile crie « basta ! » aussitôt couvert par un tonnerre d'applaudissements de dix minutes en standing ovation, tandis que les familiers de Pleyel étaient encore sous le choc de ce qu'ils venaient d'écouter, marqués à jamais.

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

D’élégance et d’engagement, Klaus Mäkelä n’en  manque en aucun cas. Et cela s’entend et se voit, tant il s’engage le corps entier dans l’interprétation de cet impressionnant chef-d’œuvre. Gestique large, souple et claire, physiquement engagé, plongeant le buste dans l’orchestre, chantant avec lui, le jeune chef finlandais et son Orchestre de Paris sont dans la fusion totale, la phalange parisienne sonnant brillamment, sans le moindre écart, exaltant des sonorités scintillantes, colorées, charnelles, jusque dans les moments les plus délicats rythmiquement et techniquement, tous les pupitres rivalisant de virtuosité et d’expressivité, jouant d’un large nuancier où aucune défaillance ne point.

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Cette interprétation remarquable suscite l’enthousiasme tant la qualité de la prestation de Klaus Mäkelä et les musiciens de l’Orchestre de Paris est convaincante. Mais aussi somptueuse soit-elle, cette conception à laquelle je ne reproche rien de bien rédhibitoire dans ce que ses interprètes en ont "dit" hier soir, si ce n’est quelques passages à vide et des défaillances dans l’unité dues notamment à des ruptures trop brutales particulièrement dans l’Andante comodo initial d’où n’émane guère de lignes de force, de déchirures abyssales. Après un Rondo-Burlesque trop retenu dans sa première partie, l’Orchestre de Paris sous l’impulsion de son directeur musical s’est illustré dans l’inexorable progression de sa dynamique explosant dans l’euphorie fébrile, le bruit et la fureur d’un crescendo assourdissant de l’orchestre entier. Plus encore que dans les deux mouvements initiaux, l’Adagio final a conduit à relever le manque de maturité indispensable pour pénétrer les arcanes spirituelles et de cette œuvre-testament certes virtuose mais surtout profonde, douloureuse, parfois au seuil d’une folie due au désespoir, avec cette notion d’Eternité qui, pour ceux qui ont eu la chance d’y assister, rend l’interprétation de Claudio Abbado à la tête de son Orchestre du Festival de Lucerne en 2010 si précieuse, sans remonter à Rafael Kubelik ou à Georg Solti avec l’Orchestre de Paris dans les années 1970. Mais il est certain que pour Mäkelä, qui dirige cette Neuvième pour la deuxième fois à la tête de l’Orchestre de Paris en quatre ans (1), ce n'est qu'une question de maturation chez ce jeune chef de moins de 30 ans qui va avoir maintes occasions de se plonger dans l'univers mahlérien, puisqu'il est le directeur musical désigné de l'orchestre le plus mahlérien du monde, celui du Het Concertgebouw d’Amsterdam.  

Bruno Serrou

1) Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris ont donné ensemble la Symphonie n° 9 de Mahler à huis-clos à la Philharmonie de Paris le 9 décembre 2020 pour une diffusion sur le site Internet de la Philharmonie de Paris durant la pandémie de la Covid-19 en remplacement de la Symphonie « Résurrection », qui nécessitait la participation de deux cantatrices solistes et d’un chœur


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