lundi 25 mars 2024

Les délices mélancoliques de Dvořák par la Česká filharmonie (Philharmonie Tchèque) et son directeur musical Semyon Bychkov, avec en solistes Pablo Ferrández et Bertrand Chamayou à la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie de Paris. Salle Pierre Boulez. Vendredi 22 et samedi 23 mars 2024 

Semyon Bychkov, Philharmonie Tchèque. Photo : (c) Bruno Serrou

Fantastiques soirées Antonín Dvořák deux soirs de suite à la Philharmonie de Paris offerte offertes par la trop rare en France Česká filharmonie (Philharmonie Tchèque) dirigée par son directeur musical russe Semyon Bychkov, l’un des orchestres les plus mythiques et reconnaissables au monde avec ses couleurs à nulles autres pareilles, forgées à l’aune des Václav Talich pendant vingt-deux ans (1919-1941), Rafael Kubelik (1942-1948) Karel Ančerl pendant dix-huit ans (1950-1968), Václav Neumann pendant vingt-et-un ans (1968-1989),  Jiří Bělohlávek pendant neuf ans (1990-1992 et 2012-2017), Zdeněk Mácal (2003-2008), avec de courtes parenthèses de chefs internationaux, l’allemand Gerd Albrecht (1993-196), le russe Vladimir Ashkenazy (1996-2003) et l’israélien Eliahu Inbal (2009-2012). Semyon Bychkov est donc le second chef russe à présider aux destinées de la phalange bohémienne depuis sa création en 1901 par le compositeur chef d’orchestre austro-tchèque Ludvík Čelanský.

Semyon Bychkov, Philharmonie Tchèque. Photo : (c) Bruno Serrou

En liminaire à ce compte-rendu des deux concerts de ce week-end parisien de la célèbre phalange pragoise, je tiens à manifester ma surprise devant le fait que, la Philharmonie tchèque se faisant rare en France, elle n’ait programmé aucune note de Bedřich Smetana, pas même un bis, alors même que 2024 est l’année du bicentenaire de l’auteur de Vlast (Ma Patrie), se focalisant sur le seul cent-vingtième anniversaire de la mort de Dvořák

Pablo Ferrández, Semyon Bychkov, Philharmonie Tchèque. Photo : (c) Bruno Serrou

La venue à Paris de la Philharmonie Tchèque, portant dans ses bagages un programme monographique enchanteur consacré Antonín Dvořák, a malheureusement concordé avec l’un des pire moments de la vie musicale de ce premier quart du XXIe siècle, puisque nous apprenions en moins de vingt-quatre heures les décès successifs de deux immenses artistes, celui du pianiste italien Maurizio Pollini (le 23 mars, voir : http://brunoserrou.blogspot.com/2024/03/mort-de-maurizio-pollini-perte.html) puis celui du compositeur chef d’orchestre hongrois Péter Eötvös (le 24 mars, voir : http://brunoserrou.blogspot.com/2024/03/auteur-de-treize-operas-qui-sont-autant.html), deux extraordinaires personnalités, aussi rayonnantes et humanistes l’une que l’autres… 

Pablo Ferrández, Philharmonie Tchèque. Photo : (c) Bruno Serrou 

Pour cet qui concerne la Philharmonie Tchèque, ce qui « saute » aux oreilles dès le premier accord, est le son de la phalange pragoise, plus rond et plus conforme aux standards internationaux, ce que laissait déjà présager la disposition des cordes sur le plateau, non pas à la germanique mais à l’anglo-saxonne, premiers et seconds violons côte à côte, puis les violoncelles et les altos, les contrebasses (sept et non pas huit) derrière ces derniers, les cors et les cuivres derrière les cordes, séparés par les bois au centre entre eux, la percussion au fond.

Semyon Bychkov, Philharmonie Tchèque. Photo : (c) Bruno Serrou

Le premier concert a réuni deux œuvres forts célèbres, le fameux Concerto n° 2 pour violoncelle et orchestre en si mineur op. 104 B. 191 (1895) et une Huitième Symphonie en sol majeur op. 88 B. 163 (1889) - sans doute la plus épanouie et luxuriante du cursus symphonique du compositeur tchèque - époustouflante d’énergie et de mélodies flamboyantes, saturée d’élan, de poésie, respirant large, chantant la Bohême à pleins poumons, après un Concerto pour violoncelle à la palette plus viennoise que bohême, avec le jeune et brillant violoncelliste espagnol Pablo Ferrández aux sonorités généreuses et fuitées, se jouant avec une aisance stupéfiante des nombreux passages d’une redoutable difficulté. En bis, une Danse slave de braise.

Bertrand Chamayou, Semyon Bychkov, Philharmonie Tchèque. Photo : (c) Bruno Serrou

Le second concert aura été un peu difficile, non pas à cause du programme, généreux et enchanteur, mais en raison des circonstances : un immense artiste venait de mourir, Maurizio Pollini… Impression de désolation d’autant plus prégnante que la soirée s’ouvrait sur un concerto pour piano, le seul que le compositeur tchèque ait dédié au clavier que Dvořák a composé en 1876 en sol mineur op. 33 B. 63, le moins couru de ses trois grandes partitions concertantes. A piano, le brillant Bertrand Chamayou, qui, sauf erreur ou omission, donnait  l’œuvre pour la première fois en public. Ce qui m’a toujours apparu comme le concerto le moins achevé Dvořák, en raison d’un orchestre peu captivant tandis que le piano n’arrête pas de s’exprimer mais davantage dans la ligne de Mendelssohn-Bartholdy que dans celle de Brahms, a été défendu avec conviction par le pianiste français, qui s’est donné avec conviction et souplesse dans l’œuvre pour la sortir d’une loquacité certes volubile au clavier mais sans résonance à l’orchestre tant il reste dans la ligne leipzigoise.

Bertrand Chamayou, Philharmonie Tchèque. Photo : (c) Bruno Serrou

Bouleversé par la mort de Maurizio Pollini divulguée en fin de matinée, Bertrand Chamayou a donné après le concerto de Dvořák, en hommage au géant du piano un extrait du cycle Sur les Sentiers broussailleux de Leoš Janáček le sombre Bonne Nuit !, après avoir annoncé le décès de son illustre confrère, à la stupeur de la partie du public qui ignorait encore la tragique nouvelle.

Semyon Bychkov, Philharmonie Tchèque. Photo : (c) Bruno Serrou

Après l’entracte, la Philharmonie Tchèque et Semyon Bychkov ont réussi à envoûter la salle entière avec une fantastique Symphonie n° 9 en mi mineur op. 95 B. 178 « du Nouveau Monde » comme seuls les Tchèques savent en restituer toutes les saveurs poético-mélancolico-sonores, avec une énergie solaire et dans des tempi singulièrement alertes, donnant un relief particulier à l’Adagio, d’une divine lenteur faisant toucher le paradis. En bis deux Danses tourbillonnantes à souhait (slave de Dvorak, hongroise de Brahms). Un regret dû au public, venu en nombre se délecter de la présence de la Philharmonie Tchèque,  n’a cessé de manifester son contentement en applaudissant à la fin de chaque mouvement, à la stupéfaction des musiciens pragois…

Bruno Serrou 

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