vendredi 8 mars 2024

Eblouissant concert de musique russe de l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä, avec un soliste remarquable, le jeune pianiste Yunchan Lim

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Jeudi 7 mars 2024 

Klaus Mäkelä, Yunchan Lim, Orchestre de Paris. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Une semaine après Igor Stravinski (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2024/03/ivres-de-rythmes-et-de-couleurs.html), l’Orchestre de Paris et son directeur musical, Klaus Mäkelä, ont de nouveau présenté un programme de musique russe, dans la perspective de sa tournée outre Atlantique (1) où il ne s’est pas produit depuis 2003 sous la direction de son directeur musical de l’époque, Christoph Eschenbach (2). 

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est donc le programme avec lequel il se rend aux Etats-Unis et au Canada que l’Orchestre de Paris a offert en primeur à son public dans sa salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Une affiche où s’illustre la jeunesse, puisque le soliste, Yunchan Lim, aura vingt ans le 20 mars 2024, et le chef, Klaus Mäkelä, vient d’entrer dans sa vingt-neuvième année, tout en étant déjà tous deux d’authentiques diva de stature internationale que toutes les grandes salles et tous les grands orchestres du monde s’arrachent.

Yunchan Lim. Photo : (c) Philharmonie de Paris

C’est dans le fort populaire - au point d’être qualifié d’« l’incontournable - Concerto pour piano et orchestre n° 2 en ut mineur op. 18 de Serge Rachmaninov interprété par la coqueluche des Coréens (venus en nombre assister à son concert) Yunchan Lim, que s’est ouvert le concert. Médaille d’or du XVIe Concours international de piano Van-Cliburn en juin 2022 à l’âge de 18 ans, ce qui a fait de lui le plus jeune lauréat de l’histoire de ce concours, tandis que sa carrière avant été lancée dès 2018, en remportant le Deuxième prix et le prix spécial Chopin du Concours international de Cleveland, et le public parisien put le découvrir la saison dernière dans le cadre d’un récital à la Fondation d’entreprise Louis-Vuitton, tandis qu’il poursuit aujourd’hui encore sa formation au Conservatoire de Nouvelle-Angleterre avec son professeur, Minsoo Sohn, qui le suit depuis l’âge de 13 ans à Séoul. Il retrouvait cette semaine le compositeur qui lui porta chance lors du Concours Van-Cliburn, Serge Rachmaninov et son Concerto n° 3, mais cette fois avec le célébrissime Deuxième. Attestant d’une maturité naturelle, le geste simple et le corps fusionnant avec l’instrument, Yunchan Lim a offert une interprétation fascinante de ce concerto trop rabâché dont il réussit de renouveler la teneur et l’angle d’attaque, de son jeu aérien qui engendre des alliages brûlants et profonds qui se fondent intimement à ceux de l’Orchestre de Paris, porté à l’incandescence par la direction attentive et allante du chef finlandais. Un monceau de fleurs offertes par de jeunes admiratrices coréennes ont salué la prestation du pianiste, et il y en avait tant qu’il ne savait qu’en faire, au point d'en remettre plusieurs à Eiichi Chijiiwa, violon solo de l’Orchestre de Paris, qui les distribua à son tour à ses consœurs… 

Yunchan Lim. Photo : (c) Philharmonie de Paris

En retour, Yunchan Lim a offert une « leçon » en matière sonore et de phrasé dans l’Etude n° 7 en ut dièse mineur op. 25 de Frédéric Chopin, compositeur avec lequel il a également une indubitable complicité.

Klaus Mäkelä, Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Sous la direction de Klaus Mäkelä, l’Orchestre de Paris donnait pour la cinquième fois depuis sa fondation la Symphonie n° 11 en sol mineur « L’Année 1905 » op. 103 de Dimitri Chostakovitch que Semyon Bychkov introduisit non sans mal à son répertoire en 1989. Ecrite pour le quarantième anniversaire de la Révolution d’Octobre mais commémorant la première révolution ouvrière russe, avortée, de 1905, créée à Moscou le 30 octobre 1957, cette Onzième Symphonie est en fait un poème symphonique d’une heure en quatre mouvements s’enchaînant sans pause, chacun étant doté d’un sous-titre glorifiant la révolution en faveur d’un régime qui aura brisé toute résistance. Pour mieux en souligner l’objet, le compositeur utilise quantité de chants populaires et révolutionnaires auxquels il associe deux citations de ses propres œuvres et un passage d’une opérette de son élève Georgy Sviridov, les Petites Flammes. La symphonie est repose sur un matériau unique, âpre, d’une raideur si singulière qu’elle en devient un implacable monolithe d’une sècheresse heureusement inégalée dans la création du compositeur soviétique, ce qui en fait la partition la moins convaincante de son auteur tant ses contours tiennent de la propagande la plus débridée. Pour évoquer les massacres du Dimanche rouge du 9 janvier 1905 sur la place du palais d’Hiver à Saint-Pétersbourg de manifestants pacifiques par les troupes tsaristes, particulièrement dans l’Allegro (« le 9 janvier »), événement précurseur de la Révolution de 1917 déjà chanté par son aîné morave Leoš Janáček dans sa Sonate pour piano, le compositeur russe fait appel à un orchestre conséquent pour chanter la puissance d’un peuple en marche et la violence de la répression. Ce qui a valu à Chostakovitch son retour en grâce auprès des autorités soviétiques, qui lui ont attribué le Prix Lénine 1958. Emportant l’œuvre avec un art de la nuance saisissant, tout en sollicitant des couleurs chaudes et épanouies, Klaus Mäkelä amoindrit judicieusement le côté musique de propagande de cette partition, s’attardant pour les magnifier sur les moments où le compositeur se laisse aller à son souffle naturel, donnant ainsi une densité singulière au climat d’extrême anxiété de l’œuvre, excessive, dégoulinant d’un pathos qui submerge la partition entière. Ample, vigoureuse, gommant les aspects pompeux et bruts de fonderie de l’écriture et du matériau de Chostakovitch, la vision de Mäkelä est  extraordinairement contrastée, avec des pianississimi d’une douceur inouïe et des fortississimi tétanisant, ne gommant pas les vulgarités qui, avec Klaus Mäkelä mettent de façon impressionnante en relief les beautés de certains thèmes et du traitement instrumental magnifiés par des musiciens d’une précision et d’une maîtrise instrumentale et de timbres remarquables. L’Orchestre de Paris répond en effet avec une souplesse impressionnante aux sollicitations de son directeur musical s’avérant précis et onctueux, ce qui tend à donner à cette messe de gloire à la révolution soviétique un tour parfois brucknérien, ce qui n’est pas sans être à l’avantage de cette symphonie, qui est loin d’être un chef-d’œuvre mais qui atteint ici une valeur insoupçonnée.

Bruno Serrou

1) Du 14 au 19 mars, à Ann Arbor (Hill Auditorium, University of Michigan, 14 mars), New York City (Carnegie Hall, 16 mars), Boston (Symphony Hall, 17 mars), et Montréal (Place des Arts, 19 mars)

2) Rappelons que c’est au cours de la première tournée de l'Orchestre de Paris aux Etats-Unis, en 1968, qu’est mort son directeur musical-fondateur Charles Münch, le 6 novembre 1968 à Richmond (Virginie), des suites d’une crise cardiaque 

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