mardi 31 juillet 2018

Marek Janowski, forgeur d'orchestres


Marek Janowski (né en 1939). Photo : DR

Né à Varsovie le 18 février 1939, de père polonais et de mère allemande, Marek Janowski appartient à la fameuse lignée des kappelmeister allemands formés à la dure école de l’opéra. Directeur musical des Opéras de Fribourg-en-Brisgau et Dortmund de 1973 à 1979, puis de l’Orchestre du Gürzenich de Cologne de 1986 à 1990, il est nommé en 1984 à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Il en sera directeur musical jusqu’en 2001. Seule formation française à géométrie variable, l’OPRF a acquis sous sa direction une vraie cohésion qui en a fait une référence au sein de l’Hexagone. Pierre Boulez lui-même pensait ouvertement que l’Orchestre Philharmonique de Radio France était devenu la formation symphonique française la plus homogène. Après avoir été directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Dresde de 2001 à 2004, chef principal de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo de 2000 à 2005, il a occupé la même fonction à l’Orchestre de la Suisse romande de 2005 à 2012, ainsi qu’à l’Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin de 2002 à 2015. Je l’ai interviewé plusieurs fois à Paris, la première lorsque je m’occupais des publications du Théâtre du Châtelet à l’occasion du premier Ring de Wagner complet de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, ainsi qu’à l’occasion d’une tournée avec l’orchestre de Radio France en Espagne, interview publiée dans le magazine musical madrilène Scherzo en avril 1997. C’est cet entretien, au cours duquel le chef germano-polonais évoque le métier de chef, ses relations avec l’art lyrique et le répertoire symphonique, les répertoires baroque, classique, romantique et contemporain, la mise en scène d’opéra, que je reprends ici et que je soumets à votre appréciation, fédèles lecteurs.

Bruno Serrou

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Photo : DR

Bruno Serrou : Musicien allemand, vous êtes né à Varsovie.
Marek Janowski : Je suis en effet fils d'un père polonais et d'une mère allemande de la région de Cologne. Au début de la guerre, elle vivait à Varsovie où je suis né en 1939, et elle est rentrée chez elle à Wuppertal au début de la guerre où je passais ma jeunesse. Ville de plus de quatre cent mille habitants à quarante-cinq kilomètres au nord-est de Cologne. J’y suis allé à l’école, et j’ai terminé mes études à Cologne.

B.S. : Comment vous est venu le goût pour la musique ?
M. J. : Ma mère, comme dans toute famille bourgeoise, m’a mis un instrument entre les mains, c’était pour moi un violon à sept ou huit ans. J’ai commencé avec un professeur amateur. Mais très vite elle m’a confié au violon solo de l’orchestre de la ville de Wuppertal, et un peu plus tard j’ai abordé le piano, en même temps, à neuf ou dix ans, mais les deux instruments dans un genre éducation générale pour un enfant, pas dans un but professionnel. A quinze ans, j’ai fait un peu de contrepoint et de composition. Quand j’ai eu mon baccalauréat, je me suis demandé ce que j’allais faire, hésitant entre musique et mathématiques. J’ai commencé mes études à Cologne en parallèle au Conservatoire d’Etat (Musikhochschule) et à l’université. Mais il m’a fallu faire un choix, en raison d’horaires incompatibles, et je me suis décidé pour la musique, particulièrement pour le métier de chef d’orchestre.

B. S. : Comment avez-vous découvert le métier de musicien ?
M. J. : J’allais régulièrement au concert durant ma jeunesse à Wuppertal,  à l’invitation de mon professeur. L’activité musicale de cet orchestre était pour moi très présente entre mes onze et treize ans, mais ce n’était pas en pensant faire un métier de musicien. J’ai toujours eu une bonne lecture à vue. Quand j’ai commencé vraiment à la Hochschule la lecture de partitions difficiles, j’étais relativement à l’aise pour la réduction pour piano.

B. S. : N'est-il pas aussi question de charisme, d’aisance pour être chef d’orchestre ?
M. J. : On peut avoir envie de faire ce métier, mais il y a tout un aspect qui est lié à ce métier dont on n’a pas idée. Evidemment, un soliste doit avoir un certain charisme, autrement cela ne peut pas vraiment marcher. On ne se rend pas compte que - évidemment pour un chef il y a un côté rayonnant de sa personnalité, c’est aussi d’une certaine importance -, donc le don pour être un organisateur, quelqu’un  qui est à l’aise pour s’imposer à un groupe de cent personnes, pour vivre personnellement la musique, avec deux mille personnes derrière lui, est un sujet dont on ne se rend pas vraiment compte. Du moins pas moi, à cette époque-là. Quand on est jeune, et que l’on a confiance en soi, on pense que cela se fera de toute façon, et l’on découvre, parfois assez tard, qu’il y a quand même pas mal de choses totalement extra-musicales, mais qui sont absolument nécessaires pour un chef d’orchestre, alors que ce n’est pas du tout inclus dans une formation musicale. C’est inné, en quelque sorte, même si l’on peut faire évoluer cela en travaillant, mais il faut d’abord en avoir conscience, et, autour de chaque étape, il faut trouver les moyens d’imposer sa personnalité. En effet, il y a beaucoup de chefs ratés, des inconnus, qui sont de super musiciens, qui ont même un don naturel dans la manière de s’exprimer dans la gestique, mais qui n’ont pas dans leur personnalité la force de dominer un groupe d’adultes, et s’ils ne l’ont pas naturellement - pas d’une façon superficielle ou fabriquée, cela ne sert à rien, les musiciens le sentent tout de suite -, on est perdu, et cela est le dur et amère arbitrage de ce métier. Etre chef, c’est évidemment essentiellement la musique, mais aussi une personnalité qui s’impose naturellement, sans que l’on dise un mot là-dessus, la personnalité au pupitre qui est incontestable et incontestée. Si l’on n’y arrive pas, c’est que l’on n’est pas vraiment fait pour ce métier.

Photo : (c) Klaus Rudolph / Philharmonie Essen

B. S. : Pensez-vous que la direction d’orchestre s’enseigne ? Que vous a apporté le conservatoire ? Si vous n’y aviez pas étudié aurait-ce été différent pour vous ?
M. J. : Cela n’apporte pas grand-chose. C’est pourquoi je refuse catégoriquement de l’enseigner, y compris en master classes ou en cours privés. Je suis parfois sollicité par des jeunes : « Donnez-vous des cours ? », « Accepteriez-vous de dispenser des cours dans un conservatoire ? » Je refuse systématiquement, parce que je suis profondément convaincu que ce qui peut être vraiment appris avec un professeur dans cette matière technique qu’est la direction est très limité et peut s’apprendre très vite. Il suffit d’une journée. Je ne parle pas du goût musical, de l’énorme connaissance musicale très généraliste indispensable pour un chef d’orchestre, à qui il n’est pas seulement nécessaire de connaître tous les chefs-d’œuvre. Il faut également tout connaître des grands compositeurs, de la musique de chambre, de celle pour piano, la musique pour chœur a capella, etc. Il est indispensable d’avoir une connaissance globale de la musique, vaste et approfondie, parce que cela vous conduit à développer votre goût musical. C’est une chose, mais je ne parle pas de ça, il faut énormément apprendre ça dans un conservatoire, si vous participez comme pianiste ou violoniste aux cours de musique de chambre, si vous faites de l’orchestre, etc. Pour ce qui concerne la technique pure de direction d’orchestre, je n’y crois pas. Quelqu’un doit vous transmettre les bases, bien sûr, mais après - ce qui reste aujourd’hui ma conviction profonde pour l’apprentissage de ce métier -, il faut commencer sa vie professionnelle comme un Kappelmeister de base dans une maison d’opéra, et surtout pas par le répertoire symphonique. Le terme Kappelmeister a été un titre honorifique pour les chefs allemands à une certaine époque. Vous ne savez peut-être pas, mais à Munich on a toujours trouvé l’adresse de Richard Strauss à Garmisch-Partenkirchen dans l’annuaire téléphonique, non pas comme compositeur ou musicien, mais sous l’intitulé « Dr Richard Strauss, Kappelmeister ». Et le monde anglo-saxon a transformé ce terme dans une formule descriptive de garçon ennuyeux. Le Kappelmeister est lié à l’opéra, et, en fait, il s’agit de quelqu’un qui maîtrise totalement la technique de ce métier. Ce qui signifie que ce métier peut être techniquement très difficile si vous êtes dans une grande fosse au-dessous d’une scène large et profonde, quand vous avez des chanteurs ou des parties de chœur loin de vous qui n’entendent rien de l’orchestre et qui, de ce fait, ne peuvent suivre que la baguette, l’émission du son leur arrivant depuis la fosse beaucoup trop tard, et pour qu’il chantent sans décalages, le chef doit avoir la technique des bras et les réflexes susceptibles de les éviter, etc. Cela s’explique difficilement avec des mots et s’apprend vraiment en dirigeant, ce qui manque aujourd’hui, même chez la plupart des chefs d’une quarantaine d’années. Tous les grands chefs qui ont aujourd’hui entre soixante-dix et quatre-vingts ans ont eu cette expérience, qui, depuis près de trente ans, se réduit de plus en plus.

B. S. : Est-ce parce qu’il n’y a plus assez de théâtres de répertoire ?
M. J. : Non. C’est parce qu’autrefois il n’y avait pas le disque, ou peu. Il fallait donc apprendre le métier dans le travail avec les chanteurs et avec un orchestre dans la fosse. Aujourd’hui, vous avez les disques chez vous, vous mettez une glace devant vous et vous travaillez sur la plastique de votre gestique. Le grand danger pour les jeunes chefs d’orchestre est qu’ils écoutent beaucoup trop de disques et ne vivent pas la réalité du quotidien d’une fosse d’orchestre.

B. S. : Vous pensez que la fosse est plus importante que l’estrade ?
M. J. : L’orchestre sur un plateau apprend infiniment moins que s’il est dans une fosse. De loin ! Le seul et vrai professeur pour un chef d’orchestre est la fosse d’opéra.

B. S. : Il faut cependant finir par sortir de la fosse !
M. J. : Pas seulement pour la carrière, mais aussi pour l’esprit. Parce que, évidemment, la fosse peut influer dans un mauvais sens avec l’exécution routinière du répertoire lyrique qui peut souiller la justesse de la perception artistique. Il faut donc, une fois la base de la fosse acquise, très vite vivre les deux mondes, et se mesurer aux exigences absolues de la musique symphonique. Mais cela se fait plus vite et plus facilement avec l’expérience de la fosse qu’inversement. On voit, quand on a le métier, tout de suite si quelqu’un s’est développé uniquement dans le répertoire symphonique quand il entre pour la première fois dans la fosse : à partir d’un certain âge, il n’arrive pas à être à l’aise dans la fosse, contrairement à ceux qui ont vraiment la fosse de l’opéra dans le sang. Ces derniers, s’ils sont bons musiciens, arriveront toujours par faire quelque chose de respectable dans le monde symphonique.

Photo : (c) Culturebox

B. S. : Par quelle fosse d’opéra êtes-vous passé ?
M. J. : La toute première a été celle d’Aix-la-Chapelle, Aachen, où Herbert Karajan avait été directeur musical dans sa jeunesse. J’ai commencé comme Chorrepetitor, Chef de chant, pendant la saison 1961-1962. J’avais vingt-deux ans. Mon professeur, M. Wolfgang Sawallisch, m’avait dit à Cologne : « Il n’y a aucun intérêt à ce que tu restes à la Musikhochschule parce que tu n’y apprendras pas grand-chose. Essayes plutôt de trouver quelque place comme assistant dans une petite maison d’opéra. » J’ai ainsi passé un an à Aachen. Puis deux saisons dans le même type de poste à l’Opéra de Cologne. Mon premier poste de Kappelmeister a suivi, à l’Opéra de Düsseldorf, où j’ai progressivement dirigé tous les ballets, les opérettes jusqu’au genre Traviata, Madame Butterfly, le petit répertoire. Je suis ensuite revenu à Cologne pour un poste plus élevé, pendant trois ans. Ma dernière charge de Kappelmeister a été à l’Opéra de Hambourg, entre 1969 et 1973, les grandes dernières années de Rolf Liebermann, qui m’a confié énormément de choses. Ces quatre années hambourgeoises ont été probablement les plus formatrices pour mon métier de chef lyrique. Après, je suis devenu directeur musical de la ville de Fribourg-en-Brisgau en 1973, je suis ensuite monté en devenant Generalmusikdirektor à Dortmund, ville de la Ruhr relativement grande avec un demi-million d’habitants. J’ai renoncé à cette fonction en 1979, pour être libre et développer une carrière de chef symphonique. Il faut dire qu’avec ce genre de poste, on doit assurer tout un ensemble de concerts symphoniques avec l’orchestre de l’Opéra. Même si l’essentiel est le lyrique, il y a par exemple à Freiburg une série de douze concerts d’abonnement par an, comme à Dortmund, dont la moitié est dirigée par le Musikdirektor. C’étaient donc les premières expériences que j’ai faites sur un plateau. Petit à petit, ma carrière internationale a pris de l’ampleur.

B. S. : Quand êtes-vous venu à Paris pour la première fois ?
M. J. : Par hasard. C’était dans mes années de Freiburg, c’est-à-dire entre 1973 et 1975 - 1974, je pense -, à la suite d’une invitation de Prestige de la Musique de Jean Fontaine à Radio France. Au même moment, alors que je devais commencer mes répétitions avec l’Orchestre national de France - je ne parlais pas un mot de français -, Joseph Krips, qui dirigeait une première série de Cosi fan tutte chez Liebermann à l’Opéra de Paris, est tombé malade et Liebermann m’a appelé. Mon premier contact avec Paris s’est donc fait tout de suite avec deux orchestres différents dans la même semaine. Le Cosi a bien marché, puisque j’ai fait toute la série de la saison suivante, et du coup, pendant les années Liebermann, de temps en temps je suis venu à Paris pour diriger plusieurs choses. Puis son successeur, Bernard Lefort, m’a de temps à autres confié des choses. Ensuite, j’ai dirigé Tristan und Isolde à l’époque de Massimo Bogianckino. S’il était resté, j’aurais sûrement continué, parce que, jusqu’à cette époque-là, j’ai entretenu d’excellents rapports avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris, avec lequel j’ai eu plusieurs projets. Mais Bogianckino est parti d’un jour à l’autre pour devenir maire de Florence, et mes liens avec l’Opéra se sont interrompus. La seconde moitié des années soixante-dix, je suis plutôt revenu diriger l’Orchestre National de France dans des opéras en version concert, avant d’être invité pour la première fois par ce qui s’appelait à l’époque le Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France (NOP), en remplacement d’un autre chef, qui a annulé sa venue trois ou quatre mois avant la date d’un concert, en 1981. Ainsi, chaque saison, Radio France m’invitais à diriger un concert de l’un ou de l’autre de ses deux orchestres.

B. S. : Vous qui avez dirigé des orchestres allemands, britanniques, américains, japonais, quelles sont en regard les particularités des orchestres français ?
M. J. : Parlons des aspects positifs. Deux choses, on a toujours dit dans les pays anglo-saxons qu’individuellement les musiciens français sont très forts, mais pour la qualité de l’orchestre, l’homogénéité, etc., ce serait une autre paire de manches... Or, il faut le dire, la France a largement comblé son écart avec les autres pays. Aujourd’hui, en France, des orchestres comme ceux de Bordeaux, Lyon ou Strasbourg sont tout à fait comparables aux orchestres du même type en Allemagne et en Angleterre. Là-dessus, il n’y a plus rien à dire. Evidemment, l’esprit gallo-latin produit quelques fois des choses un peu plus difficiles avec la discipline, le comportement, et il est tout à fait possible de régler ces écarts. On dit toujours les orchestres français indisciplinés. Doucement, je vois les choses ailleurs et ici, si le chef est respecté, s’il a justement cette autorité naturelle - pas déclarée ni affichée mais naturelle -, il n’y a pas de problèmes avec la discipline. C’est un cliché qui est bien soutenu et rependu par quelques-uns qui ont peut-être de mauvaises expériences avec les orchestres parisiens. Je voyage pas mal, je peux donc comparer, j’ai évidemment, je pense, sans vouloir me flatter, beaucoup apporté pour l’évolution artistique de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, et je peux dire que je suis extrêmement content d’être le directeur musical de cet orchestre parce que je sais parfaitement ce qu’il représente en termes de qualité et de compétitivité avec des grands orchestres mondiaux. J’aime l’approche des français à la musique, la finesse du son. Le son fondamental est moins puissant, moins gras, moins imposant que chez les allemands, par exemple. C’est parfois un désavantage dans le répertoire des poids lourds mais c’est aussi un grand avantage dans un répertoire qui se situe entre Schubert et Schumann, le premier romantisme, dans le répertoire allemand. A mon goût musical, il arrive que les très bons orchestres allemands approchent ce répertoire d’une façon beaucoup trop pesante et agressive. Mais je constate aussi, avec le Philharmonique, que si l’on travaille sur la seconde période du romantisme allemand, les poids lourds, le Philharmonique - je ne peux là juger l’Orchestre de l’Opéra ou le National, mais je sais trancher pour ce qui concerne le Philharmonique -, si le chef a une vraie conception d’une symphonie de Brahms, le Philharmonique sonne comme un orchestre allemand. Il est donc possible d’obtenir ce que l’on souhaite.

B. S. : Des gens le disent, mais il y en a d’autres qui ne le souhaitent pas, parce que ce qui peut passer pour une qualité est considéré par d’autres comme un défaut.
M. J. : C’est grotesque. Ce serait un défaut si l’on disait que le Philharmonique ne sait pas jouer la musique française, qu’il ne sait jouer que la musique allemande. Là, c’est vrai, je serais complètement à côté de la plaque. Le Philharmonique est brillant dans un certain répertoire français, on cède la première place pour le répertoire français à l’Orchestre National de France, parce qu’il faut une certaine répartition des points forts dans la maison, puisqu’il y a quand même deux formations à la radio, mais le Philharmonique joue fort bien la musique française, et il joue - et là je sais bien ce dont je parle -, d’une manière ab-so-lu-ment extraordinaire la musique contemporaine. Les musiciens du Philharmonique sont à l’aise avec la création d’une façon incroyable. En France, il n’y a pas d’orchestre comparable, et si je fais la comparaison avec les orchestres de radio dans le monde pour ce qui concerne cette tradition contemporaine en Allemagne, le Südwestfunk ou le Westdeutscherundfunk de Cologne par exemple, le Philharmonique leur est largement supérieur. En outre, les musiciens du Philharmonique, il faut bien le dire aussi, sont peut-être plus à l’aise dans un certain répertoire allemand que les autres orchestres parisiens. Entendre dire que c’est un défaut me fait sourire. Quand j’ai commencé avec eux, j’ai vu la tâche considérable qui se présentait à nous. J’avais quarante-cinq ans, et c’était l’âge pour moi de tenter l’expérience, et j’ai vu là un grand potentiel des instrumentistes individuellement, mais pas, je l’avoue, un grand orchestre. Mais la tâche m’a intéressé. « Seras-tu capable de faire quelque chose avec eux ? », me demandai-je. Et pendant toute la première année, en 1984, je ne m’en cache devant personne, j’ai plusieurs fois pensé « Tu vas essayer un an, un an et demi, et si les choses continuent ainsi, tu vas arrêter. » Les premiers mois, et presque toute la première année ont été très difficiles. Aussi dans le sens de la discipline, l’orchestre n’avait aucun repère d’orientation, ni artistique ni humaine, c’était un peu n’importe quoi. A l’automne 1984, j’étais presque déterminé à arrêter l’expérience. Et vers la fin de 1984, j’ai eu des premiers retours qui m’ont permis de me dire : « C’est quand même possible. » Constatant cela, je me suis décidé : « Tu ne vas pas essayer de former cet orchestre avec le répertoire français ou un répertoire contemporain, mais avec la pureté de la musique la plus difficile, Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, etc. Evidemment, on a eu au cours des premières années 1985-1987, un petit échec, on est remonté un peu plus haut, puis redescendu un peu, etc. Une évolution humaine, qui monte un peu, plafonne, s’arrête, remonte, se fait par paliers. Evidemment, au moment où on le vit, parfois comme un échec, on se pose des questions, et la Tétralogie de Wagner en 1986 a pour la première fois montré à tout le monde à Paris et au sein même de l’orchestre, que l’on pouvait vraiment construire quelque chose de solide. Je pense à la vraie évolution vers le niveau qu’a désormais atteint le Philharmonique. Je ne dirai jamais, ni officieusement ni officiellement ni en tête à tête « le Philharmonique est le meilleur orchestre de Paris ». Beaucoup de gens le disent ; pas moi. La seule chose que je puisse dire à Paris et en beaucoup d’autres endroits importants en Europe, « le Philharmonique n’a rien à craindre ». On peut toujours mieux, c’est clair, et je pense que chez la plupart des gens qui participent au Philharmonique, il y a cette conviction, cet engagement de toujours faire mieux. Nous avons vraiment eu la chance ces cinq dernières années - parce qu’à la suite d’un recrutement, d’un concours, voire d’un stage, si l’on décide que la personne est titularisée, on ne sait jamais après deux ou trois ans quelle sera l’évolution des jeunes recrues - de recruter une nouvelle génération de musiciens qui, non seulement dans le jeu individuel mais aussi dans l’esprit qui règne au sein du Philharmonique, se sont tout de suite adaptés. Parce que les gens de mon âge, ou plus âgés que moi, qui ont vécu un passé extrêmement désagréable de l’Orchestre Philharmonique dans les années 1970, se souviennent de cette expérience et font aujourd’hui la comparaison : pour eux, il est normal d’être fier de la situation actuelle, tandis que les plus jeunes chefs se fichent de ce qu’ont connu leurs aînés. Ils n’ont rien vécu, mais grâce à l’atmosphère humaine qui règne dans cet orchestre, ils se comportent devant les musiciens de la même manière que les plus anciens.

B. S. : C’est dire combien le Philharmonique a acquis une personnalité réelle. Un jeune qui arrive au Philharmonique de Berlin acquiert sans temps mort l’esprit de cet orchestre.
M. J. : Cela veut en effet dire que le Philharmonique est fort. L’aspect positif de cet orchestre est l’esprit des gens qui y travaillent. A quatre vingt dix neuf pour cent de l’orchestre, les gens sont conscients de leurs responsabilités vis à vis de la collectivité et du public français, via les ondes, et du public parisien dans les salles de concerts. Il y a donc là une certaine honnêteté professionnelle que l’on ne trouve pas partout.

Marek Janowski à Bayreuth en 2016. Photo : DR

B. S. : Combien de musiciens l’Orchestre Philharmonique de Radio France compte-t-il actuellement ?
M. J. : Cent trente neuf. L’orchestre n’est pas encore très bien équilibré, je tiens aussi à le dire. La tâche et le devoir de jouer en géométrie variable est maintenant quelque chose de facile pour nous, mais, pour moi au début, pour constituer la base d’une cohésion, la géométrie variable ne m’a pas beaucoup aidé, vous pouvez l’imaginer. Mais maintenant ce n’est plus un obstacle à la qualité.

B. S. : Comment fonctionne cette variation entre la géométrie variable et la formation complète ?
M. J. : Il y a très souvent au cours de la saison deux activités parallèles, ou même si l’on a vraiment besoin d’une importante formation, on a également la possibilité d’une petite formation en même temps.

B. S. : Je pense que ce ne sont pas toujours les mêmes musiciens qui se trouvent dans les divers effectifs et répertoires…
M. J. : Les musiciens tournent, bien sûr. Cela en fonction du compte des heures. Ce qui a toujours été le cas, avant même mon arrivée, au moment de l’éclatement de l’ORTF en 1974. On a mis plusieurs orchestres ensemble, un ancien Philharmonique, le Lyrique et un Orchestre de Chambre. Il ne fallait licencier personne. On a donc mis tout le monde ensemble, et par le jeu des retraites, on a un peu réduit les effectifs, et l’on a fait de quelque chose de difficile quelque chose de positif. Mais pour améliorer la qualité de l’orchestre, la géométrie variable n’a pas été d’un grand secours. Maintenant on se débrouille facilement.

B. S. : Est-ce même favorable ?
M. J. : ... Ça l’est presque... Et ce n’est pas une réponse tactique de ma part... Maintenant c’est presque favorable, parce qu’avec cette variété de répertoire qui appartient désormais au Philharmonique et avec cette virtuosité dans la musique contemporaine, cette situation est devenue plus positive que négative.

B. S. : Cela favorise le déchiffrage mais donne aussi une certaine aisance dans le travail du son, du timbre.
M. J. : Absolument. Sur le plan de la sonorité, je ne connais aucun orchestre plus flexible que le Philharmonique. Je pense aux grands orchestres allemands. Cela lui permet de s’adapter à toutes sortes de répertoires, de l’italien à l’allemand, autant qu’à la modernité, à la transparence d’Anton Webern.

B. S. : Dirigez-vous la musique contemporaine ?
M. J. : Les gens pensent que je fais toujours Wagner, Brahms ou [Richard] Strauss. Or, ce n’est pas le cas. Je participe aussi à la vie musicale contemporaine de cet orchestre à laquelle je consacre un ou deux programmes. Mais je ne suis pas un spécialiste.

B. S. : Les chefs invités, est-ce vous qui les sélectionnez ?
M. J. : Je donne évidemment mon accord, et nous essayons toujours d’avoir des chefs importants. Et mieux un chef est, plus il est le bienvenu pour mon orchestre et pour moi. Il faut quand même dire que l’Orchestre National de France, qui a une plus longue et véritable histoire, à l’instar de l’Orchestre de Paris, qui, rappelons-le, est l’héritier de l’Orchestre de la Société du Conservatoire, le Philharmonique a de ce point de vue du retard à rattraper, et lorsque l’on dit soudain et facilement qu’un orchestre qui n’a eu aucune réputation, « voilà un orchestre de grande qualité », les bons chefs vont tout de suite venir. Or, ce n’est pas le cas. Il faut beaucoup de souffle, beaucoup de patience, mais petit à petit cette situation s’améliore. Et si tel ou tel chef s’impose parmi les noms les plus cités, et si j’ai des échos plutôt défavorables dans l’orchestre, c’est à moi de décider que le chef en question ne viendra plus jamais.

B. S. : Il vaut mieux confier l’orchestre à un bon chef plutôt que de risquer de l’abîmer…
M. J. : Bien évidemment. C’est toujours le problème de la musique contemporaine, parce qu’il faut le reconnaître, il y a peu de grands chefs qui se consacrent presque exclusivement à ce répertoire. C’est plutôt un groupe de gens qui ne réussissent pas dans le grand répertoire qui se jettent sur la musique contemporaine, quelques fois avec pas mal de faiblesses. Il faut quand même dire, quand je fais la comparaison avec le cadre des chefs qui reviennent régulièrement pour nos concerts Salle Pleyel et que je compare avec la situation d’il y a six ou huit ans, on commence à pas mal s’améliorer concernant les chefs. Je suis très content.

B. S. : Le Philharmonique touche-t-il au répertoire baroque et classique ?
M. J. : Je ne commenterai pas une approche de Haydn, Mozart ou même Beethoven façon Harnoncourt ou Herreweghe. Cela a sa place, et si l’on peut avoir l’une ou l’autre fois un chef invité de leur envergure, nous leur laisserons toute latitude pour qu’ils essayent aussi d’appliquer ce style à mon orchestre. Mais nous jouons, moi et d’autres chefs, Haydn et Mozart comme nous pensons devoir le faire. La musique baroque est un peu autre chose. Personnellement, j’ai une énorme admiration pour [Jean-Sébastien] Bach, mais pour des raisons difficiles à expliquer, je n’ai jamais dirigé l’une de ses Passions, ni en Allemagne ni ailleurs. J’ai fait évidemment les Brandebourgeois ou l’une des Suites. Avec le Philharmonique, je n’en ai jamais fait, mais c’est dû au hasard. Le côté baroque, je le mets pour moi-même de côté. Mais le Philharmonique a joué sous la direction de Michel Corboz la Passion selon saint Matthieu de Bach. Mes choix artistiques personnels, je ne les applique pas aux choix que je fais pour le Philharmonique. Quand j’ai confiance et que je respecte des chefs comme Corboz, qui n’applique pas la manière baroque mais qui a sa vision et sa conception de Bach, il est le bienvenu.

B. S. : Pourquoi n’avez-vous jamais touché aux Passions ? Est-ce pour les mêmes raisons que Furtwängler, qui n’a jamais dirigé la Missa Solemnis de Beethoven par respect ?
M. J. : Wilhelm Furtwängler avait peut-être à l’égard de la Solemnis un trop grand respect, mais peut-être pour son être profond n’a-t-il pas trouvé la porte pour la pénétrer. Peut-être dans ce contexte, je n’ai pas moi-même trouvé la porte pour les Passions. J’ai été une fois près de prendre la décision de diriger la Messe en si mineur... Peut-être la ferais-je un jour. Mais je ne me sens pas prêt intérieurement... Ce n’est pas une question de maturité, mais un problème de spiritualité. Je ne suis pas encore assez proche de ces œuvres pour les faire. Je crains le contresens. C’est le message spirituel, pas l’histoire qui est racontée dans les Passions. Et cette portée spirituelle m’intimide. Musicalement, c’est magnifique.


B. S. : Lorsque nous avions parlé de Rheingold au moment où vous lanciez le premier Ring de Wagner avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France au Théâtre du Châtelet, vous aviez comparé le personnage de Loge à l’Evangéliste des Passions de Bach. Ces Passions sont donc quelque chose qui vous préoccupe, puisque vous les percevez dans une œuvre de Wagner.
M. J. : C’est presque une confession, je ne suis pas du tout à l’écart, ni spirituellement ni dans ma perception de la vie quotidienne, de la chose religieuse.

B. S. : Vous avez mis personnellement un frein à l’opéra. Que s’est-il passé ?
M. J. : En deux mots. L’évolution de la mode de la mise en scène dans les dix dernières années ne m’est plus supportable. Et ce n’est pas seulement dans le contexte de la mauvaise interprétation de l’essence d’une œuvre, ce n’est pas le seul problème, c’est aussi le fait que pour un effet visuel, qui est hors contexte dans la conception de l’œuvre mais dans le but de « faire » une image pour un tableau, consacrer ou abandonner le principal que sont la musique et l’acoustique, par exemple. Je viens de passer le mois de décembre au Lyric Opera de Chicago. Pour une fois, après de nombreuses années, j’y ai dirigé une Flûte enchantée, et je l’ai reprise en janvier. Mise en scène plus ou moins moderniste mais classique, rien à reprocher dans le fonds. Dans le second acte, on a le magnifique chœur des prêtres Und Isis und Osiris. Il faut pour cela atteindre un certain volume, une certaine sonorité de ce chœur d’hommes non pas polyphonique mais très homophone et compact. Le metteur en scène n’a pas voulu que les choristes soient immédiatement en face du chef pour chanter, alors que c’est là que l’acoustique est idéale. Il fait entrer les chœurs côté cour, loin, à trente mètres au fond de la scène et croisant la scène en diagonale pour terminer les dernières phrases en coulisse côté jardin. C’est visuellement très joli. Mais question musique, mieux vaudrait ne pas la jouer. C’est un petit détail, car c’est encore supportable. Mais cela se produit partout. Le théâtre musical est le grand mot, maintenant. Je peux vous dire qu’à cause de l’existence du « Musiktheater », j’ai abandonné l’opéra. Parce que si l’on met vraiment l’essentiel de la musique au second plan, alors il faut faire du théâtre, pas de l’opéra. Cette histoire a débuté en Allemagne au milieu des années 1970, et a été petit à petit appliquée ailleurs par les intellectuels et les pseudo-intellectuels. Ce sont toujours les liens entre les metteurs en scène extrêmement intellectuels et philosophiques, et les relations de la culture sur le papier dans le quotidien. Voilà encore dix ans, on pensait que ce serait passager, que cela allait disparaître peu à peu, mais cela ne s’est pas fait.

B. S. : Quelqu’un comme Rolf Liebermann ne serait-il pas plus ou moins responsable de cette situation ?
M. J. : Et comment ! Mais quand je travaillais à Hambourg avec Liebermann, j’étais encore très jeune, j’avais beaucoup à apprendre. Mais petit à petit, avec une connaissance de la musique de plus en plus approfondie, je me suis rendu compte du danger. Et avec la Flûte à Chicago, je prends conscience du fait que ce n’est plus mon monde. Je fais le répertoire lyrique en version concert, et quand je suis à la maison, à Munich, je dirige de temps en temps quelque chose à l’Opéra pour entraîner mes réflexes. Au printemps de cette année, je fais par exemple trois représentations d’Ariadne auf Naxos de Strauss à Munich, en septembre 1999 pour le cinquantième anniversaire de la mort du compositeur bavarois, l’Opéra de Munich consacre une semaine entière à ses opéras à laquelle je participerai. Mais on ne peut pas dire que cela fait un emploi lyrique.

B. S. : En 1986, vous me disiez que vous souhaitiez prendre un peu de recul par rapport à l’œuvre de Strauss, à laquelle vous aviez pourtant consacré l’un de vos premiers enregistrements avec la première version officielle discographique de Die schweigsame Frau [La Femme silencieuse].
M. J. : J’y suis revenu. Il faut rappeler que - et Strauss serait le dernier à ne pas être d’accord avec moi, car s’il a toujours pensé être un grand compositeur il a aussi relativisé sa place -, si l’on met la barre au niveau de Mozart, Beethoven et même Wagner, Strauss a toujours estimé ne pas être au même niveau. C’est vrai. Il y a chez lui quelques chefs-d’œuvre absolus, mais il y a aussi pas mal de choses où l’on voit clairement une plume de Strauss qui glisse dans la facilité ou l’inspiration est moindre que chez les très grands. Et, peut-être, quand on a dirigé beaucoup de Strauss comme je l’ai fait dans les années 1970 et au début des années 1980, on est un peu épuisé par cette musique et l’on prend un certain recul pour revenir de temps en temps dessus, pour le plaisir. L’écriture orchestrale et vocale de Strauss est toujours fantastique. Le deuxième acte de Frau ohne Schatten [La Femme sans ombre] est le sommet de la création straussienne.


B. S. : Croyez-vous en l’avenir de l’orchestre symphonique, ou va-t-il devenir un musée ?
M. J. : Je me pose très souvent la question. Il faut admettre que l’évolution de la musique, la création musicale, la créativité des compositeurs, a engendré une énorme masse d’œuvres dans les cinquante dernières années. Mais très peu de choses ont séduit un large public. Le même phénomène régit la première moitié de notre siècle, où l’on a quelques œuvres de Bartók, de Stravinski, même des années 1930-1940, qui ont vraiment conquis le grand public, et quelques autres, sans parler de Ravel. Mais si l’on parle des œuvres créées dans les années 1950-1960, Stravinski inclus, 1970-1980, il y a des milliers de partitions, et presque rien n’a vraiment décollé. Je ne veux pas dire que c’est seulement de la responsabilité des compositeurs, cela peut aussi être dû à un énorme retard du public. Mais c’est un fait, et il en est partout ainsi, à Londres, à Vienne, à Berlin, à Munich... Avec les œuvres contemporaines, Paris est pareil, les salles, comme le Studio 104 de Radio France, ne sont pas pleines, avec deux cents à quatre cents personnes, pas plus. Et toujours les mêmes. Si la popularité de la musique se nourrit exclusivement des œuvres du passé, il faut se poser des questions, en effet. C’est peut-être une énorme vague de manque d’imagination qui saisit l’esprit, l’âme, le sentiment de l’amateur de musique, des mélomanes, où faut-il vraiment convenir que le matériau musical d’aujourd’hui ne peut plus vraiment toucher non seulement le cerveau, comme c’est le cas, mais aussi le cœur de l’auditeur. Le matériau est-il épuisé ? Je ne le sais pas, mais il faut évidemment, considérant les cinquante dernières années de notre évolution musicale, admettre que la musique, en tant que phénomène culturel, soit l’opéra, soit le symphonique, est moins au centre de la perception d’une culture générale qu’il y a un demi-siècle. Ce qui n’a rien à voir avec le fait que l’aspect publicitaire pour le même produit est mille fois plus gonflé qu’il y a cinquante ans. L’essentiel de la culture musicale est moins au centre d’une définition générale de la culture qu’à l’époque, pour ne pas dire quatre-vingt ou cent ans en arrière. Si cette tendance continue, la musique sera encore plus à côté de l’essentiel de la culture – évidemment, on peut maintenant parler pendant deux heures sur la définition de « ce qui est culturel ».

B. S. : Et qu’est-ce qui est musique ?!
M. J. : Absolument ! On peut dire que l’ordinateur est aussi une part de la culture de notre civilisation. Mais dans la perception de la culture, au sens historique, la poésie, la peinture, la musique, la philosophie, les sciences mathématiques, la physique, l’astronomie, etc., ce qui fait la culture des peuples, des civilisations, si la musique continue à ne pas pouvoir être de nouveau un produit qui touche l’être humain, je me pose pas mal de questions. J’espère ne pas être trop pessimiste, mais je réfléchis beaucoup.

B. S. : Que pensez-vous de compositeurs comme Witold Lutoslawski, mort voilà deux ou trois ans, qui ont su toucher un public relativement large ?
M. J. : Il y en a d’autres. Ma conviction, peut-être les seuls deux compositeurs - mais ils sont déjà morts -, qui ont vraiment le potentiel pour attirer dans cinquante ans le public mélomane, ce sont Olivier Messiaen et Witold Lutoslawski. Un peu moins Hans Werner Henze. Mais cela ne fait pas une culture musicale. La musique est à la fois quelque chose de spirituel et de sensuel, peut-être plus sensuel que la poésie ou la peinture.

Recueilli par Bruno Serrou, Paris mars 1997


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