lundi 19 février 2018

Le piano de Richard Strauss

Richard Strauss (1864-1949) devant son piano dans sa maison de Garmisch-Partenkirchen. Sur le pupitre, la partition de Parsifal de Richard Wagner qu'il a dirigé au Festival de Bayreuth 1933. Photo : (c) Richard Strauss Archiv

Epris de littérature et de théâtre, orchestrateur sans pareils, Richard Strauss composa peu pour le piano, le dédaignant même après ses vingt ans, à l’exception notable de sa création la plus personnelle, le lied. Pour Strauss, chef d’orchestre de renom, violoniste de formation, familier du cor dont son père était un virtuose de renommée internationale, le piano sera pourtant le compagnon de sa vie.

Strauss en posséda plusieurs, ses modèles de prédilection restant cependant les pianos à queue Blüthner dont il reçut son premier exemplaire dès 1874. La première pièce qu’il dédia à cet instrument qu’il commença à étudier sérieusement dès l’âge de quatre ans est une Schneiderpolka (Polka du Tailleur), qu’il composa à moins de six ans, en 1870. Conçue avant même qu’il n’aille à l’école, cette pièce d’environ deux minutes, écrite dans la tonalité de mi majeur, compte trois parties (Introduction lente, Polka allegro et Trio). Ne pouvant la transcrire lui-même sur le papier, il en confia la rédaction à son père, comme le révèle la note de sa mère portée au bas du manuscrit...

Quelques mois plus tard, pour les fêtes de Noël 1870, il signe son premier lied, un Weihnachtlied, dont il « représente » les notes plus qu’il ne les écrit. Durant toute son enfance, il enchaîne lieder et pièces pour ou avec piano pour le cercle familial et les concerts privés donnés au cours de séances de Hausmusik (musique domestique) organisées par ses parents dans lesquelles il aime à se produire en soliste, le moins possible cependant : « Je demeurai un mauvais élève, se souvenait Strauss, vu que les indispensables exercices ne m’ont jamais vraiment amusé. En revanche, je déchiffrai volontiers, car je pouvais ainsi étudier quantité de partitions. C’est pourquoi je n’ai jamais eu de véritable technique (surtout à la main gauche). Mais j’étais un bon accompagnateur de mélodies, et l’on me donnait la réputation d’avoir un bon toucher. Par ailleurs, dans la musique de chambre, mon jeu était correct. Confrontés aux œuvres plus exigeantes de Chopin et de Liszt, mes doigts malhabiles n’en pouvaient mais. »

Richard Strauss au piano en 1902. Photo : (c) Richard Strauss Archiv

Mais dès cette époque, le génial orchestrateur en devenir transcrit pour orchestre la moindre de ses pages pour piano, jusqu’à son incunable Schneiderpolka. Parmi la cinquantaine d’œuvres pour piano seul laissées par Richard Strauss, toutes écrites dans sa jeunesse, citons Cinq Petites Pièces (1873), huit Sonatines (1873-1874), deux Sonates (1877-1879), Douze Variations (1878), un Scherzo en si mineur (1879), un Feuillet d’album (1882), des marches militaires... S’ajoute à ce cursus la flamboyante Burleske pour piano et orchestre composée en 1886 pour Hans von Bülow et créée quatre ans plus tard par Eugen d’Albert. Mais cet ensemble de pages pour piano auquel Strauss concède une existence officielle est des plus réduit : trois numéros d’opus ! Cinq Klavierstücke op. 3 (1881), la Sonate en si mineur op. 5 (1881) et les cinq pièces du Stimmungsbilder op. 9 (1881-1883)[1]. De la main d’un musicien de dix-sept ans, le premier opus fut dûment transmis à Bülow, excellent pianiste et chef d’orchestre génial que Strauss essayait alors de séduire, et qui allait bientôt prendre son cadet sous son aile, malgré l’opinion défavorable qu’il exprima à la réception de ce premier envoi : « Elles manquent de maturité, estimera le maître, et, en même temps elles montrent une habileté bien au-dessus de l’âge du compositeur. Je n’y trouve aucune jeunesse d’invention. Je suis absolument convaincu qu’il n’y a là aucun génie, tout au plus du talent, dont soixante pour cent vont à l’effet de l’extérieur. » Ce premier cahier en effet est davantage d’un admirateur de Mendelssohn et de Schumann que de l’apôtre de Wagner que Strauss allait bientôt devenir, et manque singulièrement d’originalité, au point qu’il est impossible d’y percevoir l’avenir. Des quatre mouvements de la Sonate, seul le finale est à retenir, un Allegretto vivo dont la fébrilité juvénile fait oublier la convention.

Les Stimmungsbilder (Evocations) sont en revanche une authentique réussite. Véritable chef-d’œuvre pianistique de Strauss, ce recueil fait regretter que son auteur n’ait pas voulu persévérer dans la création pour piano seul. En effet, dans ce petit cycle entrepris à Munich en 1881 et achevé à Berlin deux ans plus tard, Strauss restitue une suite de fugaces atmosphères naturalistes et sentimentales que suggèrent les sous-titre de chacun des cinq morceaux : Andante (Sur le sentier tranquille de la forêt) ; Lento (Près de la source solitaire) ; Allegretto (Intermezzo) ; Andantino (Rêverie) ; Lento ma non troppo (Dans les bruyères). S’il ne renonce à aucune influence (Mendelssohn, Schumann, Brahms...), le jeune Strauss, dans un discours fluide et un raffinement de sonorités qui allaient embraser son œuvre entier, prend ici ses distances avec ses modèles.

Mais, en dépit de ce fructueux essai, c’est dans l’accompagnement de deux cent quatre vingt dix huit lieder que s’impose le piano de Strauss, qui, comme interprète, aimait à improviser dans ses récitals de mélodies cadences et ornementations, au grand dam de ses cantatrices préférées, notamment de sa femme, la soprano Pauline de Ahna.

Bruno Serrou     




[1] Ces trois partitions ont été publiées aux Editions Aibl, fonds racheté par la suite par Universal Edition

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