mardi 13 février 2018

Le Paradis moscovite de Dimitri Chostakovitch par Opéra Louise au Théâtre de l’Athénée

Paris. Théâtre de l’Athénée - Louis Jouvet. Samedi 9 février 2019

Dimitri Chostakovitch (1901-1975), Moscou Paradis. Photo : (c) Théâtre de l'Athénée

Sous le titre Moscou Paradis, le Théâtre de l’Athénée présente une opérette de Dimitri Chostakovitch, Moscou, Tcheriomouchki, qui plonge avec truculence dans le Moscou des années Khrouchtchev.

Dimitri Chostakovitch (1901-1975), Moscou Paradis. Photo : (c) Opéra Louise

L’on sait combien Dimitri Chostakovitch (1901-1975) eut maille à partir avec Joseph Staline et ses sbires. Aussi, le vent de liberté qui semblait poindre avec l’arrivée de Nikita Khrouchtchev à la tête du Parti communiste soviétique, aurait pu donner des ailes au compositeur. Or, malgré un décret de réhabilitation en sa faveur en 1958, ce fut au contraire pour lui le début d’une crise créatrice qui allait perdurer jusqu’au début des années 1960. Chostakovitch écrira d’ailleurs à propos de son Moscou, Tcheriomouchki (Moscou, Quartier des cerises) : « Je meurs de honte… C’est ennuyeux, sans talent, stupide… »

Dimitri Chostakovitch (1901-1975), Moscou Paradis. Photo : (c) Opéra Louise

Composée en 1958-1959 sur un livret de Vladimir Mass et Mikhaïl Chervinsky, cette opérette en trois actes, qui attendra quarante-cinq ans après sa création à Moscou avant d’être montée pour la première fois en France en 2004, à l’Opéra de Lyon, est pourtant une pièce souriante, bien structurée, pleine de mélodies plaisantes souvent inspirées de la tradition populaire russe, bien qu’il s’agisse d’une œuvre de circonstance à la gloire du nouveau régime instauré par Khrouchtchev en réaction au stalinisme. L’on retrouve également dans la partition la fascination de Chostakovitch pour le jazz et la valse.

Dimitri Chostakovitch (1901-1975), Moscou Paradis. Photo : (c) Opéra Louise

Au tournant des années 1950-1960, Moscou se transforme à la fois sur les plans architectural et social, grâce à un programme de logements sans précédent. Nombre de Moscovites vivaient jusqu’alors dans des conditions précaires, dans de vieux immeubles insalubres où plusieurs familles étaient entassées dans un même logement. L’édification de vastes cités dortoirs représentait alors un horizon ressenti comme enviable, avec des appartements individuels plus vastes. Néanmoins, Chostakovitch n’oublie pas d’évoquer le corolaire de ces mutations, les passe-droits, les fonctionnaires corrompus, une administration dictatoriale clairement injuste, les « bons couples » bénéficiant de la politique sociale du régime, les « méchants » fonctionnaires essayant de profiter de leur position au sein de la nomenclature pour en tirer de multiples avantages sur le dos des sans grades. Mais, dans l’opérette, l’amour finit par triompher de tout par l’entremise d’un jardin enchanté. Rappelons qu’à la même époque Leonard Bernstein composait West Side Story, œuvre qui a connu un sort bien plus enviable que Moscou, Tcheriomouchki, malgré une adaptation réalisée pour le cinéma par Gerbert Rappaport.

Dimitri Chostakovitch (1901-1975), Moscou Paradis. Photo : (c) Opéra Louise

La version proposée par Opéra Louise et présentée Théâtre de l’Athénée de l’œuvre complète, chantée en russe avec les dialogues en français, se fonde sur une orchestration bien moins fournie que l’original mais remarquablement réalisée par Gerard McBurney pour deux pianos et deux percussionnistes - formation de la Sonate de Béla Bartók -, qui met en exergue l’influence du jazz, le côté étincelant, dansant et sensible de la partition de Chostakovitch. Dirigés avec énergie et adresse par Jérôme Kuhn, dans une mise en scène onirique de Julien Chavaz, la troupe de chanteurs comédiens est particulièrement en phase avec cette œuvre diverse, allègre et rythmée. Au sein de cette troupe homogène et de qualité, citons les séduisantes Sheva Tehoval, Sereina Perrenoud, Cassandre Stornetta, Nina van Essen, et leurs comparses colorés William Berger, Sergiu Saplacan, Alexandre Diakoff, ainsi que les comédiens Jean-Pierre Gros et Steven Beard en concierge égaré mais omniprésent. 

Bruno Serrou

Jusqu’au 16/02. Rés. : 01.53.05.19.19. www.athenee-theatre.com

Compte-rendu paru dans le quotidien La Croix daté mardi 13 février 2018

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