lundi 16 février 2015

L’Orchestre de Paris a célébré l’amour à la saint Valentin avec un programme exigeant et peu couru mais qui a conquis une Philharmonie 1 remplie à ras-bord

Paris, Philharmonie de Paris, samedi 14 février 2015

Fabien Gabel. Photo : DR

Les promoteurs de la Philharmonie pourraient bien être sur le point de gagner leur pari. En effet, en ce samedi de saint Valentin, nombreux étaient les promeneurs à arpenter non seulement les abords mais aussi les couloirs de la grande salle de concerts du Parc de La Villette. Au rez-de-chaussée, le bar était fermé bien à tort, tant la foule se pressait à l’entrée, déambulant dans tous les accès ouverts au public, jusque dans les espaces pédagogiques, comme si elle était en train de faire le lieu sien, ce qui est plutôt de bon augure. Les escalators étaient en panne, sans doute à cause d’une fréquentation excessive, les visiteurs se bousculant sur la terrasse pour contempler le parc de La Villette et jusqu'au Sacré-Cœur, tandis que les curieux cherchaient à s’imprégner de l’atmosphère du hall d’accueil. Couples avec ou sans enfants, jeunes et moins jeunes manifestent leur enthousiasme par de grands cris admiratifs, et si certains constatent les travaux qu’il reste à faire, la grande majorité reconnaît que le lieu est magique.

Plafond de la Philharmonie. Photo : (c) Bruno Serrou

Il faut dire que les activités proposées par la Philharmonie sont nombreuses, le samedi de 11h à 23h. Et il y en a pour tous les goûts, pour tous les âges et pour tous les publics, de la pédagogie au concert en passant par la pratique amateur, même si la plupart des activités sont centrées sur une thématique journalière. Ainsi, le 14 février a naturellement été consacré à la célébration des amours. L’Orchestre de Paris, qui est l'acteur central de la vie de la Philharmonie, déploie son activité plus encore qu’il le faisait Salle Pleyel, présentant le samedi des programmes dans la continuité de ceux des concerts de la semaine, et ne se limite plus aux seuls concerts en familles. Un premier témoignage de cette amplification de la voilure auquel j’ai assisté, le concert de l’après-midi de la saint Valentin, affiché à 19h au lieu de 20h30 en semaine. Un horaire bien plus adapté que les autres soirs - même si 19h est évidemment trop tôt en semaine -, considérant le fait que le public met plus de temps à la Philharmonie qu’à Pleyel pour atteindre son siège en début de concert et au terme de l’entracte, ce qui, de ce fait-même, fait que la majorité des soirées commence non pas à 20h30 mais à 20h45 et les entractes durent non pas vingt minutes mais près d’une demi-heure… Ce qui, au total, allonge les soirées de concert de plus d’une heure par rapport à celles de Pleyel (23h20/23h40 au lieu 22h15/22h35).

Orchestre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Quoi qu’il en soit, le saint patron des amoureux a suscité de la part de l’Orchestre de Paris un programme aussi dense qu’original autour de la figure de Richard Wagner, des pages de ce ouvrant et fermant le programme, tandis que deux de ses héritiers directs, Richard Strauss et Claude Debussy, ont occupé la place centrale. C’est Das Liebesverbot, oder die Novize von Palermo (la Défense d’aimer, ou la Novice de Palerme), opéra de jeunesse de Wagner qui a ouvert la soirée. Cet ouvrage de cinq heures en deux actes adapté en 1834 de Mesure pour Mesure de Shakespeare par le compositeur créé à Magdebourg en 1836 ne figure pas parmi les dix opéras retenus par le Festival de Bayreuth, à l’instar des Fées (1833-1834) et de Rienzi (1837-1840). Le sujet, qui se déroule durant le Carnaval, associe à la gravité du contexte, la peine de mort, le comique, puisque le condamné est sauvé par la ruse après avoir été menacé de mort pour avoir outrepassé une interdiction d’aimer promulguée par un gouverneur hypocrite, ce qui engendre naturellement une série d’imbroglios. Bien que placé sous l’influence de l’opéra italien et français, mais aussi et surtout de Weber, et qu’il s’agisse d’un opéra de nature comique l’on décèle déjà des bribes de couleurs, d’atmosphères et de déploiement du matériau thématique propres à l’univers wagnérien de la maturité. Le tout est bien sûr concentré dans l’ouverture, avec ses contrastes de pétulance festive, de noirceur, de désir et de passion, avec force castagnettes et triangle. Ce hors d’œuvre de pétulance et de festivité a mis le public en appétit en flattant ses oreilles par des sonorités jubilatoires émanant de pages méconnues parce que très rarement programmées. Le plat de résistance de la soirée a suivi cette courte page, après de courts applaudissements (le public ne sera guère démonstratif tout au long du concert).

Antonio Meneses. Photo : DR

Ample partition à l’écriture dense, virtuose et à l’orchestration extraordinairement foisonnante, premier volet du diptyque Held und Welt (Héros et Monde), le second étant Ein Heldenleben op. 40 (Une Vie de Héros), le trop rare poème symphonique Don Quixotte op. 35 (1897) sous-titré « (Introduzione, Tema con Variazioni e Finale) Variations fantastiques sur un thème à caractère chevaleresque pour grand orchestre », variations qui, au nombre de dix, content en autant d’étapes les aventures du chevalier à la triste figure immortalisé par Miguel de Cervantès, personnalisé par le violoncelle solo accompagné de son écuyer Sancho Pança (alto) et du fantôme de Dulcinée (violon). Donné lors de sa création par les trois chefs de pupitre de cordes, Don Quichotte est souvent proposé avec un soliste de renom au pupitre de violoncelle solo, naturellement la plus développée de la partition, puisqu’il incarne le personnage central de ce poème épique. C’est cette dernière solution qui a été retenue par l’Orchestre de Paris, qui a invité Antonio Meneses à incarner Don Quichotte - le violoncelliste brésilien a enregistré cette œuvre avec le Philharmonique de Berlin sous la direction de Herbert von Karajan -, tandis que la partie d’alto a été brillamment tenue par l’altiste solo de l’Orchestre de Paris, Ana Bela Chaves dont les sonorités charnues et feutrées ont magnifié les résonances rondes et larges du violoncelle solo, tandis que Dulcinée était campée par le violon solo Philippe Aïche, qui ne s’est pas avéré d’une justesse infaillible. Meneses a donné une carnation vibrante au chevalier à la triste figure, se jouant sans effort des difficultés techniques que lui réserve la partition et exaltant des sonorités charnelles aux harmoniques sombres et ardentes. Tous les pupitres de l’Orchestre de Paris, des solistes aux tuttistes, ont rivalisé de timbres et de virtuosité dans cette partition somptueusement orchestrée, donnant toute la mesure de l’acoustique de la salle, que j’ai trouvée plus à l’écoute les uns des autres que le soir de l’inauguration, bien qu’il leur faille encore veiller à la brièveté du temps de réponse, plus resserré qu’à Pleyel, l’acoustique de la Philharmonie étant moins tolérante que celle de la précédente salle. Le jeune chef français Fabien Gabel, disciple de David Zinman et Kurt Masur, actuel directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Québec, a attesté de réelles affinités avec cette grande partition straussienne, donnant une solide unité à cette suite de dix variations grâce à un sens de la narration évident.

La seconde partie du concert a été ouverte par la Suite pour orchestre de l’opéra « Pelléas et Mélisande » de Claude Debussy arrangée en quatre parties par le chef allemand Erich Leinsdorf en 1946. Ce dernier l’a enregistrée avec l’Orchestre de Cleveland, ainsi que Claudio Abbado, avec le Philharmonique de Berlin en 2001. Cette suite d’une demi-heure agrège les interludes ajoutés à la dernière heure par Debussy, les thèmes fondateurs de la partition, celui de Golaud et de Mélisande, les évocations les plus significatives du drame (la mer, la forêt, la jalousie, la falaise), tout en renonçant à la scène d’amour entre les deux héros, et le meurtre de Pelléas par son demi-frère, Golaud. Leinsdorf a ainsi respecté l’œuvre originale à la fois en brossant plutôt une évocation que d’en faire une synthèse, qu’en respectant l’écriture propre à Debussy, d’une fluidité liquide et d’une sensualité marine inouïe tout en se situant dans la continuité du Parsifal de Wagner. Tout en mettant en évidence la transparence et l’éclat de l’orchestration, sollicitant le brillant des textures de l’Orchestre de Paris, la direction de Fabien Gabel a mis davantage l’accent sur les beautés sonores de la partition que sur son origine opératique, gommant le drame au profit de la volupté du son. Autres amoureux tragiques, Tristan et Isolde, héros de l’opéra le plus porteur d’avenir de Richard Wagner, avec le Prélude et Mort d’Isolde très souvent réunis en concert, l’Isoldes Liebestod finale de l’opéra, Mild und leise, indifféremment donnée avec ou sans la voix de soprano, étant enchaînée au premier dont elle magnifie la force évocatrice tout en résolvant les tensions après les avoir exaltées. En cela, Fabien Gabel a réussi pleinement ce parcours dramatique tendu comme un arc tandis que l’Orchestre de Paris s’est avéré à la fois homogène et contrasté.

Bruno Serrou 


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